Dell, à l’écoute de ses clients ?
05/03/2007
Success-story des 25 dernières années, Dell traverse depuis plusieurs mois une période difficile :
- Renvoi de son Directeur Général, Kevin Rollins, parti avec un chèque de 5 millions de dollars.
- Baisse du cours, comme le montre ce graphique des 3 derniers mois.
- Baisse du CA et des résultats.
- Perte de sa place de numéro 1 des PC, conquise par HP (avec une nouvelle stratégie, un nouveau CE0, un nouveau CIO)
- Des difficultés avec les autorités financières américaines.
- ....
Michael Dell, son fondateur, a donc repris le poste de CEO et embauché des dirigeants de haut rang, chez Motorola, Solectron ou AMR, pour apporter du sang neuf à son entreprise.
Une stratégie à repenser ?
Depuis sa création, Michael Dell avait appliqué, avec beaucoup de réussites, une stratégie forte et originale :
- Vente directe.
- Fabrication des PC dans ses propres usines.
- Standardisation : accord exclusif avec Intel et Microsoft, même s’il avait commencé, récemment à faire de premières exceptions en flirtant avec AMD et Google..
- Optimisation permanente des processus internes.
Cette stratégie ne fonctionne plus. Tout a changé : le marché professionnel, le marché grand public, les attentes des clients, la concurrence...
Michael Dell a pris la décision qui s’imposait : changer de stratégie, bien résumée par la phrase suivante :
Don’t look back ! (ne pas regarder en arrière)
Interroger publiquement ses clients
L’une des premières décisions a été de lancer une enquête sur les attentes du marché, en créant le site ideastorm (tempête d’idées).
Dans une démarche participative, très Web 2.0, Dell a ouvert un site où tout un chacun pouvait s’exprimer, émettre une idée ou voter pour une idée déjà proposée.
Tout le monde pouvait participer, client ou non de Dell ; je l’ai fait.
Les résultats de cette expérience sont instructifs :
- Plus de 100 000 personnes ont répondu.
- Quelques idées-forces se sont clairement imposées.
- Ce ne sont pas forcement celles qu’attendait ou espérait Dell, comme le montre l’idée qui est arrivée largement en tête !
Je ne ferai aucun commentaire sur le profil des personnes qui ont répondu, car je ne le connais pas ; je ne suis pas sûr que Dell a des informations précises à ce sujet.
L’analyse des demandes arrivées en tête démontre que les « répondants » ont des idées très claires :
- Nous voulons des alternatives aux solutions Microsoft.
- Nous souhaitons des solutions Open Source.
- Nous voulons pouvoir acheter des PC pré-équipés avec Linux.
- Nous souhaitons OpenOffice pré-installé, en deuxième position.
- Nous aimerions trouver au catalogue un PC de bureau, petit, simplifié, économique, optimisé pour des usages Web, en troisième position. (Ce n’est pas moi qui vais dire le contraire, cela correspond tout à fait à ce que j’appelle de tous mes vœux, un CWR, Client Web Riche).
Écouter ses clients ?
Questionner, c’est bien, mais arrive immédiatement la partie difficile : écouter et... répondre aux attentes.
Dell a eu le mérite de répondre très rapidement, sur son blog.
La réponse a aussi le mérite de la clarté : nous vous avons entendu, mais... nous ne répondons pas, pour le moment, à vos attentes.
Un tout petit mouvement est fait dans la « bonne direction », mais Dell n’a pas annoncé de changement de fond dans sa stratégie :
- Des PC sans OS seront commercialisés ; c’était déjà le cas.
- Des PC avec Linux seront commercialisés ; c’était déjà le cas.
- Pas de support pour les PC livrés avec Linux ; c’était déjà le cas.
Les commentaires sur le blog de Dell n’ont pas tardé ; ils sont très instructifs.
Le moins que l’on puisse dire et que la grande majorité d’entre eux reflètent fortement l’opinion que les demandes des utilisateurs n’ont pas été sérieusement prises en compte.
