C’est bien sûr l’annonce de ce début février : Microsoft propose de racheter Yahoo! pour 44,6 milliards de dollars.
J’ai préféré laisser passer une semaine avant de vous proposer une analyse centrée sur le point de vue d’un DSI, d’un responsable informatique, client de Microsoft, et il y en a beaucoup !
Quels impacts, à court et moyen terme, cette fusion, encore en suspens, peut avoir sur ma stratégie SI ?
Des dizaines d’articles, blogs et commentaires en tout genre sont disponibles “on the cloud”.
Après quelques jours d’enthousiasme, mon sentiment est que le ton général est plutôt négatif.
Cet événement n’est pas une surprise pour tout le monde.
En novembre 2006, j’avais annoncé dans mon blog la naissance de ... Yasoft, la fusion de Yahoo! et Microsoft.
J’ai une divergence “stratégique” avec deux blogueurs influents, Dan Farber & Larry Digman qui préfèrent parler de ... Microhoo.
À part le fait que Microhoo contient plus de “O” que Google, je continue à préférer Yasoft.
Les faits
MIcrosoft a envoyé une lettre au conseil d’administration de Yahoo!, le 31 janvier 2008, pour leur proposer le rachat de leur société.
Le prix d’achat proposé, $31, représente une prime de 60 % sur le cours du jour de l’offre. Il est intéressant de noter que $31, c’était le cours de Yahoo! au milieu de l’année 2006, avant que son cours ne chute au vu des mauvais résultats.
Première remarque : L’analyse du cours de bourse comparé de Microsoft et Yahoo! sur les 12 derniers mois est passionnante : avant l’annonce, Microsoft avait gagné 10% en un an et Yahoo! perdu 30 %. Après l’annonce, les deux entreprises se retrouvent à égalité, à ... 0 % d’évolution.
Deuxième remarque : c’est beaucoup, mais beaucoup d’argent, même pour Microsoft, surtout que l’opération est proposée au choix en actions Microsoft ou en liquide. Le prix actuel est de 30 milliards d’euros.
Troisième remarque : cette décision est prise quand deux “historiques” quittent le navire : Bill Gates chez Microsoft et Terry Semel, remercié de son poste de Chairman de Yahoo!... la veille de l’annonce.
L’avenir de ce rapprochement
Se fera ? Ne se fera pas ? Personne ne peut répondre avec certitude aujourd’hui.
Mon pronostic : l’opération sera réalisée avant la fin de l’année 2008.
Yahoo! annonce que d’est une offre “unsollicited”, en clair, ni demandée ni hostile. Cela fait presque 2 ans que les dirigeants de ces deux sociétés discutent du projet ; ils ont eu la décence de ne pas feindre la surprise.
Dans un courriel “confidentiel” envoyé à ses employés au lendemain de l’offre de Microsoft, Jerry Yang, CEO de Yahoo! annonce clairement que rien n’est fait et qu’il faut continuer à travailler “as usual” ; en voici deux extraits :
“ ... first, we want to emphasize that absolutely no decisions have been made...”
“... it's critical that we continue to focus on running our business, executing our strategy...”
Quel sera le prix final payé par Microsoft ? Lors d’une conférence avec les analystes, Microsoft n’a pas voulu dire si ce prix était définitif. Là encore, je fais une hypothèse : Microsoft va payer plus, autour de 35 à 38 dollars par action. Je vous propose une règle simple : le prix total sera, en milliards d’euros, égal au prix payé par action,en dollars : par exemple $35 = 35 milliards d’euros.
Peut-il y avoir des contres offres, totales ou partielles, sur Yahoo! ?
De nombreuses pistes sont possibles :
- News Corp, déjà propriétaire de MySpace ; c’est un groupe de médias qui mise beaucoup sur Internet et aurait les moyens de faire une offre.
- Des fonds d’investissements, qui, en faisant monter les enchères, pourraient tirer un bénéfice court terme en misant sur le fait que Microsoft ne voudra pas abandonner.
- Google, évidemment ! Un rachat de Yahoo! par Google étant exclu, Google étudie sûrement comment il pourrait aider Yahoo! à repousser l’offre de Microsoft. Jerry Yang de Yahoo! est culturellement plus proche d’Eric Schmidt de Google que de Steve Ballmer, et ils se sont parlés récemment !
Reste aussi une double inconnue : comment vont réagir les autorités américaines et européennes face à une possible réduction de la concurrence ?
Quand on voit à quel point les européens ont été réticents pour autoriser le rapprochement entre Google et Double-Click, alors que l’on parlait de montants 10 fois moins importantes et d’un acteur mineur, on peut facilement imaginer un scénario où l’opération sera retardée ou même interdite.
