Quel terminal pour vos équipes terrain - Deuxième partie

 

AdS DPC FLW with gloves in street S 366931258Dans la première partie de cette analyse, j’ai présenté les principales familles de terminaux disponibles pour répondre aux attentes des équipes terrain.

Dans cette deuxième partie, j’aborde des sujets plus complexes, organisationnels et culturels:

  • Quels sont les modes d’acquisition possibles.
  • Comment prendre en compte la dimension Frugalité Numérique.
  • Quels outils pour gérer et sécuriser les terminaux des équipes terrain.

 

Modes d’acquisition et d’usages

Il existe différentes familles de terminaux pour répondre aux attentes des équipes terrain. Les entreprises ont aussi à leur disposition plusieurs options pour gérer l’acquisition et les usages de ces terminaux. 

Les quatre principales démarches sont:

  • Le mode kiosque.
  • Le terminal managé.
  • COPE : Corporate Owned, Personally Enabled.
  • BYOD : Bring Your Own Device.

Le mode Kiosque

Mode Kiosque SLe mode Kiosque est utilisé quand un terminal est dédié aux seuls usages professionnels. Ne sont installées sur le terminal que la ou les applications nécessaires pour l’activité des collaborateurs. Ceci permet d’avoir un écran simplifié au maximum pour favoriser l’efficacité des usages.

C’est une bonne approche pour des activités très structurées, comme la lecture de codes barres dans un entrepôt ou la livraison de colis.

Dans le mode Kiosque, l’entreprise fournit et gère le terminal mis à disposition du collaborateur terrain.

Terminal managé

Cette démarche est une version plus souple et étendue du mode Kiosque. Même si le terminal n’est utilisé que pour des activités professionnelles, le collaborateur terrain accède à plus d’applications. Il peut s’agir d’applications privées d’entreprises, par exemple pour la collaboration, et d’applications publiques externes comme WhatsApp. L’entreprise peut décider d’interdire certaines applications ou certaines fonctionnalités du terminal. On peut par exemple bloquer l’usage d’une carte SIM si le terminal est utilisé uniquement dans un espace clos comme une usine ou un entrepôt quand le WiFi est disponible partout.

Comme dans le mode Kiosque, c’est l’entreprise qui fournit et gère le terminal mis à disposition du collaborateur terrain.

Démarche COPE: Corporate Owned, Personally Enabled.

On rentre maintenant dans une démarche où le même terminal est utilisé pour des usages professionnels et personnels.

Le terminal est fourni et géré par l’entreprise, mais il est aussi utilisable par le collaborateur pour ses usages personnels, y compris en dehors des lieux professionnels et pendant le week-end ou les vacances.

La démarche COPE peut être utilisée par des entreprises de toute taille.

Deux cas d’usages emblématiques de cette démarche COPE sont ceux de la Poste en France et de Walmart aux Etats-Unis.

FacteoLe projet Facteo de la Poste a été lancé en 2011. Plus de 70 000 postiers sont équipés du terminal “Facteo”, un smartphone Android standard du marché, correspondant à la catégorie “Terminaux grand public durcis” présentée dans la première partie de cette analyse.

On trouve sur Facteo:

  • Des applications professionnelles à l’usage des facteurs: demandes de congés…
  • Des applications professionnelles tournées vers les clients.
  • Des applications personnelles, clairement séparées des usages professionnels.

Walmart employee image 740 000 & freePlus récemment, en 2021, le distributeur américain Walmart a décidé d’équiper ses “associates”, en clair tous les collaborateurs terrain, avec un smartphone en mode COPE et une “Super App”, me@walmart, qui regroupe tous les usages possibles dans une seule application.

En 2021, ce sont plus de 740 000 collaborateurs qui ont été équipés d’un smartphone Samsung, qu’ils peuvent utiliser en remplacement de leur smartphone personnel s’ils le souhaitent.

Tous les coûts sont pris en charge par Walmart.

Démarche BYOD: Bring Your Own Device

Le BYOD est l’inverse de COPE: le terminal appartient au collaborateur, qui l’utilise aussi pour ses activités professionnelles.

L’entreprise participe au coût du terminal en remboursant tous les mois au collaborateur une somme liée au terminal et aux coûts réseau. La démarche du forfait mensuel, indépendant du prix du terminal, est celle qui est la plus fréquemment utilisée.

Couverture livre BYODDès 2011, j’avais abordé le thème du BYOD, qui semblait promis à un bel avenir.

En 2014, j’avais écrit la préface du premier livre publié en France sur le thème du BYOD.

Si la démarche BYOD est souvent utilisée dans les startups et les entreprises du numérique, elle est très peu répandue dans les entreprises moyennes et grandes et plus souvent en France que dans d’autres pays.

Il y a plusieurs freins à la diffusion d’une démarche BYOD:

  • Difficulté pour l’entreprise de gérer des terminaux qui ne lui appartiennent pas.
  • Réticence des équipes informatiques et en particulier des responsables de la sécurité à voir des terminaux non gérés accéder aux réseaux et applications de l’entreprise.
  • Complexité administrative et fiscale sur la manière de traiter le remboursement fait au collaborateur.

Les entreprises qui acceptent le principe d’un terminal unique pour les usages professionnels et personnels choisissent en priorité une démarche COPE plutôt que BYOD.

La gestion d’un parc de terminaux mobiles pour les équipes terrain pose des questions que l’on rencontre moins souvent avec les équipes bureaux car les modes d’usages sont très différents. L’immense majorité des terminaux mobiles des collaborateurs bureaux leurs sont affectés de manière permanente.

Les principales questions qui se posent:

  • Peut-on avoir un parc de terminaux mobiles banalisés, non liés à une personne? Réponse, oui. C’est souvent le cas pour les usages en mode Kiosque. Le secteur de la logistique où les chauffeurs-livreurs sont des personnes externes en est un bon exemple.
  • Est-il possible d’avoir des terminaux mobiles en libre-service ? Réponse, oui. Cette approche est par exemple utilisée quand le travail se fait en continu, avec des personnes différentes qui occupent un même poste de travail à différentes heures de la journée, dans l’industrie, le commerce ou la logistique.
  • Est-ce que les équipes terrain ont besoin d’une adresse email avant d’être équipées? Réponse, non. Un grand nombre de collaborateurs terrain n’utilisent pas le mail.
  • Simple SIM ou double SIM dans le cas d’un terminal COPE ou BYOD: il est possible de séparer sur un terminal mobile les usages professionnels et personnels même quand une seule carte SIM est utilisée. Le principal avantage d’une double SIM, c’est la capacité d’identifier sans ambiguïtés les coûts réseau professionnels et personnels. 

 

Dimension Frugalité Numérique

Pendant longtemps, la question de la frugalité ou sobriété numérique n’était pas posée dans les entreprises. Elle devient aujourd’hui une priorité, et personne ne va s’en plaindre.

C’est un sujet que j’ai souvent abordé; ce billet de blog est consacré à la frugalité numérique des terminaux.

Concernant les terminaux, toutes les études récentes et sérieuses sur les thèmes de la frugalité numérique sont d’accord sur deux points essentiels:

  • Les postes de travail sont la principale source d’impact sur la planète.
  • La construction du terminal a plus d’impacts que son usage.

Ce graphique, tiré d’une étude publiée par le CIGREF (Club Informatique des Grandes Entreprises Françaises) confirme que:

CIGREF -ADEME terminaux réseaux Data centers

  • Les terminaux représentent plus de 75% des impacts du numérique, beaucoup plus que les réseaux ou les centres de calcul.
  • La phase de fabrication peut représenter jusqu’à 80% des impacts du numérique.

Aujourd’hui, l’équipement avec un terminal des collaborateurs terrain ne peut plus se faire sans prendre en compte cette dimension frugalité numérique.

Ceci pose deux questions:

  • Durée d’utilisation des terminaux.
  • Nombre de terminaux par personne.

Durée d’utilisation des terminaux

On l’a vu dans la première partie, le smartphone est le terminal dominant pour les équipes terrain.

En Europe, la durée d’utilisation moyenne d’un smartphone est de trois années, comme le montre cette étude. Dans les entreprises, ils sont utilisés en priorité par les collaborateurs bureaux.

Smartphones numbers - Frugalité

Dans cette hypothèse de trois années pour un smartphone:

  • Les ¾ de ses impacts sur la planète sont liés à sa fabrication.
  • ¼ seulement des impacts est créé par les usages.

Comparé au monde du bureau, le monde du terrain est un bien meilleur élève! Les terminaux utilisés aujourd’hui, spécialisés ou professionnels durcis, ont une durée de vie utile au moins égale à 5 années.

