Fondation Mozilla, Firefox et Thunderbird
30/07/2007
Un profond séisme secoue depuis quelques jours l’une des communautés les plus puissantes du monde de l’Open Source, la fondation Mozilla.
La fondation Mozilla est responsable de nombreux produits open source ; les deux principaux sont le navigateur Firefox et le client email Thunderbird.
Le 26 juillet 2007, la CEO de Mozilla, Mitchell Baker, a annoncé sur son blog, que la fondation souhaitait consacrer l’essentiel de son énergie, et de ses ressources, à Firefox.
Elle demande donc aux équipes Thunderbird de prendre leur autonomie et de créer une nouvelle structure pour les abriter.
Des centaines de commentaires ont immédiatement envahi la blogosphère ; leur lecture, sur le blog de Mitchell, est très instructive, si vous avez les 2 heures nécessaires !
Mon ami Tristan Nitot, responsable Europe de la Fondation Mozilla, a immédiatement publié un texte très clair, en Anglais pour le moment, dans lequel il explique la logique de cette décision.
Étant partie prenante dans cette décision, il est tenu à une grande mesure dans ses commentaires et son analyse, au demeurant très pertinente.
Étant plus libre de mes écrits sur ce sujet, j’ai envie de compléter l’analyse de Tristan par quelques commentaires, moins consensuels !
Solutions “legacy”, propriétaires et Open Source
Deux des grands et classiques produits Open Source, OpenOffice et Thunderbird, appartiennent à la génération des solutions “clients lourds” ou obèses, correspondant aux infrastructures des années 90.
Comme les solutions propriétaires auxquelles elles essayent de se substituer, ces solutions sont aujourd’hui en fin de leur cycle de vie.
Selon les thèses de Christensen sur l’innovation, que j’ai déjà souvent cité sur ce blog, ces produits ne ... peuvent pas réussir !
- Ils attaquent de front les produits propriétaires dominants de Microsoft, Office et Outlook, avec des fonctionnalités identiques. Microsoft a tous les moyens nécessaires, marketing et financiers, pour contrer cette offensive.
- Les 600 millions d’utilisateurs payants d’Outlook, et les 500 millions qui utilisent une version “non achetée”, ont, au cours des 15 dernières années, acquis une maîtrise raisonnable de ces outils et seront réticents, à juste raison, pour accepter un changement qui ne leur apportera pas un avantage évident.
- Le principal avantage des solutions OpenSource, la gratuité, est un plus important pour un directeur financier, mais n’est pas essentiel pour les clients finaux, qui ne payent pas directement leurs outils bureautiques professionnels.
- La dimension Open Source est un plus important pour tous ceux qui sont sensibles à cette démarche, pour les personnes qui ont une vision ‘religieuse” de l’Open Source. Ce ne sera jamais, pour des clients normaux, un argument suffisant pour changer d’outils.
En langage clair, cela signifie que je suis persuadé que Thunderbird ne sera jamais un produit leader, important, innovant.
Thunderbird est installé sur mon Macintosh depuis plusieurs années ; cela fait maintenant 2 ans que je ne l’ai pas ouvert.
Mozilla estime qu’il y a 5 millions d’utilisateurs de Thunderbird dans le monde ; le nombre d’utilisateurs de Firefox dépasse déjà les 100 millions. Sans commentaires !
La querelle des anciens et des modernes
La querelle des anciens et des modernes, du client lourd contre le navigateur, est présente aussi bien dans le monde des logiciels propriétaires que dans celui des partisans des logiciels libres.
Thunderbird ou Outlook, Office ou Open Office ne sont pas des solutions fondamentalement différentes pour les clients de ces logiciels.
La même guerre entre les anciens et les modernes se retrouve aussi chez les éditeurs traditionnels, tels que Microsoft, qui viennent du monde du client lourd, y dégagent l’essentiel de leurs marges et hésitent à sauter le pas vers le client Web.
J’y reviendrai dans un prochain texte, pour commenter les présentations faites aux analystes par tous les dirigeants de Microsoft le 26 juillet 2007 ; c’est fascinant.
Est-ce une coïncidence ? la présentation de Microsoft aux analystes financiers et l’annonce faite par la Fondation Mozilla ont eu lieu le même jour, le 26 juillet 2007 ?
Où se trouveront, demain, les lignes de fractures et de conflits les plus forts ?
- Entre partisans des logiciels propriétaires et défenseurs de l’Open Source ?
- Entre défenseurs des clients lourds et promoteurs des “CWR”, Client Web Riche ?
Ce n’est pas une question anodine ; une alliance objective “Outlook et Thunderbird” contre “Firefox et IE 7” ?
Poser la question, c’est déjà fournir des éléments de réponse.
Demain : Un troisième larron ?
Un troisième acteur logiciel, apparu depuis peu, pourrait mettre tout le monde d’accord en gagnant, en solitaire la bataille.
Il s’agit, vous l’avez compris, des solutions SaaS, Software as a Service.
Lorqu’une entreprise utilise un service SaaS, elle ne se pose plus la question de savoir si les logiciels utilisés sont Open Source ou propriétaires.
Cette question n’a plus de sens, car l’entreprise n’a plus accès aux logiciels, mais seulement à des services.
Deux familles de services SaaS pourraient exister :
- Les services fermés, sur lesquels on ne peut pas se relier.
- Les services aux API ouvertes, permettant de créer des ponts entre différents services SaaS ou entre des services SaaS et des solutions logicielles “legacy”.
Les premiers sont mort-nés ; tous les grands acteurs du marché, de Google à Salesforce.com, ont choisi la démarche API ouvertes.
Tout le monde l’aura compris : pour utiliser un service SaaS, point n’est besoin d’un client lourd ; un navigateur moderne suffit.
Firefox, par exemple ?
Fondation Mozilla : se concentrer sur Firefox, une décision courageuse
Je pense que l’analyse stratégique de la Fondation Mozilla est la bonne ; l’avenir appartient aux Client Web Riche, aux Solutions SaaS.
Les clients lourds rejoindront, dans quelques années, les écrans 3270 dans tous les musées de l’Informatique.
Nous avons tous besoin de solutions logicielles innovantes, ouvertes, conformes aux standards du Web, multiplateformes et... économiques.
Firefox est, aujourd’hui, pour moi, et pour des dizaines de millions de personnes, l’outil logiciel avec lequel on passe le plus de temps.
Je suis heureux que les innovations continuent ; j’attends avec impatience Firefox 3, avant la fin de l’année 2007, qui permettra aussi de travailler off-line.
Merci à la fondation Mozilla pour l’excellent travail réalisé sur Firefox.
Merci de continuer à consacrer votre énergie, votre enthousiasme, vos ressources à cet outil logiciel essentiel.
Demain, nous serons 300 millions, puis 500 millions, puis 1 milliard de personnes à démarrer notre “OAI” (Objet d’Accès Internet), PC Windows, PC Linux, Macintosh, PDA ou smartphone avec Firefox.
Pour réussir ce challenge, la fondation Firefox a besoin de consacrer toute son énergie à Firefox, j’en suis profondément persuadé !