Quel prix pour la musique, la vidéo, l’information numérique ?
25/11/2007
Dupliquer, stocker une information numérique, que ce soit du son, de l’image ou des textes ont un coût marginal nul. C’est un fait, c’est lié à l’évolution des technologies et nous devons tous, consommateurs, distributeurs et producteurs de contenus numériques, apprendre à vivre intelligemment avec cette réalité.
(Attention, ce post est long)
Un thème d’actualité
Périodiquement, ce thème revient dans l’actualité, sous des formes variées.
Je citerai trois informations récentes, qui m’ont amené à me repencher sur ce sujet.
- Le comble du ridicule vient d’être atteint aux USA, où une jeune femme a été condamnée à verser 222 000 dollars à la RIAA (Recording Industry Association of America) pour avoir mis sur Kazaa 24 morceaux de musique, soit $ 9250 par thème !
Ceci est supposé avoir un effet dissuasif sur les pirates !
- Les collections musicales classiques à 1 € le CD poussent comme des champignons : après Mozart, Bach, on voit apparaître Beethoven, la Callas ou l’opéra. Elles sont, bien sûr, disponibles à la FNAC de Mr Olivennes, qui offre même, en prime, 10 morceaux numériques gratuits sur sa boutique en ligne.
- Je consacre un paragraphe entier au troisième, le rapport Olivennes.
Le rapport Olivennes
En France, une nième commission a planché sur les méfaits supposés du piratage !
Le rapport de la commission Olivennes, du nom du PDG de la FNAC, vient ‘être remis au gouvernement français le 23 novembre 2007.
Je trouve pour le moins curieux que ce soit au responsable d’un grand acteur marchand du secteur que l’on ait confié cette étude.
PCinpact a publié l’essentiel de ce rapport ; merci.
J’avais aussi parlé dans mon blog d’une étude scientifique qui démontre que le piratage n’a aucune influence sur les ventes de CD.
Je crains, hélas, qu’aucun des membres de cette commission n’ait lu, ou voulu lire, cette étude.
Il y a au moins une bonne idée dans ce rapport : demander la fin des DRM, ces empêcheurs d’écouter facilement de la musique, qui n’ont jamais gêné les très rares pros du piratage.
Sur les DRM, je vous conseille fortement de lire la présentation faite par Ian Rogers à des professionnels de la musique. C’est un long texte, avec beaucoup de commentaires, mais il démonte de manière exceptionnelle l’inanité des DRM.
Au-delà des polémiques stériles sur les méchants utilisateurs qui sont tous des pirates en puissance, au-delà des jérémiades des éditeurs de CD qui se lamentent sur la baisse du nombre de CD vendus, comment peut-on analyser, sereinement, l’évolution du comportement des acteurs économiques face à une offre d’information qui se numérise, dans tous les domaines.
Je vous propose d’analyser trois familles d’information numérique.
Information musicale numérique
La musique est très bien adaptée au numérique ; avec les techniques actuelles de compression, la vitesse des réseaux et la capacité croissante des mémoires numériques, nous pouvons consommer toute la musique numérique dont nous avons besoin, en tous lieux.
J’ai “trois prix” possibles pour obtenir de l’excellente musique numérique :
- 0 €, légalement. Sur iTunes et autres sites, des podcasts, souvent de qualité, me proposent de nombreuses œuvres qui correspondent très bien à mes goûts ; j’ai, par exemple téléchargé plus de 70 opéras complets sur Odéo.
- 10 centimes d’euro, légalement. Si j’achète 50 CD de Beethoven pour 50 €, je paye l’équivalent de 10 centimes par plage musicale, si l’on considère qu’un CD contient en moyenne une dizaine de titres.
- 1 € / plage sur iTunes, légalement. La boutique d’Apple me propose environ 4 millions de titres à ce prix là.
Une remarquable étude récente de Morgan Stanley montre qu’il y a une parfaite corrélation entre les ventes d’iPod et les ventes de musique sur iTunes.
Un rappel : "nous" avons acheté plus de 4 milliards de titres sur iTunes.
Les jeux sont faits : une fois que ces prix raisonnables seront ancrés dans la tête de millions de consommateurs, il sera impossible de les en décrocher !
Si le distributeur et l’éditeur peuvent gagner leur vie en vendant des CD à 1 €, il deviendra très difficile, puis impossible, de justifier les prix de certains CD qui dépassent les 20 € !
Et ce sont ces mêmes consommateurs qui vont ensuite payer de 50 à 200 € pour assister à un concert live de leurs artistes préférés !
Le record du chiffre d’affaires d’une tournée musicale vient d’être battu en 2007 par un “nouveau” groupe, les "Stones", qui ont réalisé 558 millions de dollars de CA en 144 concerts.
Ce simple chiffre devrait, si elles avaient un minimum d’intelligence, faire comprendre aux maisons de disques que les clients sont prêts à payer, très cher, pour la musique, mais à leur convenance !
Information visuelle numérique (images, films, vidéo...)
Avec un décalage dans le temps logique, lié au fait qu’il fallait plus de bande passante pour la vidéo que pour la musique, le même phénomène se reproduit pour les films et vidéos numériques.
Les consommateurs d’images numériques ont maintenant des options claires :
- 0 €, légalement. YouTube, DailyMotion et beaucoup d’autres proposent des millions de vidéos passionnantes, innovantes, dans tous les domaines.
C’est bien sûr là que l’on trouve la vidéo de François Fillon se plaignant, avec humour, que son boss ne le laisse pas toujours aller sur le terrain.
- 3 à 10 €, légalement, pour des séries TV ou des films récents sur les sites tels que iTunes.
