ERP : une hypothèque sur le futur ?
04/09/2007
Les ERP, Entreprise Ressource Planning, ou PGI, Programme de Gestion Intégrée, sont présents dans la majorité des grandes entreprises.
Après une forte croissance dans les années 90, soutenue par le phénomène année 2000 et l’arrivée de l’Euro, le marché est entré dans une phase de consolidation ; elle c’est traduite par l’émergence de deux fournisseurs dominants, l’européen SAP et l’américain Oracle.
La prestigieuse revue de management Sloan Management Review, du MIT à Boston, vient de publier un long article de Cynthia Rettig :
“The trouble with Enterprise Software” (Le problème avec les ERP)
J’en recommande la lecture immédiate à tous les DSI et informaticiens travaillant dans une entreprise où est installlé un ERP.
Il n’y a pas dans cet article, à proprement parler, d’informations très nouvelles sur les risques et les complexités des ERP, bien connus des informaticiens et des dirigeants.
Mais c’est la somme des difficultés potentielles recensées qui rend “inquiétantes” les conclusions de cette étude.
On est toujours le “legacy” de quelqu’un !
L’essentiel des résultats de cette analyse provient d’une étude pluriannuelle réalisée par une équipe du MIT auprès de 400 entreprises.
J’ai choisi quelques-unes des phrases les plus significatives de cette étude pour donner envie aux lecteurs de ce blog de lire l’intégralité de l’article.
“In the end, ERP systems became just another subset of the legacy systems they were supposed to replace.”
“In fine, les ERP deviennent un composant de plus des solutions “héritages” qu’ils étaient supposés remplacer”.
Les ERP des années 90 étaient censés remplacer les “legacy” composés de briques logicielles disparates, en proposant des solutions “intégrées”, uniques, homogènes.
Comme le rappelle cette étude, la réalité a été beaucoup moins glorieuse ; dans la majorité des grandes entreprises, différentes instances du même ERP ont beaucoup de mal à se parler !
Les ERP existants sont, eux aussi, devenus des “legacy”, mais des legacy encore plus dangereux, car plus complexes, plus difficiles à remplacer, qu’il est souvent, en pratique, impossible d’éliminer.
Les ERP seront-ils, demain, l’amiante des systèmes d’information ?
En résumé : ERP = (Legacy)2
ERP, pomme de discorde entre informaticiens et dirigeants
“Yet the cost overruns, delays and outright failures of enterprise systems have if anything widened the digital divide between IT and the executive suite.”
"Les dépassements de budgets, les retards, les échecs des ERP ont, si c’est possible, encore plus augmenté la fracture numérique entre les informaticiens et les dirigeants.”
Pour démarrer, un projet ERP, de plusieurs dizaines de millions d’euros, a toujours nécessité l’accord du comité de Direction.
Cet article pose une autre question passionnante :
Comment se fait-il que tant de dirigeants (les CxO) aient abdiqué leur bon sens managérial en acceptant de donner leur feu vert à des projets aussi ambitieux, aussi coûteux, dont la probabilité de réussite n’était pas "excellente" ?
Ont-ils été piégés par des DSI, par des fournisseurs, par un mouvement “panurgesque” de l’ensemble des grandes entreprises ?
En tout cas, ces échecs ont laissé des traces et expliquent, souvent, la défiance qui continue, hélas, trop souvent à exister entre les dirigeants et les informaticiens.
"The Next New Thing !"
(Traduction libre : La prochaine solution miracle)
Face aux nombreuses difficultés crées par des ERP, les fournisseurs ont trouvé la potion magique : elle a pour nom ...SOA.
J’ai déjà écrit tout le “bien” que je pensais de la démarche SOA, proposée par les mêmes éditeurs qui ont vendu les ERP.
L’article de Cynthia Rettig tire le signal d’alarme sur le discours SOA, présenté comme le remède miracle qui devrait, au cours des prochaines années, résoudre les problèmes majeurs posés par les ERP legacy.
Résumons la situation :
- Les ERP étaient supposés régler les problèmes posés par les solutions informatiques éclatées installées dans les entreprises.
- La démarche SOA est supposée régler les problèmes posés par les rigidités et les complexités créées par les ERP intégrés.
Y-aura-t-il, un jour, une alternative à cette fuite en avant, à cette injection continue et massive de ressources financières et humaines pour créer des systèmes d’information qui .... répondent de moins en moins aux attentes des clients, internes et externes ?
Une réponse possible est donnée par un célèbre professeur de l’Université de Yale, David Gelernter, cité dans cet article :
“Complexity is a deadly software killer”
(La complexité est un tueur mortel de logiciel)
C’est, à mon avis, le message le plus important de cet article !
Nous sommes incapables de construire des solutions logicielles complexes.
Face à ce constat, il n’y a qu’une seule réponse raisonnable :
N’en construisons pas !
Un constat, mais pas de propositions, de remèdes miracles
Que l’on soit ou non d’accord avec l’essence de cet article, il rend un grand service en faisant le point sur un sujet majeur. C’est aussi une excellente source de références sur ce thème, citées en annexe de l’article.
“La” double question est posée, mais cet article n’y répond pas :
- Les ERP installés sont-ils une source de productivité pour les entreprises ?
- Les ERP installés sont-ils un frein majeur de la capacité des entreprises à évoluer rapidement, pour s’adapter aux changements permanents du marché ?
Il est dommage qu’aucune piste d’action ne soit proposée pour aider les entreprises à sortir, rapidement, du piège ERP.
Ce sera, je l’espère, le thème d’un prochain article de la Sloan Management Review.
Un thème d’actualité
Décidément, ce sujet revient au premier plan de l’actualité informatique !
Nicolas Carr, auteur du célèbre livre “IT does not matters”, publie sur son blog un texte avec un titre fort :
The end of ERP (La fin des ERP).
Il y présente, entre autres, l’alternative SaaS (Software as a Service), “Workday”, construite par Dave Duffield, l’ancien patron de PeopleSoft (Un ERP racheté par Oracle !).
Les ERP installés peuvent-ils, profondément, durablement, limiter la capacité des entreprises à innover, à évoluer, à s’adapter à des marchés de plus en plus imprévisibles ?
C’est une question grave, à laquelle il n’existe pas de réponses simples.
Se la poser, c’est un premier pas dans la bonne direction.