Cela n’a pas tardé : le congrès américain avait prévu une première réunion le 7 février pour analyser les impacts potentiels de cette fusion ; elle a été repoussée de quelques jours.
N’oublions pas non plus que Microsoft est allé se plaindre à Bruxelles que le “monopole” de Google sur la publicité Internet allait s’accroître si Google rachetait Double-Click. Gageons que ceci ne sera pas oublié par Google, cette fois-ci !
Écouter Steve Ballmer dire qu’il n’est pas bon pour les consommateurs qu’un acteur ait une part de marché trop importante, parlant des 60 % de Google sur la recherche, cela ne manque pas de sel, venant de Microsoft.
Les motivations de Microsoft
Dans un courriel envoyé aux 80 000 collaborateurs de Microsoft, Steve Ballmer explique longuement pourquoi cette décision est excellente pour les clients, actionnaires et salariés de Microsoft.
Que faut-il en retenir ? Deux idées-forces :
- C’est un acte défensif contre Google. Je cite Ballmer :
“...to compete against an increasingly dominant player in this market.”.
Personne n’aura compris de qui il s’agit ! Il semble que Steve Ballmer a beaucoup de difficultés pour prononcer le nom de Google.
N’oublions pas que Microsoft et Yahoo! existaient bien avant la naissance de Google. Agir défensivement contre un nouvel entrant qui s’est imposé en moins de 10 ans, est rarement un acte positif et le succès est loin d’être garanti.
- Les marchés visés sont ceux du grand public et absolument pas les entreprises ; je cite à nouveau Ballmer :
“ ... to embrace online services, search, and advertising”
Ce sont les activités ou Microsoft n’arrive pas à percer, malgré des investissements massifs et où il continue à perdre, et des parts de marché et de l’argent.
Depuis mon premier texte sur Yasoft, l’érosion des parts de marché de Yahoo! et Microsoft dans la recherche aux USA c’est confirmée.
Pour mémoire, fin 2007, Google avait 90 % de part de marché sur la recherche en France !
Combiner deux produits, deux offres, deux équipes qui perdent en permanence des parts de marché ne va pas déclencher, automatiquement, un renversement de tendance.
Ces deux idées se complètent et se renforcent ; Yahoo! n’apporte rien de stratégique à Microsoft dans le domaine des entreprises, mais peut l’aider grâce à sa part de marché encore importante dans le grand public.
Les chiffres annoncés sont de 500 millions d’utilisateurs Internet des différents services de Yahoo!, dont 300 millions pour Yahoo! mail.
Le JDN, Journal du Net, a établi, avec l’aide de Nielsen, un tableau récapitulatif très clair sur les positions mondiales de ces trois acteurs.
Ils me semblent bien optimistes, car cela signifierait que 50 % de toute la population Internet mondiale est cliente de Yahoo!. À titre d’illustration, j’ai deux emails Yahoo! dont je me sers une fois par trimestre pour faire des tests ; je ne pense pas être le seul.
Les challenges
Microsoft n’a encore jamais réalisé une fusion de cette ampleur ; il y a 80 000 collaborateurs chez Microsoft, et 10 000 chez Yahoo!, avec deux cultures d’entreprises différentes, Informatique + PC+ Seattle de l’un contre Média + Internet + Silicon Valley de l’autre.
Il y a aussi énormément de doublons, dans la recherche, les webmail et la publicité, surtout depuis le rachat d’aQuantive et Tellme par Microsoft.
J’imagine que des milliers de personnes, chez Microsoft et chez Yahoo! se posent la question de leur avenir. Combien vont rester, combien, surtout parmi les plus brillants, vont avoir envie de changer d’employeur ?
À votre avis, combien Google va recevoir de CV Microsoft et Yahoo! dans les prochaines semaines ?
N’oublions pas le calendrier !
Je suis frappé de lire les commentaires qui parlent “au présent”... d’événements futurs.
Les responsables Si doivent avoir en tête un calendrier réaliste :
- 2008 : négociations, attentes des accords éventuels des organismes européens et US.
- 2008 : les équipes internes de Microsoft et Yahoo! se regardent en chiens de faïence, essayant de deviner qui sera mangé par qui. Il est impossible de travailler sur des synergies potentielles tant que l’accord n’est pas entériné.
- Fin 2008, “Inch Allah”, l’accord est signé
- 2009 : Tout le monde se met au travail. Des décisions difficiles doivent être prises (Yahoo! mail ou Hotmail, par exemple), des équipes seront démantelées ou regroupées....
- 2010 : Si tout va bien les tous premiers résultats opérationnels de la fusion seront perçus par les clients grand public.