- 4 à 7 €, légalement, pour un film DVD, en complément de la presse écrite et autres promotions. Cette pratique, arrivée récemment en France, était courante en Espagne depuis le début des années 2000.
- 20 à 40 € pour les dernières sortes vidéo. Même si l’écart de prix n’est pas aussi flagrant que dans le monde de la musique, il devient, lui aussi, de plus en plus difficile à justifier, dans la tête des clients.
Le même processus se retrouve pour les images fixes.
- 0 €, légalement. Des dizaines de millions de photos sont disponibles, sur Flick ou Picasa, comme celle que j’ai utilisée pour illustrer le concert des Stones.
- De 1 à 10 €, légalement, pour des photos de qualité professionnelle.
IstockPhoto, vous propose plus de 2millions d’images sans royalties, que l’on achète une fois et que l’on peut réutiliser autant de fois que nécessaire.
Information professionnelle numérique
Dans la logique du Web 2.0, les innovations passent progressivement du grand public au professionnel.
Je vous propose d’étudier quelques exemples concrets.
- Information financière
Les entreprises sont prêtes à payer, très cher, de l’information boursière en temps réel, sur des sites tels que Bloomberg.
En même temps, nous avons tous accès à de l’information financière gratuite, avec un décalage de quelques minutes, sur de très nombreux sites.
- Ouvrages professionnels
Le livre blanc sur les réseaux sociaux professionnels, dont j’ai écris la préface, est, bien entendu, disponible gratuitement en PDF sur le site de Lulu.com.
Il est toujours possible de payer 6 euros pour la version analogique, papier.
- Présentation, blogs, séminaires.
Vous souhaitez découvrir les potentialités du Web 2.0 ?
Vous avez au moins trois options :
- Une présentation, gratuite, sur le Web.
Dans les 15 jours qui ont suivi l’annonce de la fonction “présentation” dans Google Apps, une remarquable présentation du Web 2.0, avec plus de 100 slides, était mise à la disposition de tout le monde, gratuitement. Elle est le fruit d’un travail collaboratif initié par Ed. Yourdon.
Lors de ma dernière consultation, j’ai eu accès à la version... 49 !
Cette présentation est disponible sur Google Docs et SlideShare.
Elle propose des centaines de liens qui permettent à chacun, à sa guise, à son rythme, d’approfondir le sujet.
- Un séminaire de deux jours que j’anime pour CapGemini Institut.
Une vingtaine de personnes, qui ont payé 1 600 euros, se sont inscrites au prochain, qui a lieu le 29 novembre.
- Organiser un séminaire sur mesure, dans votre entreprise.
J’anime souvent des séminaires, pour des comités de direction, des utilisateurs et des informaticiens, d’une durée comprise entre 1/2 journée et 2 journées.
Selon le niveau d’adaptation nécessaire, ces actions sont facturées de 3 000 à 8 000 euros.
Quelle est la bonne formule ? Les trois !
Chacun est libre de choisir :
- Se former seul en utilisant l’extraordinaire richesse du Web.
- Participer à un séminaire en “live”, interentreprises, où il rencontrera d’autres personnes ayant des préoccupations similaires.
- Organiser, pour un groupe de personnes dans son entreprise, un séminaire qui sera spécialement adapté au contexte.
Si j’étais aussi stupide que les éditeurs de CD qui se plaignent de la chute des ventes d’un support obsolète, je monterais aussi une commission “Olivennes” contre la concurrence déloyale des présentations gratuites disponibles sur le Web !
Nous, clients, avons le choix !
- Quel prix pour un sac ? 20 euros ou 45 000 $ pour le dernier modèle de Louis Vuitton ?
- Quel prix pour une voiture ? 8 000 euros pour une Logan ou 400 000 pour une Mercedes Maybach.
- Quel prix pour une montre ? 60 euros pour une Swatch ou 130 000 euros pour une Blanpain mécanique.
Ces mêmes différences sont aujourd’hui présentes pour toutes les familles d’information numérique.
Les paramètres de choix, concernant le prix que nous sommes prêts à payer, sont très complexes, très riches :
- Telle version, de tel musicien, avec tel orchestre
- Dimension temps : information récente, plus ancienne...
- Exclusivité, sur mesure...
- Dimension “participative” et “collaborative”, concert, conférence live...
La prise du pouvoir par les clients de l’information numérique est irréversible ; elle ne peut que s’amplifier.
Si la version de l’Opéra de Bellini “Le pirate”, que me propose gratuitement Odeo me satisfait, je n’irai pas en acheter une autre.
Ceci ne m’empêchera pas de faire la queue pour essayer d’obtenir des places pour le voir à l’Opéra Bastille et d’acheter, sur un coup de cœur, une nouvelle version que j’aurai entendue sur une Web radio.
(Il est évident que j’ai choisi ce titre d’Opéra par hasard !)
Les producteurs de contenus ont tout à y gagner s’ils comprennent les profondes mutations technologiques et culturelles que cela induit.pour leurs métiers.
S’ils restent accrochés à leurs privilèges et à leurs modèles économiques périmés, comme hélas semble l’indiquer le comportement de la RIAA ou de la commission Olivennes, ils ne réussiront qu’à créer des nuisances transitoires pour leurs clients qui se détacheront encore plus vite d’eux.
Gratuit ? Economique ? Cher ?
Laissez nous choisir, tranquillement, sans nous faire subir des supplices qui sont réservés aux criminels.
Et si les vrais pirates, c’étaient les acteurs de l’industrie du contenu qui défendent des privilèges d’un autre temps ?