Lorsqu'un smartphone est utilisé pendant 5 ans ou plus:

  • Sa fabrication ne représente plus que 50% des impacts sur la planète.
  • Son usage a le même impact que sa fabrication, 50%. Ce sont des chiffres que l’on retrouve pour les PC portables dont la durée d’usage moyenne est de cinq ans.

Chaque année d’usage gagnée est une excellente nouvelle pour la planète.

L’utilisation de plus en plus fréquente de terminaux grand public durcis ne devrait pas trop impacter cette durée d’usage. Ils peuvent eux aussi être utilisés sans difficulté pendant cinq ans ou plus.

La frugalité numérique, c’est une raison de plus pour ne pas utiliser de terminaux grand public d’entrée de gamme ; leur fiabilité n’est pas suffisante pour un usage professionnel de cinq années ou plus.

Nombre de terminaux par personne

Deux smartphones par personne, c’est une très mauvaise idée!

Même si la durée de vie est portée à 5 ans, deux smartphones utilisés par la même personne représentent un impact sur la planète de 150, comparé aux 100 dans le cas de l’usage d’un seul smartphone:

  • 50% pour la fabrication de chaque smartphone = 100% pour deux.
  • 50% pour son utilisation. 

C’est 50% de plus!

Tous les collaborateurs terrain sont aujourd’hui équipés d’un smartphone personnel.

Comment éviter le doublement du parc de smartphones lors de l’équipement des collaborateurs terrain?

La démarche la plus logique serait de basculer en BYOD. Le collaborateur garde son smartphone personnel et l’utilise aussi pour ses usages professionnels. Comme on l’a vu plus haut, la démarche BYOD est difficile à mettre en œuvre, en particulier dans les grandes entreprises.

La deuxième approche raisonnable est de proposer un smartphone COPE aux collaborateurs terrain. Il faut en même temps les encourager à se séparer de leur smartphone personnel existant. Pour le faire, il y a plusieurs pistes:

  • Leur demander de le transmettre autour d’eux à une personne qui n’est pas encore équipée.
  • Le vendre sur une des nombreuses plateformes qui proposent des smartphones de seconde main.
  • Au minimum, s’il est en fin de vie, le rapporter à un organisme qui le détruira, mais en récupérant tous les composants encore utiles, et en particulier les métaux rares.

Cette démarche COPE ne peut pas être utilisée quand on déploie des terminaux spécialisés type ATEX ou terminaux durcis professionnels. Elle prend tout son sens chaque fois qu’un téléphone grand public durci peut être choisi.

Fairphone 4Bonne nouvelle: le smartphone européen Fairphone 4 fait partie des modèles qui sont “Android Enterprise Recommended”. Les smartphones Fairphone ont été les premiers au monde à être conçus dès l’origine pour être facilement réparables et évolutifs.

Les entreprises qui ont communiqué auprès de leurs collaborateurs, bureaux et terrain, pour expliquer les impacts des terminaux sur la planète ont toutes été entendues et comprises par ces collaborateurs. Ceci facilite beaucoup l’acceptabilité d’une démarche COPE. Il faut simplement que ces collaborateurs soient rassurés sur l'étanchéité absolue entre les deux espaces professionnels et personnels.

C’est le sujet du prochain paragraphe.

 

Gérer et sécuriser les terminaux

EMM (Enterprise Mobility Management), anciennement MDM (Mobile Device Management), des solutions pour la gestion d’un parc de terminaux existent depuis des dizaines d’années.

EMM leaders Multi OSLes leaders historiques de ce marché, que l’on retrouve sur ce quadrant magique du Gartner, sont Microsoft, IBM, Ivanti…

On peut regrouper les fonctionnalités des outils EMM en quelques grandes familles:

  • Gestion du terminal:
    • Déploiement sur le terrain.
    • Maintenance à distance.
    • Bloquer de manière définitive un terminal perdu ou volé.
    • Permettre ou non l’usage des caméras.
    • Réseaux autorisés: 4G ou 5G, WiFi, Bluetooth…
    • Géolocalisation.
    • Geofencing: limiter la zone géographique où il peut être utilisé.
  • Management des applications:
    • Choix et contrôle des applications autorisées.
    • Déploiement automatique des applications autorisées et leurs mises à jour.
  • Gestion des données:
    • Transfert automatique vers des fichiers centraux.
    • Horodatage des données.
    • Effacement à distance.
    • Utilisation d’outils de chiffrement.
  • Gestion des utilisateurs:
    • Inscription, suppression, modifications.
    • Identification: email, numéro de téléphone…
  • Tableaux de bord pour suivre les indicateurs essentiels.

Quand les démarches COPE ou BYOD sont mises en œuvre, une autre fonction des EMM devient essentielle: garantir l’étanchéité absolue entre les deux espaces, personnel et professionnel.

COPE WOrk profile personal profile

Sur ce schéma, on visualise le même terminal en mode COPE, dans trois situations différentes:

  • 1 : Le container personnel avec les applications choisies par le collaborateur.
  • 2 : Le container professionnel avec les applications de l’entreprise.
  • 3 : Le container professionnel mis en veille pour le WE.

Le collaborateur terrain doit être convaincu que l’entreprise ne pourra pas “espionner” ses usages personnels. Les EMM le font très bien, mais… Il reste un problème de confiance, particulièrement aigu en France.

L’entreprise devra réaliser un gros travail pour:

  • Rassurer les collaborateurs.
  • Convaincre les organismes sociaux et les syndicats.
  • Garantir le droit à la déconnexion professionnelle, pour les personnes qui le souhaitent.

Combien de logiciels de gestion de parc de terminaux?

C’est une question qui est souvent posée: faut-il un seul outil EMM pour gérer toutes les familles de terminaux, tous les OS, des équipes bureaux et terrain, ou est-il plus efficace et plus économique de déployer plusieurs EMM adaptés à chaque famille?

Tous les grands leaders cités par le Gartner sont “multi OS”: Windows, macOS, Linux, Android et iOS.

Ceci n’a pas entravé le succès d’EMM spécialisés: un bon exemple est JAMF, spécialisé dans tous les terminaux proposés par Apple.

La question se repose, avec la prévision de croissance massive du nombre de terminaux pour les équipes terrain.

Les collaborateurs dans les bureaux utilisent des terminaux très différents:

  • PC Windows.
  • PC Apple.
  • Chromebooks.
  • Smartphones iOS ou Android.
  • Tablettes Windows, iOS ou Android.

Ils sont souvent équipés de deux, voire trois terminaux différents.

A l’inverse, les collaborateurs terrain sont équipés d’un seul terminal:

  • Smartphones ou tablettes Android dans plus de 80% des cas.
  • Smartphones ou tablettes iOS dans environ 15% des cas.

EMM - Best of Breed vs IntegratedLes informaticiens ont toujours eu une forte préférence pour l’unicité des solutions, le Master PC, les ERP intégrés…démarches qui sont censées leur faciliter la vie.

Le débat permanent, intégré versus “Best of Breed”, se pose aussi pour les EMM.

Dans le domaine des EMM pour les équipes terrain, qui est le sujet de ce billet,  j’encourage les entreprises à peser le pour et le contre d’un EMM dédié aux terminaux des équipes terrain. Quand il s’agit de parcs importants, les solutions spécialisées sont plus efficaces et surtout… beaucoup plus économiques.

 

Exemple d’un EMM terrain “best of breed”, WizyEMM

(Rappel: WizyEMM est une solution SaaS construite par Wizy.io, entreprise dont je suis l’un des cofondateurs.)

WizyEMM a été développé au départ pour répondre aux attentes de Chronopost et du groupe DPD, un grand transporteur européen. Ils cherchaient un EMM performant et économique lors du renouvellement de leur parc de terminaux pour les équipes terrain, qui basculait de Microsoft CE vers Android. WizyEMM est aujourd’hui déployé chez ce transporteur sur des dizaines de milliers de terminaux Android, dans plusieurs pays européens.

WizyEMM est parti d’une feuille blanche, au moment où Google avait décidé de reprendre la main sur le marché des terminaux Android en fixant des règles communes à minima, pour tous les EMM.

