Quand j'applaudis une initiative européenne : JEDI
09/06/2023
Quel bonheur ! Quel plaisir j'ai pris à lire un document européen qui redonne confiance dans notre capacité à avoir une vision positive du futur technologique de l'Europe. Le numérique, il en parle, mais pas que.
Vous ne serez pas surpris de mon enthousiasme à la lecture de ce document: il reprend un grand nombre d’idées pour lesquelles je me bats depuis plusieurs années.
L’Europe doit passer à l’offensive si elle veut espérer garder une présence raisonnable dans l’industrie mondiale du numérique d’ici à 2030.
Vous pouvez consulter:
- Mon billet de blog, publié à la fin de 2021.
- Ma conférence TEDx CentraleSupélec, disponible sur YouTube.
- Cet échange avec Alain Garnier, CEO de Jamespot, organisé par Informatique News et animé par Guy Hervier.
- Ce podcast, organisé par EuroCloud France et présenté par Laurent Garcia.
JEDI Joint European Disruptive Initiative
La Joint European Disruptive Initiative (JEDI) est un organisme indépendant des pouvoirs politiques. Il souhaite être, pour l’Europe, l’équivalent de l’ARPA aux Etats-Unis, l'agence pour les projets de recherche avancée.
Le JEDI se donne pour mission de placer l'Europe en position de leader dans des domaines des technologies émergentes et de rupture.
Le JEDI a publié en mai 2023 un document de 15 pages qui propose à l’Europe de passer à l’offensive technologique.
Le titre de ce document devrait être placardé dans toutes les entreprises qui, de près ou de loin, agissent en Europe dans le domaine des technologies.
Ce document JEDI fait référence à l'IRA, Inflation Reduction Act, un plan d’action très ambitieux pour l’économie américaine, signé par le Président Biden.
Je le présente dans les lignes qui suivent.
IRA: Inflation Reduction Act
Le Président Biden a signé le document IRA au milieu de l’année 2022.
Venant des Etats-Unis, cela peut surprendre, mais les objectifs principaux de ce projet sont:
- Les énergies propres.
- Les actions pour le climat.
Ce document de 184 pages liste la centaine de programmes que l’IRA va financer.
Il y a un chiffre essentiel à retenir: 738 milliards de dollars, ce sont les sommes en jeu. Cela représente beaucoup d’argent!
Pour tous ceux qui souhaitent plus de détails sur l’IRA, cet article de Wikipédia est très factuel et complet.
Une centaine de programmes différents ont été identifiés: pour chacun, il est indiqué quel organisme va le gérer et quel est le montant prévu.
A titre d’illustration, cette liste donne, pour quelques projets, les montants en jeu. Ils vont de quelques centaines de millions à plusieurs milliards de dollars.
JEDI, un constat : la situation est grave
J’ai extrait quelques phrases de ce document JEDI pour les commenter.
Elles seront en italique pour être plus facilement identifiables.
- La situation est grave : le déclassement européen est généralisé, sur le climat, la santé, le numérique. Fin 2022, les Européens ont manqué quatre révolutions qu’ils auraient dû mener.
Faire un diagnostic réaliste, c’est une étape préalable obligatoire si l’on veut ensuite proposer des actions pour corriger le tir.
- Commençons par nous montrer collectivement lucides: nous ne sommes plus leaders et le marché unique est une fable dans tous les domaines stratégiques du futur, comme le cyber, l’hydrogène, l’intelligence artificielle ou le quantique. Il y a dans ces domaines souvent vingt‐sept agences, vingt‐sept stratégies, vingt‐sept mises en œuvre, rarement coordonnées, aboutissant à une fragmentation du marché et à l’absence d’avantage compétitif par la taille, essentiel dans la technologie.
On touche là une des plus grandes faiblesses de l’Europe: son incapacité à agir “comme un seul homme”. En face de l’Europe il y a deux grandes puissances technologiques, les Etats-Unis et la Chine, qui, eux, ont une seule stratégie.
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Le programme cadre européen de recherche 2014‐2020 – Horizon 2020 – avec près de 77 milliards € a financé 39 500 projets, ce qui rend impossible la lisibilité politique et l’évaluation. On parle même de « principe de l’arrosoir » (Giesskannenprinzip en allemand.) Il faudrait dédier une fraction d’Horizon Europe, son successeur pour 2021‐2027 et doté de 95 milliards €, à un projet Apollo 2.0, géré indépendamment des traditionnels appels à projets souvent bureaucratiques.
La démarche privilégiée par l’Europe, les appels à projets, est mortelle. Elle est le contraire d’une stratégie à long terme.
39 500 projets sur une période de 7 années, cela veut dire 5 600 projets par an, 15 par jour! Ce n’est pas sérieux.
J’ai fait le calcul pour vous: en moyenne, chaque projet à reçu moins de 2 M€, 1,94 M€ pour être précis.
Rappel: le programme IRA américain, c’est une centaine de projets, 400 fois moins!
Chaque projet IRA recevra, en moyenne, 738 M$.
Remarque sur l’illustration de l’arrosoir. Comme la majorité des images que j’utilise dans mon blog, je l'ai achetée sur le site Adobe Stock. C’est la première fois que j’y trouve une image créée par de l’IAG, IA Générative. Cette révolution IAG est vraiment en marche!
- Osons ensuite mettre fin au primat systématique du critère du retour géographique.
Et une erreur structurelle de plus de l’Europe pour tout projet supposé “Européen”.
