iPhone vs BlackBerry ; grand public vs entreprise
19/01/2009
L’un des plus grands “chambardements” induits par l’arrivée du Web 2.0 et des “digital natives” est lié à l’innovation.
Depuis le début des années 2000, l’innovation a changé de camp :
- L’essentiel des produits informatiques et télécoms innovants est introduit en priorité dans le grand public.
- L’essentiel de l’innovation dans les usages de ces outils se fait dans le grand public.
Pour les entreprises, ce double changement a “simplifié” l’innovation !
“Innover, pour une entreprise, consiste à importer, dès que possible, les outils et usages du grand public derrière son firewall.”
J’ai quand même réussi à dénicher une innovation récente qui a commencé sa carrière dans l’entreprise : le BlackBerry !
Ceci va donner lieu, dans les mois qui viennent, à un combat passionnant entre :
- Le BlackBerry, qui ayant conquis l’entreprise, s’attaque au grand public avec son produit “tactile” Storm.
- L’iPhone, après s’être imposé très vite dans le grand public, commence à s’infiltrer dans des entreprises ; tous les collaborateurs de Revevol en sont équipés depuis le début de l’année 2009.
Je vous propose de faire une analyse stratégique de cette future bataille ; je pense en effet qu’elle sera emblématique d’une question que vont se poser tous les fournisseurs :
Entreprise ou grand public : D’où viendront les innovations qui vont s’imposer, demain ?
Le BlackBerry, succès professionnel
Bravo, RIM ! Cette société canadienne a connu une exceptionnelle réussite, grâce à une famille de téléphones professionnels qui sont devenus les “must” de tous les dirigeants du monde entier.
RIM a eu l’intelligence d’innover, en mettant au point ce que les Américains appellent la “killer app”, l’application à succès qui a “créé de la valeur” pour les clients visés, les dirigeants d’entreprise.
Cette application, c’était le “push mail”, la possibilité pour un manager de recevoir sur son Blackberry tous ses courriels sans avoir à faire la moindre manipulation, et l’on sait à quel point la grande majorité des dirigeants étaient (sont ?) mal à l’aise avec les outils informatiques.
Ceci a permis à RIM de commercialiser, non seulement le terminal, mais aussi, et surtout, un service de “push Mail”, vendu, fort cher, aux grandes entreprises et à leurs DSI.
Le summum du buzz ? Le grand débat qui agite actuellement les États-Unis : Barack Obama pourra-t-il garder son “cher” BlackBerry ?
C’est bien sur la sécurité des échanges qui inquiète les spécialistes !
Le succès professionnel du BlackBerry est indéniable : la recette de RIM était excellente :
- Une innovation dans les “usages”, le “Push Mail”.
- Un confort d’usage qui évitait à des dirigeants débordés d’avoir à faire l’”effort” de consulter leur boîte aux lettres, leurs courriels venant directement à eux.
- Avoir ciblé le marché des grandes organisations, prêtes à payer, fort cher, un service que demandaient les dirigeants.
L’iPhone, succès grand public
Il y a exactement deux ans, le 9 janvier 2007, Steve Jobs annonçait l’iPhone à Macworld.
L’iPhone, un concentré d’innovations, créait une rupture sur le marché des smartphones ; il y a un avant, et un après iPhone !
Les équipes d’Apple ont imaginé un produit de rupture ; les deux éléments qui ont fait la différence sont, à mon avis :
- Une ergonomie exceptionnelle, en majorité tactile.
- Le premier smartphone équipé d’un véritable navigateur, permettant une navigation confortable sur le Web.
Le succès de l’iPhone dans le grand public a été immédiat, et mondial.
Dans le monde entier, de longues files d’attente se sont formées devant les points de vente, les premiers jours de commercialisation.
Succès ?
Début 2007, Apple n’avait jamais vendu un seul téléphone !
Fin 2008, en deux ans, l’iPhone est devenu le numéro deux mondial du marché des smartphones, seul le... BlackBerry est encore devant.
Si les tendances se confirment, l’iPhone pourrait dépasser le BlackBerry avant la fin de l’année 2009.
Succès ?
Une enquête récente mesure le niveau de satisfaction des utilisateurs de téléphones portables aux USA.
En tête, et de très loin : l’iPhone.
Fin 2008, l’immense majorité des utilisateurs d’iPhone sont dans le grand public. Rares sont les entreprises qui ont accepté cet outil dans la panoplie des objets “autorisés” par la direction informatique.
2009, l’année du “clash”
Janvier 2009 : tout est prêt pour un grand combat entre les deux leaders du marché des smarphones :
- Le BlackBerry va défier l’iPhone sur le marché du grand public.
- L’iPhone va défier le BlackBerry sur le marché des entreprises.
BlackBerry ? iPhone ? Qui va gagner ? Qui sera capable de prendre des parts de marchés importantes dans le territoire de l’autre ?
En utilisant, une fois de plus, le modèle d’innovation de Christensen, je vous propose d’évaluer les chances de succès de nos deux champions.
BlackBerry, succès grand public ?
Oublions les BlackBerry d’ancienne génération ; ils n’ont aucune chance de réussite sérieuse sur ce marché.
C’est donc avec le Storm, son premier smartphone “tactile” que RIM attaque le marché grand public ; en France, SFR est le premier opérateur à le proposer, en exclusivité.