WizyEMM est donc un des premiers EMM de nouvelle génération, ce qui lui procure des avantages importants:

  • Nativement Cloud SaaS, multi tenant, sur GCP, le Cloud Public de Google.
  • Conforme aux recommandations les plus récentes d’Android.
  • Utilise l’agent natif de Google (AMAPI), ce qui permet d’être compatible, par défaut, avec tous les équipements recommandés par Android Entreprise.
  • S’adapte à des parcs de terminaux très variés, de constructeurs différents.
  • Permet de pousser automatiquement les mises à jour. Lorsqu’Android annonce une nouvelle version, elle est immédiatement déployable dans les parcs installés gérés par WizyEMM.
  • Tableau de bord WizyEMM exempleFacilite les mises à jour à distance de tous les logiciels d’un terminal, ce qui évite le retour physique des terminaux dans les bureaux centraux.
  • Capacité pour les clients d’exporter toutes les données d’utilisations des terminaux dans l’entrepôt de données BigQuery de Google et de créer des tableaux de bord sur mesure. Cette capture d'écran illustre cette possibilité. Les données ont été floutées car ce tableau correspond à un cas réel d'un client de WizyEMM.

Flexibilité dans les modes de facturation

L’autre domaine important dans lequel WizyEMM a innové est celui des modes de facturation disponibles, très flexibles:

  • Mensuel ou annuel, la démarche classique de tous les EMM du marché.
  • Pay as you Go: sans engagement préalable, au fur et à mesure que les terminaux sont mis en fonctionnement.
  • Lifetime : pour toute la durée de vie du terminal. Ceci permet de passer dans un mode de financement en CAPEX, pour les entreprises qui souhaitent réduire leurs dépenses en OPEX. Cette option intéresse beaucoup les directions financières.
  • Possibilité, pour les grands clients, de créer une instance Cloud dédiée, option choisie par le Groupe DPD dont fait partie Chronopost.

 

Résumé

L’équipement des équipes terrain d’un terminal mobile est un préalable à tout déploiement d’applications numériques adaptées à leurs attentes.

La bonne nouvelle: les options sont nombreuses et opérationnelles:

  • Familles de terminaux.
  • Modes d’acquisition et d’usages.
  • Solutions pour gérer et sécuriser les terminaux.
  • Possibilités de concilier efficacité et protection de la planète.

AdS DPC WIn WIn  Cube S 76918148Tout ceci ne doit pas vous faire oublier l’essentiel: s’ils ne le sont pas encore, l'équipement de tous vos collaborateurs terrain avec un terminal numérique doit faire partie de vos priorités.

Pour eux, pour votre entreprise, pour votre efficacité et votre rentabilité, c’est l’un des meilleurs investissements que vous pourrez faire, dès cette année.


Quel terminal pour vos équipes terrain - Première partie

 XAdS DPC FLW take picture SS 397080572Depuis plusieurs années, je milite pour que les équipes terrain, les FLW, Front Line Workers en anglais, ne soient plus les oubliés de la Transformation Numérique des entreprises, privées ou publiques.

Pour cela, ils ont besoin d’applications spécifiques; les usages traditionnels des équipes bureaux ne répondent pas à leurs attentes et à leurs contraintes spécifiques. J’en ai longuement parlé dans ce billet de blog.

Des logiciels, des applications adaptées à leurs attentes, c’est bien, oui, mais pour y accéder il faut d’abord que les collaborateurs terrain soient équipés d’un terminal, d’un objet d’accès.

Dans ce billet je vous propose une analyse des principales options disponibles pour équiper vos collaborateurs terrain.

C'est un sujet très opérationnel, pragmatique, qui concerne des millions de personnes en France et des milliards dans le monde.

 

Quels objets numériques entre les mains des équipes terrain

En anglais, un autre nom des équipes terrain est “deskless”, les personnes sans bureaux. Ces personnes sont sur des chantiers, dans des champs, dans des camions ou camionnettes, dans les allées des supermarchés ou dans les chambres des malades dans les hôpitaux.

Ils ont besoin d’outils numériques mobiles, légers et robustes.

Quels sont les terminaux les plus utilisés par les équipes terrain? 

XPC Smartphone Tablet for FLWMes estimations sont les suivantes:

  • Les smartphones en priorité, dans plus de 80% des cas.
  • Des tablettes, pour environ 15% des personnes.
  • Une minorité, de l’ordre de 5%, dispose d'un ordinateur portable, alors que ces ordinateurs portables sont utilisés par l’immense majorité des collaborateurs dans les bureaux.

Il existe, hélas, une quatrième famille de terminaux mis à la disposition de la majorité des équipes terrain : elle a pour nom… RIEN !

Et oui, il y a encore des entreprises qui osent laisser leurs collaborateurs terrain sans aucun outil numérique, ce qui est proprement scandaleux.

Promenez-vous dans les allées de vos supermarchés, regardez les travailleurs qui réparent vos routes ou installent des panneaux solaires sur vos toits : beaucoup d’entre eux ne sont pas équipés d’un smartphone ou d’une tablette professionnelle. Par contre, pendant les pauses, ils sortent tous leurs… smartphones personnels.

 

Principales familles de terminaux pour les équipes terrain

L’offre de terminaux pour les équipes terrain est très large. Elle peut être classée en quatre familles principales:

  • Terminaux très spécialisés.
  • Terminaux durcis professionnels.
  • Terminaux grand public durcis.
  • Terminaux grand public universels.

 

Terminaux très spécialisés, tels que pour les activités en zones ATEX

Dans certains métiers, des contraintes de sécurité obligent les entreprises à utiliser des terminaux très spécialisés. L’exemple le plus connu est celui des environnements industriels ATEX, où les risques d’explosion sont forts. Cet article de Wikipédia présente en détail les différentes catégories de zones ATEX à protéger.

Pour être utilisé en zones ATEX, un terminal doit répondre à des contraintes très fortes de sécurité pour éviter le moindre risque d’étincelle qui pourrait provoquer une explosion.

XSmartphone ATEX ECOMCes terminaux ATEX sont, et c’est logique:

  • Plus lourds et encombrants.
  • Souvent équipés d’une version ancienne d’Android.
  • Chers: les prix démarrent à 1 500 € et peuvent atteindre 5 000 €.
  • Construits pour avoir des durées de vie longues, supérieures à 5 ans.
  • Absolument pas adaptés à des usages grand public.

Les collaborateurs qui doivent travailler en zones ATEX peuvent être:

  • Très souvent en zone ATEX: ils seront équipés d’un terminal ATEX de manière permanente.
  • Amenés à y entrer de manière occasionnelle. Dans ce cas, il est plus efficace et économique d’avoir quelques terminaux ATEX en libre-service. Avant de rentrer en zone ATEX, le collaborateur laisse son terminal classique et prend un ATEX.

En pratique, les entreprises qui ont besoin de terminaux ATEX ont déjà équipé les collaborateurs terrain de ces terminaux.

 

Terminaux durcis professionnels

Cette famille de terminaux est ancienne, antérieure aux smartphones. L’expression “PDA” est souvent utilisée pour parler des anciens modèles. Historiquement, ils fonctionnaient sous Windows CE, que Microsoft a décidé d’arrêter.
Aujourd’hui, la majorité des offres est constituée de smartphones Android. 

Le marché est dominé par des fournisseurs spécialisés, qui ont pour nom Zebra, Honeywell, Datalogic, Bluebird, Crosscall...

Professional durcis Three Devices

Ils sont utilisés en priorité dans des activités liées aux entrepôts, au transport et à la logistique ou au secteur de la distribution. C’est le plus souvent pour des usages très professionnels, très spécialisés pour lesquels la rapidité d’usage et la fiabilité sont des facteurs majeurs de choix.

Les caractéristiques communes de tous ces terminaux durcis spécialisés:

  • Utilisation de batteries interchangeables, pour permettre aux équipes terrain de disposer de plusieurs batteries si nécessaire et pour en améliorer la durée de vie.
  • Bonne résistance à l’eau et aux poussières: IP68 le plus souvent.
  • Protection contre les chocs et les chutes.
  • Construits pour durer 5 ans ou plus.
  • Services, maintenance, pièces de rechange disponibles pendant longtemps, 7 ans ou plus.

XAccessoires terminaux durcisUn grand nombre d’équipements annexes sont disponibles pour s’adapter à la variété des conditions d’utilisation : lecteurs de codes barres, poignée, support pour le bras…

Pendant longtemps, les prix de vente de ces terminaux durcis spécialisés étaient élevés, dans la fourchette de 1 000 € à 2 500 €.

Ce sont aussi des terminaux qui n’ont pas vocation à être utilisés à titre personnel. Les fonctionnalités qu’ils privilégient ne sont pas celles que demandent les personnes pour leurs smartphones personnels.

Zebra - TC26 - With WizyEMMPour contrer l’arrivée des terminaux grand public (voir plus loin), ces fabricants spécialisés proposent aussi des terminaux professionnels durcis d’entrée de gamme, à des prix inférieurs, compris entre 500 € et 1000 €.

