L’innovation, dans toute sa noblesse !
15/01/2007
A moins de vivre sur une lie isolée, sans accès Internet (de plus en plus difficile à trouver !), vous avez déjà vu des images du nouvel objet annoncé par Steve Jobs, CEO d’Apple, l’iPhone.
C’est, dans toute la jeune histoire de Digg, le site d’information où les internautes classent les nouvelles, celle qui a eu le maximum de “digg” en une seule journée.
J’ai attendu une semaine pour publier ce texte qui ne privilégie pas le scoop, mais analyse les impacts potentiels de cette annonce.
Je vous parlerai peu des caractéristiques techniques de ce produit ; le site d’Apple qui le présente est très complet.
Je ne rentrerai pas dans la polémique qui oppose Apple et Cisco sur la propriété de la marque iPhone ; c’est un épiphénomène sans grande importance.
Un bol d’air frais
Si vous ne l’avez pas déjà vue, arrêtez immédiatement ce que vous faites en ce moment et cliquez sur le lien suivant ;
Vous pourrez visualiser la vidéo Quicktime de l’annonce de l’iPhone par Steve à MacWorld 2007, San Francisco. Pendant plus d’une heure, vous assisterez à un spectacle passionnant, exceptionnel, instructif.
C’est une cure d’optimisme, efficace et gratuite, pour bien commencer 2007.
Une Innovation majeure
Les utilisateurs actuels de PDA communicants ou de smartphones, j’en suis, ne peuvent pas ne pas partager l’avis de Steve quand il dit que ces objets sont peu ergonomiques et très “limites” dans les usages Internet qu’ils permettent.
Ce sont, selon le modèle de l’innovation popularisé par Clayton Christensen, dont j’ai présenté l’essentiel dans un texte antérieur, des outils en position B, en deçà des attentes raisonnables des utilisateurs.
Où situer l’iPhone dans ce modèle ?
La réponse à la question n’est pas évidente ; je propose deux réponses :
- L’iPhone est une “évolution” importante des outils existants et se place sur la droite “innovations continues”, mais à sa jonction avec la ligne “besoins et attentes”, entre le point B et le point A.
- L’iPhone est une innovation de “rupture”. Mais, dans ce cas, il faudra le placer en D car il est plus proche des attentes des utilisateurs que les produits “B” qu’il ambitionne de remplacer.
Dans cette hypothèse, Apple aurait réalisé un double exploit d’innovation, en créant à la fois une rupture technologique et une meilleure réponse aux attentes du marché !
Personnellement, je penche plutôt pour cette deuxième hypothèse.
J’y vois aussi le moyen de rendre encore plus proche que je ne l’espérais, la réalité du MobilWeb 2.0.
Quelques éléments majeurs de cette innovation
Difficile de faire un tri dans le déluge d’innovations proposé par l’iPhone.
J’ai choisi d’en privilégier deux.
- Une nouvelle interface utilisateur.
Dans ce domaine, où Apple excelle, l’iPhone crée une véritable rupture en ne proposant ... qu’un seul bouton physique pour le pilotage des fonctionnalités, le bouton “home”, qui vous ramène au menu initial.
Un, ou deux, doigts permettent ensuite de piloter les fonctions de l’iPhone, en utilisant intensivement un écran tactile.
- Un téléphone “software only”.
Basé sur une version spécialisée d’OS/X, le système d’exploitation bien connu d’Apple, l’iPhone utilise uniquement du logiciel pour piloter les fonctionnalités proposées et l’interface utilisateur.
Libéré des contraintes liées au matériel, telles que les touches fonctions ou les tailles d’écran, ceci permettra à Apple de proposer facilement de nouvelles fonctionnalités sur les iPhones existants ou d’en créer de nombreuses variantes.
Dans le débat très ancien qui oppose la démarche suivie par Apple, qui souhaite contrôler le matériel et le logiciel, à celle de Microsoft qui laisse le choix des composants matériels à des tiers, l’iPhone met en évidence les avantages de cette démarche.
