Le mot le plus dangereux de la langue informatique ?
03/01/2007
Ce mot est universellement utilisé, par tous les éditeurs de logiciels, les sociétés de services, les fournisseurs de matériels et la majorité les DSI.
Ce mot a une image très positive ; l’employer pour parler de sa stratégie est un signe de grande maturité.
Ce mot est, sera, la cause d’un maximum de catastrophes dans les Systèmes d’Information (SI) des grandes organisations s’il ne disparaît pas, rapidement, de notre vocabulaire, de notre façon d’appréhender le futur des SI.
Parlant ainsi, je prends le risque, que j’assume, de me mettre à dos tout le Gotha des fournisseurs, qui tire l’essentiel de ses revenus des erreurs commises au nom de ce mot magique.
A votre avis, quel peut être ce mot “Janus” ? C’est :
Intégration
Il existe sous plusieurs formes et je mets dans un même sac ses déclinaisons les plus fréquentes : Intégré, intégrateur, système intégré...
Ma définition du mot intégration ne fera pas plaisir à tout de monde !
Intégration = réponse des faibles face à la complexité
Un message aussi fort, aussi à contre-courant de la culture informatique dominante actuelle, ne peut pas être asséné sans justifications ; je vais m’essayer à ce redoutable exercice.
Intégration, une fausse bonne idée ?
Il est très difficile ne ne pas être d’accord avec les promesses des sirènes de l’intégration ; vous en connaissez les merveilleux avantages :Ils vous parlent tous des Systèmes d’Information Intégrés (SI2, prononcer S hideux !)
- Tout fonctionne de manière harmonieuse.
- Un seul “Intégrateur” prend en charge votre Si et vous soulage de toutes les difficultés.
- Chaque application est cohérente avec toutes les autres.
- Chacune des 2 648 pièces du puzzle de votre SI2 a sa place, une seule place, et s’intègre parfaitement avec les pièces voisines.
- Les données sont stockées une seule fois, en un seul endroit
- .... (Je vous laisse le soin de trouver d’autres vertus à l’intégration.)
Intégration, source de nombreux “maux” des Systèmes d’Information
Et si l’intégration était une mauvaise idée, un concept à oublier ?
J’entends déjà les hurlements des grands cabinets de conseil, des grands éditeurs de logiciels qui ont construit leur “business model” sur l’intégration.
Toute entreprise qui prend le chemin de l’intégration pour construire son SI se retrouve, très vite, confrontée à des problèmes majeurs, et qui vont en empirant avec le temps :
- Délais et budgets de mise en œuvre de ces solutions intégrées.
- Inflexibilité croissante des solutions.
- Dépendances accrues vis-à-vis des fournisseurs, des intégrateurs.
- Incapacité à changer facilement un élément défaillant.
- Difficultés pour profiter des innovations technologiques.
Dans un monde imprévisible, où la capacité à faire évoluer très vite tout ou partie de son SI devient un avantage concurrentiel majeur, les chaînes de l’intégration se feront de plus en plus pesantes.
La démarche des Intégrateurs
Je suis très “admiratif” du talent d’illusionnistes des grands intégrateurs, qu’ils soient sociétés de services ou fournisseurs de solutions.
Ils ont réussi à masquer la cruelle réalité des solutions intégrées et tenir un discours lénifiant qui a endormi la méfiance de milliers de DSI et Dirigeants.
Leur message marketing, parfaitement rodé, sait jouer sur les frustrations des dirigeants qui comprennent mal les enjeux des SI et sur les difficultés, normales, des DSI.
L’expression qui, probablement, a le plus servi et a fait le maximum de dégâts est : “Core Business”.
Le discours mortel, souvent présenté sur un terrain de golf, ressemble à cela :
“ Cher Monsieur, votre “Core Business”, c’est la banque, la chimie, l’énergie...Notre “Core Business”, ce sont les Systèmes d’Information. Vous nous confiez votre SI, et comme nous l’avons fait pour de très nombreuses entreprises de votre secteur, nous assurerons l’intégration de votre SI pour que vous puissiez consacrer toute votre énergie à votre métier.”
Pour éviter de trop mauvaises surprises, je vous propose une règle de management très simple :
“Tout contrat d’intégration qui dépasse 12 mois et 3 millions d’euros est un mauvais contrat qui doit être refusé.”
Je ne peux m’empêcher de trembler quand je lis que l’un des derniers contrats signés en 2006, par IBM et Siemens, pour l’intégration du SI de l’armée allemande, atteint les 7 milliards de dollars. Je suis désolé pour ce client de devoir lui annoncer, avant même le début du contrat, que ce sera un échec.
Je ne peux m’empêcher de trembler quand je lis que le MINEFI, Ministère des Finances en France, a signé un contrat d’intégration pour installer SAP pour la gestion des finances publiques, projet Chorus, quand il est facile de comprendre qu’un progiciel de ce type ne peut pas être la solution d’un problème aussi unique.
Un développement spécifique, en Java ou PHP, utilisant un maximum de composants déjà existants, répondrait beaucoup mieux au problème posé, 3 fois plus vite et avec un budget de 3 à 5 fois plus petit. Je sais, le “sur-mesure” n’est pas à la mode, voir plus loin sur le comportement “Panurge” de la profession informatique.
C’est une bonne nouvelle pour SAP, c’est une bonne nouvelle pour les intégrateurs choisis, c’est une mauvaise nouvelle pour nous tous, les contribuables, qui devront payer la facture.
Heureusement, les derniers chiffres publiés par les grands cabinets d”études de marché sont encourageants en montrant que la durée et le coût moyen de ces grands contrats d’intégration ont baissé en 2006.