On peut citer comme exemples le TC26 de Zebra ou le EDA 51 de Honeywell.

Ces terminaux répondent bien aux attentes des entreprises dès que les activités se déroulent dans des environnements moins contraignants en matière de fiabilité. 

 

Terminaux grand public durcis

Cette génération de terminaux d’origine grand public, avec quelques fonctionnalités additionnelles pour les rendre aptes à des usages dans les entreprises est récente.

XSamsung XCover proIls proposent:

  • Des protections contre l’eau de niveau IP67 ou 68.
  • Une meilleure résistance aux chocs.
  • Des durées de garantie minimales de 3 ans ou plus.
  • Des prix de vente inférieurs à 600 €.

Samsung est le leader actuel de ce marché avec ses modèles XCover pro 5 et 6.

Pour des équipes terrain qui travaillent dans des environnements moins contraignants, par exemple à l’intérieur d’un supermarché, l’option d’un terminal grand public durci est souvent une bonne réponse.

Ce sont aussi des terminaux que l’on peut utiliser à titre personnel, car ils sont construits à partir de terminaux grand public que l’on a “durci”.

J’y reviens dans la deuxième partie de cette analyse où j’aborde le thème des modes d’acquisition et d’usages.

 

Terminaux grand public entrée de gamme

Il peut être tentant, pour les entreprises qui souhaitent équiper à moindre coût leurs équipes terrain de rechercher les terminaux  Android grand public d’entrée de gamme, que l’on trouve à des prix inférieurs à 250 €.

Je déconseille totalement cette option: ces terminaux ne sont pas adaptés à des usages professionnels : durée de vie faible, sensibilité aux chocs et à l’eau, plus difficile à gérer de manière industrielle…

Je vous propose une règle simple: choisir uniquement des terminaux qui sont sur le site “Android Enterprise recommended”. Ce sont tous les terminaux que l’on peut gérer de manière professionnelle.

 

Comment choisir les terminaux adaptés aux attentes des équipes terrain

Dans les entreprises grandes et moyennes, il est peu probable qu’une seule famille de terminaux réponde à toutes les attentes des collaborateurs terrain, même si la tentation est forte d’uniformiser les parcs.

La démarche la plus efficace est d’accepter le principe d’une variété raisonnable du parc de terminaux.

XCritères choix terminaux équipes terrain

  • Ne pas investir dans des terminaux grand public d’entrée de gamme.
  • Priorité aux terminaux grand public durcis pour tous les collaborateurs pour lesquels cette solution est adaptée. Principaux avantages:
    • Les coûts les plus bas possibles.
    • Des terminaux proches de ceux qu’utilisent les collaborateurs pour leurs usages personnels.
    • La possibilité d’avoir un terminal à usages mixtes, professionnels et grand public, sujet qui sera abordé dans la deuxième partie de cette analyse.
  • Pour les seuls collaborateurs terrain pour lesquels les terminaux grand public durcis ne sont pas suffisants, utilisation de terminaux durcis professionnels. Le choix de cette famille a deux conséquences:
    • Des budgets d’achat en hausse.
    • L’impossibilité d’utiliser le même terminal pour des usages professionnels et personnels.
  • Par exception, et uniquement quand c’est indispensable, achat de terminaux très spécialisés, tels que les ATEX.

Dans cette première partie, j’ai répondu à la question la plus simple: quelles sont les options matérielles disponibles pour équiper les collaborateurs terrain.

Dans la deuxième partie, je vais aborder des sujets plus complexes, car moins techniques et plus organisationnels et culturels:

  • Quels sont les modes d’acquisition possibles.
  • Comment prendre en compte la dimension Frugalité Numérique.
  • Quels outils pour gérer et sécuriser ces terminaux pour les équipes terrain.

 


Chip War : la guerre des composants électroniques - Deuxième partie. Dimensions géopolitiques

 

XAdS DPC Geopolitics flags US China ...S 35720911Dans la première partie de cette analyse, j’ai présenté les dimensions techniques et industrielles de cette guerre des composants électroniques.

Cette deuxième partie se concentre sur les dimensions géopolitiques de cette guerre des composants.

 

Les forces en présence

Dans le domaine des composants électroniques, il y a cinq grandes zones géographiques importantes:

XChine Russie RTW Map

  • La Russie.
  • La Chine.
  • L’Europe.
  • Les Etats-Unis.
  • L’Asie du Sud-Est, hors Chine:
    • La Corée du Sud
    • Taiwan
    • Le Japon

Sur cette carte, j’ai clairement séparé la Chine et la Russie du reste du monde. Les raisons sont claires: 

  • La Russie, avec l’invasion de l’Ukraine, c’est mise en conflit ouvert avec l’Europe, les Etats-Unis et une grande partie des autres pays du monde.
  • Les spécialistes du domaine des composants électroniques, et bien sûr Chris Miller dont le livre CHIP WAR a servi de base à mon analyse, sont d’accord sur le fait que la Chine fera tout son possible pour essayer de retrouver une “souveraineté nationale” dans ce domaine.

 

Quelle place pour la Russie 

La réponse à cette question est claire: 

XRussia Failure ChipLa Russie n’a jamais été, n’est pas, ne sera jamais un acteur significatif de l’industrie des composants électroniques.

Comme l’explique Chris Miller, les difficultés ont commencé à l’époque de l’URSS, quand les Russes ont pensé qu’il suffisait d’envoyer des espions aux Etats-Unis et de copier les composants existants, à l’identique, pour rester dans la course.

Ils n’avaient pas compris que dans une industrie qui avançait aussi vite, c’était tout l'écosystème industriel qu’il fallait recréer.

Cette grande faiblesse de la Russie dans le domaine des composants est mise en lumière par la guerre avec l’Ukraine. L’embargo des livraisons à la Russie de composants électroniques par la majorité des fournisseurs mondiaux impacte fortement sa capacité militaire à fabriquer des armes modernes qui ont toutes besoin de nombreux composants électroniques pour être efficaces.

XList of 25 Chips Russian most neededCet article donne la liste des 25 composants les plus demandés par l’armée russe.

Cette pénurie est partiellement réduite par des canaux clandestins d’achat, à des prix très élevés, mais c’est insuffisant pour répondre à la demande.

De nombreuses analyses, comme celle de Bloomberg, montrent que les exportations vers la Russie d’équipements civils comme frigidaires ou machines à laver ont explosé ces derniers mois. La raison? Récupérer les composants électroniques qu’ils contiennent et… jeter ensuite les équipements!

Toutes les armées du monde dépendent aujourd’hui totalement de la disponibilité des composants électroniques les plus avancés pour construire les armements modernes.
C’est l’un des domaines clés de la “Souveraineté Numérique” d’un pays, comme le démontrent les grandes difficultés actuelles de l’armée russe.

 

Chine: un enjeu en interne, et pour le reste du monde

En Chine, il est important de bien séparer deux activités différentes:

  • L’assemblage de composants électroniques pour fabriquer des produits finis.
  • La production des composants électroniques

Chine, usine numérique du monde

XIPhone factory FoxconnLa Chine est un leader mondial de la fabrication, de l'assemblage des outils numériques tels que les ordinateurs ou les smartphones. Ces usines d’assemblage emploient des centaines de milliers de personnes. Ce sont des activités à faible valeur ajoutée, dont l’élément concurrentiel principal est la disponibilité et le faible coût de la main-d’œuvre.

Déplacer ces usines est possible à tout moment. C’est ce qui se passe en ce moment.

L’augmentation des coûts salariaux en Chine et les tensions internationales font que de nombreux donneurs d’ordre commencent à déplacer une partie de leurs fabrications dans d’autres pays comme l’Inde ou le Vietnam.

Un exemple: Apple prévoit de migrer 25% de sa production en Inde, pour moins dépendre de la Chine.

Remplacer la Chine comme “usine numérique” du monde prendra beaucoup de temps, mais c’est une hypothèse qui devient plausible.

Chine, producteur de composants électroniques

Dans ce domaine, il faut revenir à la segmentation du marché que j’ai présentée dans la première partie de cette analyse:

  • Les composants simples.
  • Les composants haut de gamme.

Dans les composants simples, ceux qui ne demandent pas des outils de lithographie avancés, la Chine est un fournisseur important. Le pays est capable de répondre à ses besoins internes et en même temps d’exporter.

En revanche, dans les composants haut de gamme, ceux pour lesquels des outils de lithographie fabriqués par ASML sont indispensables, la Chine est pour le moment absente du marché.