L’échec cuisant subi par Apple quand ils ont essayé de produire un téléphone avec Motorola a du les conforter dans leur stratégie.
Pushmail, accéléromètre, widgets, je vous laisse le plaisir de découvrir, dans la vidéo de Steve, les nouveautés qui vous paraîtront importantes.
Dimensions réseaux
L’iPhone est proposé avec trois protocoles réseaux :
- Bluetooth
- Wi-Fi (b/g)
- Edge
L’essentiel de la présentation “live” a été fait en utilisant un réseau Wi-Fi ; le réseau Edge a été utilisé uniquement pour la voix.
Certains de ces choix peuvent paraître surprenants, voire démodés.
Pour les comprendre, il faut se rappeler que le marché US des télécoms est très différent de ceux de l’Europe et de l’Asie.
C’est l’un des marchés les plus “ringards” du monde en terme de téléphonie mobile ; la cohabitation des standards CDMA et GSM interdit l’interopérabilité entre les grands opérateurs.
Le choix, comme opérateur exclusif d’at&t-Cingular est, à mon avis, dicté par le fait que c’est le plus grand acteur du marché et qu’il utilise la norme GSM, présente dans l’immense majorité des marchés hors USA.
La possibilité d’utiliser l’iPhone avec des réseaux Wi-Fi est importante ; les hotspots sont très répandus et je pronostique que l’essentiel des usages Internet se fera en Wi-Fi.
Il n’est besoin d’être un grand devin pour comprendre que des solutions de VoIP sur Wi-Fi, type Skype ou Gizmo, seront vite disponibles pour l’iPhone; permettant aux utilisateurs de s’affranchir des contraintes imposées par les opérateurs et de réduire les coûts de communication voix.
Des phrases chocs
Le génie marketing de Steve Jobs et d’Apple est évident ; il suffit de citer quelques expressions utilisées pendant cette présentation :
- Every once in a while a new product comes around that changes everything.
- Internet in your pocket
- Reinvented the phone
- Powerful Cloud Computer
- Blackberry, without the expenses
Il y en a d’autres ; à vous de les découvrir.
Le show de Steve Jobs
Depuis longtemps, Steve Jobs nous a habitués à des présentations de très haute qualité dans leur format et leur contenu. C’est un spectacle qui a beaucoup de fans, et j’en suis. La cuvée janvier 2007 est exceptionnelle, et mériterait un 95 sur l’échelle de l’oenologue Parker !
Etre, pendant une heure, capable de créer l’enthousiasme, le rire, l’intérêt, en présentant un ... téléphone ! chapeau !
Il me faisait parfois penser à un gamin qui vient de découvrir, sous le sapin de Noël, le jouet tant attendu. Il a prononcé très souvent les mots “unbelievable” et “Cool”.
C’est aussi l’une des premières fois qu’un grain de sable s’est glissé dans cette mécanique bien huilée et’il a du improviser pendant une minute, en attendant que ses équipes réagissent. Connaissant son goût pour l’excellente et ses exigences, j’imagine que certaines personnes ont passé un mauvais moment.
La différence était abyssale entre le style de présentation de Steve Jobs et celui de Stan Sigman, CEO de Cingular-at&t, invité sur scène pour annoncer leur accord et ânonnant des phrases fades qu’il lisait sur des fiches papier.
Est ce que Steve Jobs l’a fait sciemment venir, connaissant la totale nullité de cette présentation, pour mettre encore plus en évidence sa propre performance ? J’avoue que l’idée m’a un moment effleuré l’esprit.
Protection du secret
Je suis aussi très admiratif de la capacité d’Apple à garder le secret pendant les 30 mois qu’ont duré la mise au point de l’iPhone.
C’est d’autant plus spectaculaire qu’Apple a été amené à collaborer avec de nombreux acteurs externes tels que Cingular, Yahoo, Google et la société asiatique qui va fabriquer les iPhones.