Chaque pays qui y participe est supposé recevoir en retour des investissements au prorata de ce qu’il a mis dans le pot.
La distribution des investissements doit être pilotée par l’efficacité des acteurs que l’on va financer, pas par leur nationalité.
- L’Europe a trouvé son nouvel épouvantail : l’Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden, le grand plan américain de soutien à la transition énergétique, promulgué en août 2022.
On retrouve dans cette phrase une belle illustration de cet autre défaut des actions européennes: se positionner en réaction à des opérations menées par les autres grandes puissances mondiales, que ce soit les Etats-Unis ou la Chine.
- L’Europe ne réussira jamais en se plaçant sur la défensive, en réglementant à outrance ou en promouvant une politique industrielle héritée du XXe siècle.
C’est pour moi le constat le plus important, qu’il faudra marteler tous les jours auprès des décideurs politiques en France et en Europe.
Je l’ai résumé en une phrase:
Une Europe de la technologie et du numérique
sur la défensive est vouée à l’échec
Une Europe offensive: ne garantit pas le succès, mais le rend possible
Il est temps de reprendre une attitude positive et d’arrêter de se lamenter sur les retards technologiques actuels de l’Europe, même et surtout s’ils sont très nombreux et préoccupants.
C’est ce que fait aussi ce document JEDI en disant:
- Les Européens doivent déclencher une offensive technologique et scientifique tous azimuts, et non agir en suiveurs.
Déclencher une offensive tous azimuts, cela ne veut pas dire essayer de tout faire, au contraire.
Le rapport JEDI aborde de très nombreux sujets, et pas seulement le numérique.
- Choisissons quelques véritables priorités, précises et assorties d’objectifs clairs et mesurables à atteindre. Avançons tout au plus sur une poignée de sujets, qui peuvent marquer de véritables ruptures dans les domaines clés pour les Européens.
- Pour réussir cet Apollo 2.0, voilà les grands projets qui pourraient en former la trame.
Dans cette démarche “commando”, ce rapport a identifié cinq domaines prioritaires, dont l’un est le numérique.
Sur les quatre autres, je n’ai pas de compétences suffisantes pour en évaluer la pertinence. Je vais donc les citer, sans faire de commentaires.
- Tout d’abord l’énergie, mère de toutes les batailles pour assurer à la fois l’indépendance énergétique du continent et la transition climatique, dont l’urgence se fait chaque jour plus grande.
- Deuxième volet majeur : passer d’une économie de l’extraction à une économie de la production. Les trois domaines privilégiés sont agriculture, métaux et matières premières.
- Troisième grand pilier : la santé et la médecine, dont la pandémie de la Covid‐19 n’a fait que rappeler l’importance stratégique.
- Enfin, cinquième pilier fondamental : l’éducation.
- Quatrième pilier : le numérique, avec un monde qui a connu une accélération prodigieuse de sa digitalisation à l’occasion de la pandémie.
C’est sur ce quatrième pilier, le numérique, que j’ai beaucoup travaillé et réfléchi depuis plusieurs années. Les quatre références que j’ai données au début de ce billet vous permettent, si vous êtes intéressés, de découvrir les pistes que je propose.
Pour aller à l’essentiel, j’ai identifié quelques domaines du numérique où l’Europe peut investir et espérer garder une place raisonnable dans une industrie du numérique qui est mondiale.
En voici les principaux:
- L’industrie des composants électroniques.
- Les logiciels SaaS, Software as a Service.
- L’informatique quantique.
- Les jumeaux numériques industriels.
- Le numérique au service des collaborateurs terrain.
- Le numérique pour aider à réduire les impacts de l’humanité sur les dérèglements climatiques.
Pour terminer ce paragraphe sur une note positive, j’ai applaudi le Chip European Act qui va mobiliser 43 milliards d’euros pour l’industrie des composants électroniques.
De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace
Pour conclure cette ode à l’action à l’offensive, à l’audace, je cite une fois de plus ce rapport du JEDI.
- JEDI lutte contre l’idée d'une Europe repliée sur elle-même, d’une Europe qui a la trouille du futur, parfaitement illustrée en France par le catastrophique principe de précaution.
- Cessons de cultiver les angoisses de nos sociétés européennes en voulant les «protéger» à tout prix – une entreprise vaine – mais osons nous donner les moyens de développer des solutions qui permettront à tous nos concitoyens d’avoir un avenir meilleur.
Choisir ses combats, passer à l’offensive, c’est tout le contraire d’une “abdication” devant les géants du numériques actuels, qu’ils soient américains ou chinois.
Dans mon billet de blog de 2021 sur l’Europe du numérique, j’avais tracé les quatre démarches possibles:
- Fanfaronnade: l’Europe peut tout faire dans le numérique.
- Bureaucratie: attendre des consensus à 27, créer des organisations avec des centaines de membres comme GAIA-X.
- Désespoir: l’Europe est foutue, elle a définitivement perdu la bataille mondiale du numérique.
- Pragmatisme: reconnaissons nos forces et nos faiblesses, investissons là où nous pouvons encore gagner. C’est bien évidemment celle que je préconise.
Je suis, plus que jamais, persuadé que l’Europe peut encore gagner de beaux combats dans le numérique et rester une force qui compte en 2030.
Par contre, il n’y a plus une minute à perdre pour mettre tous les talents européens au travail, en mode commando, pour créer des succès numériques éclatants.