XLImits to ASML sales in ChinaLes tensions internationales entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe font que des embargos très stricts ont été mis en place sur les exportations de ces outils de lithographie vers la Chine. De nouvelles restrictions viennent d’être décidées, en particulier pour l’exportation des machines ASML d’occasion, les générations précédentes. 96% des machines ASML produites depuis la création de la société sont encore en exploitation.

En clair, même les machines capables de graver en 13 nm ou 10 nm, quand les dernières générations sont capables de le faire en 3 nm et 2 nm, sont interdites à la vente en Chine.

La Chine peut encore importer, sous réserves, certains composants électroniques haut de gamme fabriqués à Taiwan et en Corée du Sud par TSMC ou Samsung.

Cette incapacité à fabriquer sur son territoire, avec ses usines, des composants haut de gamme est perçue par les dirigeants chinois comme une menace majeure pour leur pays

Fin janvier 2023, le Japon a rejoint les Pays-Bas et les Etats-Unis pour participer à l’embargo des exportations de ces machines vers la Chine.

La Chine est dans l’impossibilité de produire localement les composants dont son armée a besoin pour fabriquer les armes les plus modernes, compétitives avec celles des Etats-Unis et de l’Europe.

Pour le moment, rien ne permet de penser que la Chine sera capable, dans les 10 ans qui viennent, de rattraper ce retard technologique essentiel.

Est-ce que l’annexion de Taiwan permettrait de résoudre ce problème? 

Ma réponse est non. Je suis certain que Taiwan et TSMC ont envisagé cette hypothèse et pris toutes les mesures nécessaires pour éviter que les machines ASML tombent entre les mains de la Chine continentale. De plus, ces machines sont inutilisables sans la présence sur place, à temps plein, de dizaines ou centaines de salariés d’ASML, les seuls à en maîtriser le fonctionnement.

Il y a très peu de domaines où la “souveraineté numérique” de la Chine n’est pas garantie. L’impossibilité de disposer d’usines capables de fabriquer localement les générations les plus avancées de composants électroniques est aujourd’hui la plus pénalisante pour des dirigeants du pays.

 

Quelle place pour l’Europe

Les trois zones géographiques restantes ont toutes une présence dans l’industrie des composants électroniques.

XMap USA Europe Asie

Cette carte illustre le poids respectif des trois zones:

  • L’Europe, la plus petite.
  • Les Etats-Unis, qui ont perdu leur position dominante.
  • Les trois leaders en Asie: Taiwan, Corée du Sud et Japon.

Faut-il le rappeler? La France, seule, ne peut pas espérer devenir un acteur majeur de cette industrie, même si elle dispose déjà d’entreprises de qualité comme SOITEC.

Comme je l’ai expliqué dans la première partie, l’Europe occupe une place essentielle dans cette industrie, avec le monopole d’ASML dans les outils de lithographie permettant de graver en moins de 10 nm.

L’Europe dispose sur son sol de quelques capacités de production dans les composants d’entrée de gamme. En 2023, il n’y a pas en Europe d’usines capables de fabriquer les composants électroniques haut de gamme.

La fabrication de composants haut de gamme, c’est une industrie lourde, gourmande en capitaux et qui demande des compétences impossibles à acquérir rapidement.

XEuropean & USA chip actsLa bonne nouvelle, c’est que les dirigeants européens, comme leurs équivalents américains, ont pris conscience de l’importance de ce sujet. Des “Chip Acts” ont été annoncés avec la volonté d’investir chacun 50 milliards pour favoriser l’implantation sur leurs sols d’usines de composants haut de gamme.

Pour le faire, l’Europe négocie avec les deux grandes entreprises ayant des compétences dans ce domaine, Samsung et TSMC. C’est une démarche pragmatique que j’applaudis. En 2023, l'Europe n’a ni le temps, ni les moyens, ni les compétences pour développer des entreprises qui maîtrisent la fabrication de ces composants haut de gamme.

Les négociations sont très avancées avec TSMC qui devrait annoncer sa décision de construire une usine en Allemagne dans les semaines qui viennent. 

Mais… cette première installation se ferait sur des solutions “moyenne gamme”, avec des processeurs construits dans la gamme des 20 nm, et pas dans les plus avancées qui sont aujourd’hui entre 2 et 5 nm.

Est-ce que l’Europe disposera sur son sol, avant la fin de l’année 2030, d’usines capables de produire les composants électroniques de dernière génération? 

J’aimerais pouvoir répondre oui à cette question…

 

L’industrie des composants aux Etats-Unis

C’est aux Etats-Unis que tout a commencé, dans les années 1950, avec des entreprises comme Intel ou Texas Instruments.

La position dominante des Etats-Unis c’est progressivement réduite, avec l’arrivée du Japon puis des autres pays asiatiques.

Où en est-on, en 2023?

Ces deux graphiques donnent une image très différente de la situation, selon que l’on analyse la conception des composants ou leur fabrication.

XSIA Chip Design market share

Sur ce premier graphique, tiré d’une étude publiée fin 2022 par SIA, Semiconductor Industry Association, on constate que les Etats-Unis:

  • Avaient encore la majorité du marché, 51%, en 2015.
  • Que cette part de marché baisse depuis;  elle pourrait descendre à 36% en 2030.

Malgré cette baisse, les Etats-Unis resteront leaders pendant toute la décennie 2020.

La situation est très différente quand on parle de fabrication.

Ce deuxième graphique est tiré d’études faites par Deloitte.

XSemiconductor production capacity US

De 12% en 2023, la part de marché des Etats-Unis passera à environ 10% en 2025.

C’est pour lutter contre cette marginalisation que le Président Biden a signé le Chip & Science Act en août 2022.

Avec les subventions proposées par les Etats-Unis, TSMC a annoncé un investissement en Arizona de 40 B$ pour deux unités de fabrication.

La grande différence avec l’accord annoncé en Europe? Ce seront des usines qui produiront les générations les plus avancées de composants, gravés en 3 nm et 2 nm.

TSMC avait expliqué que fabriquer aux Etats-Unis augmentait le coût de 50% par rapport à Taïwan, ce qui peut expliquer les subventions américaines…

 

Les pays asiatiques, hors Chine

Ce graphique, tiré du livre de Chris Miller, résume bien la situation.

XChip War Map East asia produces

Ces pays fabriquent:

  • 90% des composants mémoires.
  • 75% des processeurs.
  • 80% des plaquettes de silicium.

L’usine mondiale des composants électroniques est en Asie.

Trois pays ont dominé ou dominent cette industrie, le Japon, Taiwan et la République de Corée.

Le Japon

Sur le graphique de l’étude Deloitte, présentée dans le paragraphe Etats-Unis, le Japon faisait partie des trois seuls pays producteurs de composants en 1990.

Même si sa part de marché a baissé depuis, il reste celui des trois qui a le mieux résisté et le Japon fabrique en 2020 plus que les Etats-Unis ou l’Europe.

Le Japon est resté important dans le marché des composants d’entrée de gamme, mais a totalement raté celui des composants haut de gamme, gravés en moins de 10 nm.

Sa réaction? Comme l’Europe et les Etats-Unis, le Japon a lancé son… Chip Act!

Et, oh surprise, qui va construire une usine au Japon? Vous l’avez deviné, c’est TSMC, comme aux Etats-Unis et en Europe.

La République de Corée

Dans la République de Corée, l’entreprise qui domine le marché pour la fabrication des composants électroniques est Samsung, le numéro deux mondial du secteur.

La Corée est présente dans les deux marchés:

  • Composants d’entrée de gamme: 44% des mémoires électroniques sont fabriquées en Corée.
  • Composants haut de gamme: Samsung dispose aussi des matériels ASML capables de graver en moins de 10 nm.

Et un… Chip Act de plus! Malgré la forte position du pays, le gouvernement de la République de Corée a aussi annoncé un plan d’aide au secteur des composants électroniques.

XSamsung 17 B$ Factory TexasComme TSMC, Samsung a choisi d’investir massivement à l’étranger, et en priorité aux Etats-Unis.

La nouvelle usine au Texas représente un investissement de 17 B$; elle sera opérationnelle en 2024

Et ce n’est qu’un début! Samsung envisage d’investir… 200 B$ dans onze autres usines aux Etats-Unis. Rien de définitif pour le moment, mais 5 B$ d’incitations fiscales sont prévues par l’Etat du Texas pour accélérer la décision.

Les projets d’investissements de Samsung en Europe existent, mais ils ne sont pas encore concrétisés.

Taiwan

Le T de TSMC, leader mondial de la fabrication de composants électroniques haut de gamme, c’est pour Taiwan!