Cet accord avait été signé quand Orange avait l’exclusivité de l’iPhone. Si comme c’est probable, SFR est autorisé, dans quelques semaines, à distribuer aussi l’iPhone, il sera “intéressant” de suivre la nouvelle stratégie de cet opérateur qui saura très vite lequel des deux smartphones a les faveurs du public !
Quels sont les avantages concurrentiels potentiels du BlackBerry dans le grand public ?
Réponse simple : aucun !
Regardons, objectivement, ce qui faisait la valeur du BlackBerry en entreprise :
- Push mail : valeur nulle pour des personnes qui utilisent toutes un Webmail et peuvent lire leurs mails directement avec le navigateur.
- Accès à ses courriels Exchange et/ou Lotus Notes : aucune valeur.
- Service sécurisé d’envoi des courriels : il n’existe pas une seule personne prête à payer, sur ses propres deniers, ce service.
L’éventuel acheteur, à titre personnel, d’un Storm fera, c’est évident, la comparaison avec l’iPhone.
Digitalworld a publié une étude détaillée du BlackBerry storm ; son titre n’a rien “d’excitant ” :
“un mobile tactile sans grande fantaisie”.
Cet article, et beaucoup d’autres ont mis en évidence deux lacunes importantes :
- Une interface tactile basique ; l’ergonomie des logiciels et des interfaces est une spécialité d’Apple, difficile à égaler.
- Pas de Wi-Fi : c’est, à mon avis, une absence inacceptable pour un smartphone, aujourd’hui.
Résumons :
- Aucun avantage concurrentiel, aucune innovation de ‘”rupture”.
- Moins performant dans les domaines qui ont fait le succès de son concurrent, déjà leader sur son marché.
Mon diagnostic : échec du BlackBerry sur le marché grand public.
iPhone, succès en entreprise ?
Depuis de très nombreuses années, la stratégie d’Apple vis-à-vis des entreprises est limpide : “Si vous souhaitez utiliser mes produits, en l’occurrence les postes de travail Macintosh, j’en serai ravi, mais ne comptez pas sur moi pour faire des efforts démesurés pour vous convaincre”.
Les campagnes publicitaires d’Apple à la télévision, caricaturant les utilisateurs de PC dans les entreprises, n’ont surement pas aidé cette migration !
Que peut-il se passer, en 2009, dans les entreprises ?
Trois facteurs importants peuvent jouer en faveur de l’iPhone :
- Le cycle de renouvellement des téléphones portables est beaucoup plus rapide que celui des PC.
- Les adhérences aux applications existantes sont faibles, seule la messagerie est concernée et l’iPhone peut, aujourd’hui, dialoguer avec Exchange et la majorité des autres solutions professionnelles;
- Les grands opérateurs téléphoniques peuvent assurer la promotion, le marketing et la commercialisation de l’iPhone professionnel auprès des grandes entreprises.
Quels seront, au sein des entreprises, les principaux acteurs qui pourraient contribuer au succès ou à l’échec de l’introduction des iPhones ?
- Les managers déjà équipés d’un BlackBerry : dans une première étape, il ne faut surtout pas toucher à leur gadget favori.
- L’immense majorité des collaborateurs qui n’ont pas de BlackBerry, encore réservé à l’élite. Ce sont eux, les “non-consommateurs”, qui devraient être la cible prioritaire pour l’iPhone en 2009.
C’est d’autant pus intéressant qu’ils peuvent utiliser l’iPhone pour accéder à leurs courriels et au Web sans avoir besoin du service Blackberry de Push mail, dont les coûts sont dissuasifs.
- Les DSI : ils peuvent jouer un rôle de frein ou d’accélérateur dans la promotion de l’iPhone. Chacun choisira son camp !
- Les opérateurs téléphoniques : toutes les études l’ont confirmé : les utilisateurs d’iPhone “consomment” 4 à 5 fois plus de Web que ceux des autres smartphones. Ils devraient assurer une forte promotion des iPhones professionnels, qui feront exploser les usages de l’Internet Mobile dans les entreprises.
Je reviens un moment sur la démarche “astucieuse” qui consiste à équiper en priorité d’iPhones les collaborateurs sans BlackBerry.
Ceci devrait, rapidement, générer de la “frustration” auprès des dirigeants “BlackBerrisés” qui seront très vexés de constater que leurs collaborateurs sont équipés d’un outil plus valorisant, plus “cool”.
Ils viendront alors exiger que l’on remplace leur ancien outil par un iPhone, alors qu’ils auraient refusé tout changement qui leur aurait été imposé !
Mon pronostic : succès de l’iPhone dans le monde professionnel
Dans quelques mois, lors d’un déjeuner d’affaires entre dirigeants, poser sur la table son Blackberry fera terriblement “ringard” quand les autres convives dégaineront leur iPhone !
Ce jour-là, RIM aura du souci à se faire !
Si ce double scénario se confirme en 2009, échec du BlackBerry dans le grand public et forte percée de l’iPhone dans les entreprises, ce sera la preuve définitive qu’il n’y aura plus d’innovations majeures dans le domaine des technologies de l’information qui font en priorité leur entrée sur le marché professionnel.
Un K.O. sans appel !