Les DSI face à l’intégration
J’ai un peu de peine à écrire ce texte après les fêtes de Noël et à priver des DSI du beau cadeau que leur promettaient les Intégrateurs : un “SI2” sans soucis.
Construire un SI de qualité est une tache complexe, épuisante, mais passionnante. L’essentiel est de ne pas se tromper de stratégie ; en 2007, plus que jamais, l’intégration est un cul-de-sac.
La première étape, dans la bonne direction, consiste à sortir du piège de l’intégration et à basculer, immédiatement, dans une logique de composants.
Se libérer des solutions intégrées est difficile, long, douloureux et pénible. Cela ressemble beaucoup à une cure de désintoxication pour alcooliques ou drogués.
C’est aussi le dur chemin que doivent faire les personnes qui ont le courage d’abandonner une secte religieuse, qui est une autre image qui me vient à l’esprit quand on parle d’intégrateur.
Les sectes religieuses “performantes” sélectionnent en priorité de nouveaux clients très riches. Ils ne les rejettent que quand ils sont définitivement ruinés.
Toute ressemblance entre le comportement des sectes et des intégrateurs serait une simple coïncidence !
Dés-intégrer un Système d’Information : comment ?
Dés-intégrer un SI est une tache difficile, qui me fait penser aux démineurs qui doivent éliminer le danger, une bombe à la fois. Semer un champ de mines se fait en quelques heures, déminer le même territoire prendra des semaines ou des mois.
Le mot “positif”, qui se substitue au mot intégration est :
Composants
La séparation des composants d’infrastructures, des composants applicatifis, et des composants de services, est, plus que jamais, le seul chemin qui mène au succès.
La démarche composants est très ancienne ; depuis plus de 20 ans, les approches objets ont fait, petit à petit, leur trou. Les entreprises innovantes qui se sont appuyées sur les premiers langages objets tels que SmallTalk ou Java ont gagné beaucoup de temps et d’efficacité.
L’arrivée du Web; et en particulier du Web 2.0, permet maintenant de généraliser cette approche à un niveau d’agrégation plus élevé. Les Services Web 2.0 sont des composants, les réseaux sont des composants.
Un exemple simple, voire simpliste, pour comprendre la différence entre intégration et composants est celui des navigateurs Web.
IE6 est un navigateur intégré à Windows ; il est quasiment impossible de l’éliminer. Microsoft a fait un pas dans la bonne direction avec IE7, qu’il est plus facile de désinstaller.
Firefox est un composant que l’on peut, en quelques minutes, installer, et dés-installer, de son PC, de son Macintosh ou d’un poste Linux.
Alors, IE ou Firefox, quelle est la solution la plus intelligente ?
Un autre exemple est celui des moteurs de recherche. Microsoft et Yahoo, qui essaient de détrôner Google de son leadership dans ce domaine espèrent réussir en se disant que l’adhérence d’un client à un moteur de recherche est très faible ; ils ont raison !
C’est un très bon exemple de composants, c’est une très bonne nouvelle pour les clients. Si je ne suis pas satisfait des résultats d’un moteur de recherche, je ne suis qu’à un clic d’un autre moteur; J’ai, en permanence, dans mon navigateur Firerox, 7 moteurs de recherche à ma disposition.
Que cette liberté retrouvée des clients fasse peur aux fournisseurs qui avaient bâti leur fortune sur des adhérences fortes, en clair l ‘intégration, je le comprends ; que ce soit une excellente nouvelle pour tous les clients, c’est aussi une évidence.
Bien comprise, bien gérée, la démarche composants redonne le pouvoir aux DSI ; ils peuvent, à tout moment, changer de fournisseur, de prestataires s’ils ne sont pas satisfaits des résultats obtenus ou si une innovation leur permet d’obtenir un meilleur service à moindre coût.
Ce qui est possible avec les navigateurs, les moteurs de recherche, les opérateurs de téléphonie mobile, les fabricants de disques durs externes peut, doit ( la norme, et non pas l’exception.
Le niveau d’adhérence à une solution, un service deviendra-t-il le premier critère de choix d’un DSI ?
Pour construire un SI, je préfère choisir une solution raisonnable, “Post-it”, qu’une solution parfaite “SuperGlue” !
(Ceci n’est pas vrai dans d’autres domaines ; les bricoleurs vous le diront !)
Un message d’espoir : la Dés-intégration est possible.
De plus en plus, des fournisseurs intelligents acceptent de jouer la carte des composants non intégrés. J’en prendrais deux exemples :
- Information Builders, avec son offre iWay, propose environ 300 connecteurs pour relier la “Search Appliance” de Google à l’immense majorité des applications et bases de données “héritages” existantes. Il vous suffit d’acheter les connecteurs dont vous avez besoin, un par un. Ceci ne les empêche pas de parler de “integrated solutions” !!! Il sera dur de faire disparaître ce mot !
- Salesforce.com se concentre sur le CRM, son métier de base (Core Business pour les snobs). Avec AppExchange, il permet à d’autres éditeurs de logiciels de proposer des composants supplémentaires, un par un, dans les domaines aussi divers que les ressources humaines ou la finance.
Un remarquable proverbe espagnol résume très bien la situation actuelle :
“Mal de muchos, consuelo de tontos”
En Français : “Erreur de la majorité, réconfort des imbéciles”
Il est significatif, et dommage, qu’un proverbe équivalent n’existe pas en France. Ce n’est pas parce que tout le monde fait une bêtise, va au “casse-pipe” qu’il faut s’y précipiter. Ces moutons de Panurge, remarquable photo de Mr Maltête, illustrent bien la situation !
Vous êtes prévenus !
Sortez au plus vite du piège mortel de l’intégration !