Dans le graphique tiré du livre de Chris Miller présenté plus haut, on voit que Taiwan a un quasi-monopole sur la fabrication de ces composants haut de gamme, avec 90% du marché mondial

Taiwan et TSMC sont omniprésents dans ces deux billets sur les composants électroniques. En avril 2021, j’avais déjà consacré tout un billet à cette entreprise exceptionnelle.

S’il fallait une preuve de plus que cette industrie consomme beaucoup de capitaux, les investissements de TSMC pour la seule année 2022 ont atteint 36 B$.

En 2030, TSMC aura des usines de production dans tous les grands pays industrialisés qui comptent dans l’industrie des composants électroniques. Quelle belle réussite industrielle pour cette entreprise fondée en 1987 par Morris Chang. Chinois de naissance, il a fait l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis chez Texas Instruments (TI) avant de partir à Taiwan quand TI décida de le mettre sur la touche.

 

Composants électroniques: une géopolitique complexe

Il y a très peu d’industries qui aient un rôle aussi stratégique dans la géopolitique mondiale que celle des composants électroniques, et en particulier des composants haut de gamme.

Dans ces composants haut de gamme, les forces en présence sont visualisées par cette course de chevaux, que je vais analyser en commençant par ceux qui sont à la traîne.

XHorse races chip industry

  • La Russie n’est pas dans cette course, qu’elle a définitivement abandonnée.
  • La Chine essaie de recoller au peloton, mais les fortes sanctions prises à son égard par les Etats-Unis et l’Europe lui compliquent beaucoup la tâche. Est-ce que la Chine réussira à devenir un acteur majeur de cette industrie? C’est peu probable, au moins pendant les 10 ans qui viennent.
  • L’Europe, avec le monopole ASML, est un acteur clé. Les décisions prises d’accepter l’implantation sur son sol d’usines de fabrication construites par les leaders mondiaux TSMC et Samsung sont, de mon point de vue, intelligentes et pragmatiques.
  • Les Etats-Unis, qui étaient à l’origine de cette industrie, se sont fait distancer. Ils gardent encore un rôle essentiel dans la conception de ces composants haut de gamme, avec des entreprises telles qu’Apple. Comme l’Europe, ils ont pris la décision d’installer sur leur sol des usines TSMC et Samsung, pour rester aussi un acteur de la fabrication de ces composants.
  • La République de Corée et Taiwan font la course en tête et aucun autre pays ne semble, pour l’instant, capable de les rattraper. Ces deux pays et surtout Taiwan sont dans une zone géographique où de graves tensions peuvent naître, à l’initiative de la Chine. On comprend mieux pourquoi ils ont accepté de s’installer aux Etats-Unis et en Europe.

 

Synthèse: l’extrême fragilité de cet écosystème


Un monopôle, ASML et un duopole, TSMC et Samsung, contrôlent l’industrie des composants électroniques haut de gamme.

  • XGuerres se gagnent avec les pucesLa capacité des états à développer des armements de nouvelle génération en dépend. C’est un message que l’on retrouve dans cet article publié par le journal l’Opinion fin janvier 2023.
  • De nombreuses industries essentielles en dépendent: numérique et informatique, santé, automobile, aviation…

XAdS DPC résilience S 115798692Entre 2020 et 2022, le monde entier a vécu les prémices d’une crise économique importante, liée à la pénurie de composants électroniques.

Comment créer une résilience raisonnable dans le monde pour éviter qu’une crise majeure du secteur de la production de composants électroniques se traduise par une catastrophe économique qui toucherait tous les pays, et en priorité les pays industrialisés?

J’ose espérer que c’est une question que se posent les dirigeants politiques et économiques du monde entier.

Rappel: si ce sujet majeur vous passionne, n'oubliez pas de lire l’ouvrage de Chris Miller, CHIP WAR!

 


Le monde de l’éducation face à ChatGPT

 

XLogo MEN FranceLe secteur de l’éducation est très présent dans mon blog, en ce moment!

Il y a quelques jours, j’ai fortement critiqué dans ce billet une note du MEN, ministère de l’Education Nationale, sur les “bonnes pratiques” numériques.

J’avais aussi, en 2021, réagi à une recommandation de la DINUM, Direction Interministérielle du Numérique, mettant “hors la loi” Microsoft 365 dans le secteur public.

Cette initiative idiote de la DINUM avait hélas été reprise fin 2022 par le MEN, pour interdire Microsoft 365 et Google Workspace, décision que j’ai commentée sur LinkedIn.

 

L’éducation, une priorité pour tous les pays

Est-ce que je m’acharne contre les décisions du MEN par plaisir? Non, non et non!

Simplement je considère que c’est l’un des ministères les plus importants dans un gouvernement. L’avenir à long terme d’un pays en dépend.

XLouis Naugès TEDx CentraleSupélec 11:2022 1J’ai aussi, personnellement, des liens forts avec le monde de l’enseignement.

J'avais obtenu une bourse de la FNEGE, Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises. Cette bourse avait financé mon MBA à l’Université de Northwestern à Chicago.

En contrepartie, je m’étais engagé à enseigner pendant un minimum de 5 années à mon retour des Etats-Unis, ce que j’ai fait.

J’ai enseigné à l’INSEAD, à Sciences Po, à Supélec et dans beaucoup d’autres établissements.

J’ai été pendant plusieurs années enseignant à l’IAE de Paris, où j’ai participé à la création du DESS en Systèmes d’Information.

Je continue, mais de manière beaucoup moins intensive, à enseigner. Je participe entre autres depuis quelques années au Mastère Systèmes d’Information de GEM, Grenoble Ecole de Management.

Tout ceci explique pourquoi je suis de près ce que fait la France dans le domaine de l’éducation. Je ne suis pas pour autant un spécialiste de l’éducation et mes compétences sont limitées à deux domaines:

  • Les usages des technologies et outils numériques dans l’enseignement.
  • Les programmes d’enseignement dans les domaines du numérique.

Je vais dans ce billet parler du premier domaine, la technologie dans le monde de l’éducation, et en priorité de ChatGPT.

Cet outil d’intelligence artificielle est disponible depuis quelques semaines et son impact dans tous les domaines a été fulgurant.

De nombreuses questions se sont immédiatement posées sur les impacts de ChatGPT dans l’éducation.

Avant d’analyser cette nouvelle rupture technologique, je vous propose de revenir sur quelques exemples plus anciens “d’innovations technologiques” dans le monde de l’éducation.

 

Les combats perdus du monde de l’éducation contre les nouvelles technologies

Toute innovation importante fait l’objet de réticences à son adoption, et c’est logique.

Force est de reconnaître que le monde de l’éducation a souvent obtenu la médaille d’or de la plus grande résistance.

J’ai choisi quelques exemples qui illustrent bien cette capacité exceptionnelle de résistance.

La plume sergent major

XPlein et déliésLes plus anciens parmi vous, vos parents ou grands-parents ont connu à l’école primaire l’écriture avec la plume sergent major.

On la trempait dans un encrier et elle permettait aux enfants de faire de la “belle écriture”, avec les must de l’époque, les pleins et les déliés.

XBoîte Plumes sergent Major BICUn traumatisme majeur, pas “major”, secoue l'Éducation Nationale en 1953, l’arrivée du stylo à bille BIC! Il faudra attendre 1965 pour que la pointe BIC soit acceptée dans les écoles.

70 ans après, on peut encore en 2023 acheter des plumes Sergent Major. Qui les commercialise aujourd'hui? J’ai découvert avec surprise que c’est l’entreprise…BIC!

Calculatrice

XCalculatrice mode examen 2Les premières calculatrices ont semé la panique dans les rangs des professeurs: nos enfants ne sauront plus faire des calculs sans l’aide de machines!

Un bulletin officiel a publié en 2015 les règles précises d’usages des calculatrices pendant les examens. La France a aussi créé un nouveau marché, les calculatrices agréées en examen, avec une touche spéciale que l’on ne peut pas annuler pendant la période de l’examen.

Wikipedia

C’était un peu l’ancêtre de ChatGPT: il suffisait de poser une question à Wikipedia pour avoir des informations fiables, à jour et très complètes.

J’ai eu plusieurs collègues enseignants qui interdisaient à leurs élèves de consulter Wikipedia. Et oui, quand j’anime un cours, je vois des étudiants qui vérifient sur Wikipedia si ce que je leur dis est exact! C’est parfois stressant, mais cela m’oblige aussi à être un meilleur enseignant.