Gagnant-Gagnant ou Perdant-Perdant ?
La démarche entreprise par Dell est sympathique, mais très risquée, comme le montrent les premiers résultats.
Dell se trouve maintenant coincé entre le « marteau et l’enclume », ses fournisseurs traditionnels et ses « nouveaux clients »!
Les fournisseurs héritages
Une enquête financière est en cours pour déterminer si Dell a bien reçu 1 000 millions de dollars de « marges arrières », en clair de commissions, de la part d’Intel.
Point n’est besoin d’être Sherlock Holmes pour imaginer qu’une pratique similaire existe « peut-être » entre Dell et Microsoft.
Il suffit pour s’en convaincre de lire la page d’accueil de IdeaStorm qui commence par : « Dell recommande Windows Vista ... ».
De plus, ces « nouvelles » offres sont pour le moment réservées aux États-Unis, rien de similaire n’est prévu en Europe ou en Asie.
Les nouveaux clients
Ils sont de plus en plus « digitaux natifs », très au fait des solutions disponibles et des difficultés pratiques telles que l’existence ou non de drivers Linux pour certains composants des PC Dell.
Il sera difficile de leur vendre un PC sans OS ou avec Linux, plus cher qu’avec Windows ! C’est ce qui se passe aujourd’hui.
Cela ne peut qu’alimenter, chez les acheteurs, la légitime suspicion d’une collusion entre Dell et Microsoft !
La démarche actuelle suivie par Dell, des petits pas, va à mon avis dans le sens du ... Perdant-Perdant.
Dell s’est déjà mis à dos les nouveaux clients potentiels, à qui il fait miroiter la possibilité d’obtenir ce qu’ils souhaitent, mais sans répondre aux attentes exprimées.
De l’autre côté, Il ne serait pas étonnant que des appels téléphoniques «musclés », venant de Microsoft, aient été reçus par des responsables de Dell.
Le “c..” entre deux chaises
En agissant comme il l’a fait, Dell se retrouve dans une situation ... inconfortable.
Ce sera de plus en plus le cas pour les fournisseurs héritages qui ont du mal à choisir entre la sécurité de leurs liens traditionnels avec des grands fournisseurs et l’aventure que représentent les nouveaux acteurs du Web 2.0.
J’imagine assez mal Mozilla ou Open Office verser des dizaines de millions de dollars à Dell pour que leurs produits, gratuits, soient préinstallés.
Corriger le tir ?
J’ai envie de proposer à Dell une décision immédiate et raisonnable :
Proposer sur son site, et l’annoncer en première page, les deux produits suivants, de la nouvelle gamme,
LCNG « Low cost Next Gen » :
- Un PC de bureau et un portable.
- Une configuration « entrée de gamme », en termes de processeurs, cartes graphiques et disque dur.
- Une version de Linux, Ubuntu par exemple, pré-installée.
- Livrés avec Firefox et Open Office.
- Disposant de la garantie et de l’assistance normale de Dell.
En visitant le site de Dell France, j’ai remarqué deux produits proches de ma demande :
- Un PC fixe, Dimension C 521, à 299 euros (garanti 1 an)
- Un PC portable, Inspiron 1501, écran 15,4 pouces à 529 euros (garanti 90 jours, un peu juste à mon avis !)
Ces deux PC sont livrés avec Windows Vista édition familiale.
Je verrais donc bien les deux ordinateurs LCNG ci-dessus commercialisés à environ 250 euros pour le fixe et 470 euros pour le portable, mais avec une garantie de 1 an pour les deux.
Ceci pourrait, rapidement, aider Dell à se réconcilier avec les personnes qui ont pris le temps de participer à l’enquête IdeaStorm.
Ceci permettrait aussi à Dell de répondre à la demande de nombreuses associations de consommateurs qui luttent contre la vente liée des PC et de leurs logiciels.
Amis DSI : Seriez-vous preneur ?
Moi, oui !