Malgré tous les sites Web et les milliers de fans qui essayaient, la veille encore de Macworld, d’imaginer ce que pourraient être les nouveaux produits, personne n’a été capable d’anticiper un tant soit peu l’iPhone.
Cette volonté de créer un événement est aussi, à mon avis, l’une des raisons qui ont poussé Apple à faire l’annonce d’un produit plusieurs mois avant sa sortie officielle. S’agissant d’un téléphone, Apple est obligé de déposer un dossier auprès des organismes régulateurs, tels que la FCC aux USA. Un dossier déposé à la FCC est public ; cela aurait rendu obligatoires des fuites et Steve ne l’aurait pas supporté.
Dimensions économiques
Je ne vois pas quel autre personne que Steve Jobs pouvait faire venir, à quelques minutes d’intervalle les patrons des deux plus grands acteurs du Web, Eric Schmidt de Google et Jerry Yang de Yahoo, qui sont en même temps des concurrents féroces.
Google Maps d’un coté, Yahoo mail de l’autre, être capable de signer simultanément ces deux accords alors qu’il existe aussi Gmail et Yahoo Maps mérite un beau coup de chapeau pour les talents de négociateur de Steve Jobs !
En entrant sur le marché des smartphones, Apple s’attaque à des “petits” concurrents tels que Nokia et Motorola. Son analyse est simple ; il s’est vendu près de 1 000 millions de téléphones en 2006. Il “suffit” de prendre 1 % du marché pour vendre... 10 millions d’iPhones en 2008.
Pour tempérer un peu l’enthousiasme de Steve, le marché auquel il s’attaque est celui du très haut de gamme, soit un petit 10% du marché total. L’objectif de l’iPhone est donc de prendre ... 10 % du marché en 1 an.
Possible, mais challenging.
En termes économiques, 10 millions d’unités à $500 cela fait quand même 5 milliards de dollars ; pas mal pour une première année d’une nouvelle ligne de produits !
Si les financiers sont des bons augures de l’évolution d’un marché, alors l’iPhone sera un grand succès. Pendant la présentation faite par Steve, les cours de bourse des entreprises concernées ont fortement évolué :
- Apple, + 7%,
- Palm, - 6 %
- RIM, producteur du Blackberry, - 10 %, ce qui représente quand même une perte immédiate de 2 milliards de dollars sur la capitalisation boursière.
Synthèse
Des innovations aussi spectaculaires, je suis preneur, tous les jours !
Cette annonce a déclenché, immédiatement, beaucoup de commentaires négatifs, désabusés, dubitatifs, faisant la fine bouche ; à pleurer !
J’en citerai un seul, sans donner, par gentillesse, le nom de son auteur :
“Je pronostique qu’il sera cassé en moins de trois semaines... il est impossible de rajouter des applications, ....”
Petit rappel : la personne faisant ce commentaire n’a pas pu le toucher ni l’utiliser.
Le plus navrant était le commentaire de l’un des responsables Microsoft , chargé de vendre l’”iPod killer” Zune, qui a connu, comme tout le monde le sait, un succès “fabuleux” depuis son lancement ; il ironisait, juste avant l’annonce de l’iPhone, sur la possible entrée d’Apple sur ce marché !
Il a perdu une bonne occasion de se taire !
Deux des grands acteurs du marché, Nokia et LG, ont présenté récemment des prototypes de nouveaux modèles dont le design est proche de celui de l’iPhone, au moins sur le plan matériel. Cette concurrence ne peut qu’être bénéfique pour les futurs clients que nous sommes.
Il faudra, selon les pays, attendre de 6 à 12 mois avant que les premiers iPhones ne soient disponibles ; il est clair que les versions définitives seront sensiblement différentes du modèle présenté par Steve Jobs.
Pour ceux qui ne peuvent pas attendre, une personne sympa a eu l’idée d’en proposer une version papier. Il vous suffit d’imprimer le PDF, de retrouver vos gestes d’enfants en faisant un découpage et vous aurez un iPhone entre les mains !