Il m’arrive souvent dans mes billets de blog de mettre des liens vers Wikipedia, une ressource extraordinaire de connaissances. Et oui, tous les ans, je fais un virement à Wikipedia pour les aider dans cette mission essentielle. Nous sommes trop peu nombreux à le faire…

Outils bureautique Cloud

XExchange Coach copieDans les billets que j’ai cités au début de ce texte, je fais référence à mes coups de gueule contre ces décisions absurdes et idiotes d’interdiction des outils universels Google Workspace et Microsoft 365, utilisés par plus de 95% des entreprises publiques et privées dans le monde. Le MEN continue, en 2023 à pousser les plumes Sergent Major de la bureautique des outils installés sur les postes de travail, Office, et des serveurs “on premise”, Exchange.

Je vous laisse ajouter à cette liste d’autres solutions informatiques et numériques que le monde de l’éducation a rejetées avant de les accepter, contraint et forcé par la pression des élèves et du monde extérieur.

 

Le traumatisme à venir: ChatGPT

XAdS DPC ChatGPT OpenAI S 555266997_Editorial_Use_OnlyChatGPT est disponible pour le grand public depuis la fin du mois de novembre 2022.

L’effet “whaouh” a été instantané. En janvier 2023, Il faut avoir vécu comme un ermite sans la moindre connexion Internet pour ne pas avoir entendu parler de ChatGPT.

Pour une analyse plus générale des impacts de ChatGPT, je vous conseille fortement de lire l'analyse d'Yves Caseau.  Yves est le Group Chief Digital and Information Officer chez Michelin. Il a une capacité exceptionnelle pour analyser et anticiper les grands mouvements dans le monde du numérique.

Comme beaucoup d’entre vous, j’ai rapidement ouvert un compte sur OpenAi et j’ai posé de nombreuses questions, en anglais et en français.

Le monde c’est rapidement divisé en deux camps:

  • Ceux qui voient le verre à moitié plein, sont impressionnés par les performances de cet outil et la pertinence des réponses obtenues.
  • Ceux qui voient le verre à moitié vide, posent beaucoup de questions avant d’en trouver une pour laquelle les réponses de ChatGPT sont clairement mauvaises et s’empressent de le publier en disant tout le mal qu’ils pensent de cet outil.

Je fais évidemment partie de la première population. Cette première version est époustouflante. Les professionnels du numérique ont vite compris que des améliorations vont avoir lieu dans les semaines et mois qui viennent.

La version actuelle, ChatGPT 3, sera bientôt remplacée par la version 4.
Sam Altman, CEO d’OpenAI, maison mère de ChatGPT, a expliqué dans cet article que les progrès seraient raisonnables, pas spectaculaires.

Les impacts de ChatGPT sur le monde éducatif ont suscité un maximum de questions.

C’est ce seul thème que je vais analyser dans la suite de ce billet.

 

Les réponses de… ChatGPT

Quel a été mon premier réflexe quand j’ai décidé d’écrire ce billet? Vous l’avez deviné, j’ai… posé plusieurs questions à ChatGPT.

Voici, sans aucune retouche, les réponses à deux des questions que j’ai posées.

J’ai mis en italique les questions et les réponses.

 1 - Comment éviter que des étudiants trichent aux examens avec ChatGPT

Il y a plusieurs méthodes qui peuvent être utilisées pour éviter que les étudiants trichent aux examens avec ChatGPT ou d'autres modèles de traitement automatique de la langue. Voici quelques exemples :

  • Utiliser des questions à choix multiple ou des réponses courtes pour limiter les réponses possibles.
  • Utiliser des questions qui nécessitent une réponse développée ou des calculs mathématiques pour limiter l'utilité de ChatGPT.
  • Utiliser des capteurs de plagiat pour détecter les réponses copiées de ChatGPT ou d'autres sources.
  • Utiliser des procédures de surveillance pour surveiller les activités des étudiants pendant les examens, comme interdire l'accès à Internet ou à d'autres applications.
  • Enseigner aux étudiants les conséquences de tricher et les inciter à développer leur propre compréhension et leur propre réflexion.

Il est important de noter que ces méthodes ne sont pas infaillibles et qu'il est important de continuer à évaluer et à mettre à jour les procédures pour s'assurer qu'elles restent efficaces. Il est également important de rappeler que le but de l'éducation est d'aider les étudiants à développer leurs propres connaissances et compétences plutôt que de les aider à tricher aux examens.

2 - Comment utiliser intelligemment ChatGPT dans le monde de l'éducation?

Il y a plusieurs façons d'utiliser ChatGPT dans le monde de l'éducation :

  • Comme outil d'écriture automatique pour aider les étudiants à améliorer leur grammaire et leur orthographe.
  • Comme outil de génération de contenu pour aider les enseignants à créer des devoirs, des tests et des études de cas.
  • Comme outil de réponse aux questions pour aider les étudiants à trouver des réponses à leurs questions de recherche.
  • Comme outil d'analyse de texte pour aider les enseignants à évaluer les travaux des étudiants.
  • Comme outil de traduction pour aider les étudiants à comprendre les textes écrits dans des langues étrangères.

Il est important de noter que ChatGPT est un outil automatisé et qu'il doit être utilisé en combinaison avec un enseignement humain pour obtenir les meilleurs résultats.

 

Je vous laisse juger de la pertinence de ces réponses.

Mon sentiment est que la forme est plus impressionnante que le fond.

 

La réponse “pavlovienne” du monde de l’éducation à ChatGPT

Cela n’a pas tardé!

Un grand nombre d’organismes d’enseignement aux Etats-Unis ont déjà pris la décision d’interdire l’usage de ChatGPT. Cet article en donne une première liste.

XNYC Ban ChatGPT Le département éducation de la ville de New York fait partie des premiers à avoir interdit l’usage de ChatGPT, par les professeurs et les étudiants.

Et s’il y avait une autre réponse que cette interdiction…

 

Encourager l’usage de ChatGPT dans l’éducation

XEthan Mollick WhartonVous ne connaissez pas Ethan Mollick?

Il est professeur à l'Université de Wharton à Philadelphie aux Etats-Unis.

Il est devenu célèbre en quelques jours après avoir publié des recommandations sur la démarche qu’il va mettre en œuvre avec ses étudiants.

En voici le texte intégral, en anglais.

XChatGPT recommandations by Ethan Mollick

J’en traduis les premières lignes:

“J’attends de vous que vous utilisiez l’IA (ChatGPT et les outils de création d’images, au minimum) dans cette classe. En fait, certains des travaux demandés exigeront que vous le fassiez.”...

Dans la suite, il ajoute: “soyez conscients des limites de ChatGPT…

Je trouve ses recommandations très pragmatiques et mesurées. C’est tout sauf le texte d’un fan inconditionnel de l’IA.

Ethan Mollick précise sa pensée dans ces deux textes dont je vous recommande fortement la lecture:

D’autres enseignants, comme Ted Ladd qui donne des cours à Harvard et Stanford, reprennent les démarches d’Ethan Mollick.

 

Quelles réponses en France par le Ministère de l’Education Nationale?

XChatGPT - Deux routesJ’ai identifié deux pistes possibles pour répondre aux défis posés au monde de l’éducation par ChatGPT:

  • L’interdiction immédiate.
  • L’encouragement à son usage.

La première réponse est, comme je l’ai écrit, très pavlovienne.

C’est celle que, naturellement, l’immense majorité des responsables du MEN et des enseignants vont privilégier.

Ce que j’aimerais, c’est que, avant de se précipiter, le MEN prenne le temps de réfléchir aux avantages et inconvénients des deux réponses possibles.

Ce serait un signal très fort de sa capacité à encourager des solutions numériques innovantes si le MEN en France prenait, en 2023, la décision… d’encourager l’usage de ChatGPT dans les établissements d’enseignement qui dépendent de lui.

Il faudrait, avant, lancer un programme de formation des enseignants.

Ma recommandation serait de le faire de manière progressive:

  • Dès février 2023: 
    • Le MEN soutient les enseignants universitaires volontaires pour suivre une démarche similaire à celle de Ethan Mollick.
    • Le MEN lance une campagne de formation de tous les enseignants des universités aux méthodes d’utilisation efficaces de ChatGPT.
  • Les universités et tous les établissements post-bac mettent en œuvre une démarche proactive d’usage de ChatGPT en septembre 2023.
  • Les lycées et collèges prennent le relais en septembre 2024.

Dans le primaire, le sujet ChatGPT n’est pas prioritaire, l’apprentissage des fondamentaux, oui.

Le Ministère de l’Education Nationale française à la pointe des usages du numérique? Et si cela devenait une réalité?

 

ChatGPT: dimensions financières

La consommation de ressources informatiques par chaque question posée à ChatGPT est importante.