- 2011 : C’est un horizon trop lointain pour faire la moindre hypothèse, dans un domaine aussi dynamique et imprévisible.
N’oublions pas que, pendant ce temps là, Google, avec une famille de produits et services cohérents, continuera à progresser et à innover.
Pour les entreprises ?
Services Online grand public, publicité, recherche... je comprends et respecte les objectifs de Microsoft dans ce projet de fusion.
Mais, à aucun moment, les documents publiés par Microsoft et Yahoo ne parlent du marché des entreprises.
Il est paradoxal que Google, qui a aujourd’hui une très faible présence dans les entreprises, mais qui menace fortement Microsoft dans ce domaine, ne soit pas bloqué sur ce terrain.
En termes “militaires”, le général Microsoft attaque son adversaire Google où ce dernier est le plus fort et a l’avantage de l’offensive, tout en laissant à découvert l’essentiel de ses richesses, Office et Windows.
C’est une bien curieuse stratégie !
Par contre, Robert Scoble, autre célèbre blogueur et ancien de Microsoft est persuadé que c’est pour protéger Office des Google Apps que la décision a été prise.
La menace était sérieuse, et le reste ; je ne partage pas son avis et ne pense pas que le rachat de Yahoo! change sérieusement la donne dans ce domaine.
Une rapide analyse de la situation sur le marché des entreprises s’impose :
- Microsoft domine le marché de la Bureautique 1.0 et a une présence marginale sur celui de la Bureautique 2.0
- Yahoo! n’a aucun produit significatif dans les entreprises et les DSI n’ont jamais travaillé avec eux.
- Le principal produit de Yahoo! qui pourrait intéresser les entreprises est la solution Open Source Zimbra, de messagerie et agenda ; c’est une offre de bonne qualité, une alternative crédible à Exchange et un concurrent partiel de Google Apps. Pour mémoire, Yahoo! a payé 350 millions de dollars pour Zimbra il y a quelques mois.
- Si Microsoft le souhaite vraiment, ce qui n’est pas évident, ils pourraient, en 2009-2010, si l’accord se signe, proposer aux entreprises des solutions Zimbra pour contrecarrer les avancées de Google Apps.
Il aurait été plus simple et beaucoup plus économique de racheter directement Zimbra !
L’inquiétude des utilisateurs de Zimbra et la vitesse avec laquelle les fondateurs de Zimbra ont publié un texte annonçant la version 5 de leur offre ZCS et confirmant que le code de leur solution était et restait Open Source montrent que cette hypothèse n’est pas la plus probable.
- Enfin, quelle va être la position de Microsoft concernant le moteur de recherche Ask.com, récemment racheté ? Trois outils de recherche, cela fait beaucoup ! C’était, en principe, une offre clairement orientée entreprises et Intranet.
La dimension entreprise n’a manifestement pas joué un rôle significatif dans cette tentative de rachat de Yahoo! par Microsoft ; ils sont totalement focalisés sur le marché grand public.
2008 sera une année sportive, jeux olympiques obligent ; en informatique, le sport vedette sera... la GYM !
(GYM = Google, Yahoo!, Microsoft)
Concurrence : verre à moitié vide, à moitié plein
La réponse de Google ne c’est pas faite attendre, par la voix de son ... directeur juridique ! Je cite un extrait :
“... raise troubling questions... Could Microsoft now attempt to exert the same sort of inappropriate and illegal influence over the Internet that it did with the PC?”
La réponse de Microsoft à Google, non plus, par la voix de son ... directeur juridique : Je cite aussi :
“Microsoft is committed to openness, innovation, and the protection of privacy on the Internet. We believe that the combination of Microsoft and Yahoo! will advance these goals.”
Microsoft met, bien sûr, en avant le leadership de Google sur la recherche et la publicité.
Google met, bien sûr, en avant le leadership de Yasoft sur la messagerie Web, la messagerie instantanée et les pages vues.
Le combat ne fait que commencer ; à suivre ! Il ne se fera pas à fleurets mouchetés !
Petit résumé à l’adresse d’un DSI
- Cet éventuel rapprochement Microsoft-Yahoo! n’aura à court terme aucun impact sur les offres professionnelles Microsoft.
- Pendant un minimum de 2 à 3 années, l’essentiel de l’énergie des dirigeants de Microsoft serait focalisé sur la réussite de cette “intégration” dans les marchés grand public et publicitaires.
- Microsoft a clairement choisi sa priorité de croissance : le monde grand public en priorité sur celui des entreprises.
- Pour les 3 années qui viennent, vos décisions stratégiques, vos choix de solutions, vos choix de partenaires ne doivent en rien être modifiés par l’éventuelle naissance de Yasoft.