Pour le moment, OpenAI a fait le choix d’une démarche “freemium”, en permettant à tout le monde de l’utiliser sans payer un abonnement.

Cette démarche freemium sera, très vite, complétée par une offre payante.

Xchatgpt paid 42$ professional planLes premières annonces, non officielles, commencent à fuiter dans la presse, comme le montre cet écran qui annonce une version payante à 42$ par mois.

La version freemium resterait disponible, mais sans aucune garantie d’accès à l’outil en cas de demandes fortes
XOverloaded ChatGPTC’est déjà le cas aujourd’hui. J’ai eu plusieurs fois un message m'informant que je devrais revenir plus tard pour poser ma question

Il y a fort à parier que quand la version payante sera disponible, les utilisateurs freemium auront de plus en plus de mal à accéder à ChatGPT.
Cela ne me choque pas; je suis conscient des coûts de “run” d’un outil d’IA comme ChatGPT.

Je vois un autre avantage à la priorité donnée à des versions payantes. Les usages fantaisistes de ChatGPT vont vite se tarir et ne resteront que ceux qui offrent une vraie valeur aux utilisateurs.

Je connais peu de personnes qui vont investir 500 € par an pour “jouer” avec ChatGPT.

 

Synthèse

Oui, ChatGPT est une véritable rupture. C’est la première fois qu’un outil d’IA est accepté aussi rapidement par le monde entier, et par des personnes qui à la limite ne savent pas qu’il s’agit d’IA et ne se posent pas cette question.

La conséquence? Tous les élèves et étudiants qui sont aujourd’hui dans des établissements d’enseignement rentreront dans la vie active dans un monde où l’IA sera omniprésente, quels que soient leurs métiers futurs.

Il serait dramatique que le MEN ne comprenne pas l’importance de cette irruption de l’IA dans le monde professionnel et ne prenne pas, très vite, la décision d’encourager l’utilisation d’outils d’IA dans tous les cursus d’enseignement.
On parle de ChatGPT aujourd’hui, mais ce n’est qu’un signal avant-coureur de l’arrivée de dizaines de nouveaux outils d’IA tous plus puissants les uns que les autres, de plus en plus “intelligents”.

 


Le document le plus ridicule sur les usages numériques que j’ai lu depuis longtemps

 

Il y a longtemps que je n’avais pas lu un “chef d’œuvre” numérique aussi nul.

L’auteur de ce texte d’une rare bêtise, que je n’aurais même pas osé écrire en 1990:

Le ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse (MEN)

Recommandations MEN

 

Voici ce texte dans son intégralité, avec quelques commentaires personnels…

 

10 conseils pour adopter des gestes reponsables pour un usage partagé des outils numériques

Cela commence bien ! Il y a une faute d'orthographe dans le titre. C’est probablement pour se mettre au niveau des plus mauvais élèves de nos écoles et leur montrer que les fautes d’orthographe, ce n’est pas grave, même le ministère en fait.

 

  1. Sur mon poste de travail professionnel, je réserve mes consultations internet à un usage strictement professionnel. 

Tout le monde sait que les élèves sont super équipés en outils numériques et ont deux smartphones, deux PC portables, un pour les usages personnels, un autre pour les activités éducatives. 

C’est aussi leur donner d”’excellents” réflexes pour optimiser leur frugalité numérique. J’ai une information qui pourrait être utile pour le MEN: 

  • Pour un smartphone utilisé 3 ans, l’énergie nécessaire pour sa fabrication est trois fois plus grande que pour ses usages.
  • Pour un PC portable c’est 50% fabrication, 50% usages.
  • En utiliser deux, c’est la plus mauvaise solution pour la planète.

 

  1. Je limite le nombre de mes terminaux (ordinateur ou mobile) connectés en même temps aux services numériques du ministère.

Autre décision idiote: je ne vais pas faire la même activité deux fois sur deux terminaux différents et il est souvent utile de travailler en parallèle sur deux activités différentes.

A moins que… la bande passante des réseaux internes des établissements scolaires ne soit pas suffisante. 

N’oublions pas que le MEN n’a pas encore compris que gérer en interne, “On Premise”, des infrastructures numériques est une absurdité totale, une gabegie financière et une source de risques maximaux de cyberattaques.

 

  1. Lorsque c’est possible, je privilégie la connexion internet de mon domicile plutôt que le réseau de téléphonie mobile.

Sur ce point, je suis d’accord. Utiliser le WiFi à la place d’un réseau mobile quand c’est possible est une bonne recommandation.

Question? Pourquoi réserver cette recommandation à son domicile, et ne pas la promouvoir aussi dans les établissements scolaires? 

 

  1. Quand je peux gérer mes messages dans mon client mail, je n’utilise pas le webmail.

Utiliser un client lourd pour la messagerie? Oui, je le faisais avant l’arrivée des solutions natives Cloud comme Google Workspace en 2007.

Quelle belle préparation aux usages modernes du numérique en 2023 que de déconseiller le client Webmail, le plus universel, le plus performant.

Ah oui, j’oubliais! Il y a encore des établissements scolaires qui utilisent des messageries installées en interne comme Exchange de Microsoft…

 

  1. Pour les mails : je limite le nombre et la taille des pièces jointes, je supprime les images de ma signature. Je partage mes fichiers via les espaces partagés ou les sites collaboratifs.

J’avoue ne pas comprendre : faut-il continuer à envoyer des pièces jointes ou utiliser des espaces collaboratifs comme Google Drive qui… évitent d’envoyer des pièces jointes?

Dites-moi combien de pièces jointes vous envoyez par jour: j’en déduirai le niveau d’archaïsme de vos modes de travail.

 

  1. Pour bien préparer mes réunions, je partage les documents en amont afin de pouvoir étaler les téléchargements.

Encore une recommandation des années 1990. 

Tous les documents dont on a besoin pour une réunion sont disponibles dans un espace partagé, dans les Clouds Publics de Microsoft ou Google, les deux seules solutions opérationnelles en 2023.

On n’a pas besoin d’étaler les téléchargements, car… on ne télécharge plus rien!

Le mot téléchargement est rayé de mon vocabulaire, et depuis longtemps.

Autre avantage: ces solutions sont encore gratuites pour le monde éducatif.
 

  1. J’utilise des messageries instantanées comme Tchap pour garder le contact avec mes collègues.

Tchap? Vous connaissez ? Moi, non.

J’ose à peine imaginer la tête des élèves et des étudiants à qui on demanderait d’utiliser cet outil à diffusion confidentielle.

WhatsApp, Messenger, Google Chat… Quel scandale si on acceptait au MEN de recommander les outils que tout le monde connaît et utilise de manière permanente dans ses usages personnels.

 

  1. Pour aller plus vite, je n’hésite pas à envoyer des SMS.

Aller plus vite ? Plus vite par rapport à quoi ? Je ne comprends pas. 

Oui, il y a des moments ou l’usage d’un SMS fait sens, mais ce ne sera jamais un substitut à la messagerie électronique ou à une messagerie instantanée. Tous les outils de communications numériques ont une place dans la vie numérique d’une personne.

 

  1. Pour tenir une réunion à distance, je privilégie le téléphone ou l’audioconférence.

Une réunion téléphonique à plusieurs?

Une audioconférence?

Je ne savais pas que ces solutions techniques existaient encore en 2023.

L’efficacité d’une réunion téléphonique à distance avec 10 personnes, vous y croyez?

Moi, pas du tout!

 

  1. Lors d'une visioconférence, je n'utilise la fonction vidéo que si elle est nécessaire.

Il y a deux raisons principales pour couper la vidéo dans une visioconférence:

  • La bande passante disponible n’est pas suffisante. Cette situation ne se produit “jamais” dans les établissements scolaires : ils disposent tous d’une capacité exceptionnelle permettant à tout le monde de garder la vidéo active.
  • Ne pas souhaiter que les autres participants “voient” comment vous êtes habillés ou ce que vous faites en même temps… car cette réunion ne vous intéresse pas.

Dans la majorité des visioconférences, quand le nombre de participants est raisonnable, la convivialité des réunions est améliorée par l’usage de la vidéo.

 

J’arrête là ce jeu de massacre.

Que le MEN, le ministère français qui emploie le plus grand nombre de salariés, ose laisser publier en 2023 un document aussi désespérément nul, ce n’est pas un signal très encourageant sur la capacité des responsables politiques à promouvoir des usages numériques efficaces.

Quand peut-on espérer voir le MEN publier un document faisant la promotion d’usages numériques modernes?

  • En 2030
  • En 2050
  • Jamais.

Je vous laisse répondre à cette question.