Apple iPad mini, la fin du miracle ?
25/10/2012
Je suis triste et j’ai passé une mauvaise nuit : j’ai regardé hier soir, mardi 23 octobre, comme des millions de personnes, la transmission en direct du « show Apple » qui présentait les nouveautés du moment et surtout le très attendu iPad mini. La vidéo de cette présentation est disponible sur le Web.
Pourquoi cette tristesse ? Il y a dans cette conférence de presse une multitude de « signaux faibles » qui pointent tous dans la même direction :
Apple redevient un fournisseur « normal », sa magie et ses innovations sont dorénavant de l’histoire ancienne comme aux pires années qui avaient précédé le retour de Steve Jobs en 1997.
Non, je ne suis pas un « Apple Fan » devenu un « Applephobe » ; les principaux produits présentés hier soir étaient de très bonne facture :
- Un Macbook pro 13’’ avec écran retina.
- De nouveaux iMac très élégants et performants.
- Un Mac mini plus puissant.
- Un iPad « 4ème » génération, plus rapide, plus puissant et qui n’était pas attendu, en particulier par les acheteurs de la version 3 qui avait à peine 7 mois et ont découvert que leur dernière merveille était déjà démodée.
- Le très attendu iPad mini.
Je souhaite vous faire partager mon analyse de cinq de ces signaux faibles que je considère comme inquiétants.
Rappel : j’avais écrit il y a un mois un billet après l’annonce de « l’iPhone 5, un non-événement », mais je n’avais pas ressenti à ce moment cette mutation dans la démarche d’Apple.
IPad mini, un produit moyen
Commençons par l’essentiel : l’iPad mini présenté hier soir n’a rien d’enthousiasmant, même si les mots « extraordinaire, superbe, génial, fantastique, beau, exquis, incroyable, remarquable, exceptionnel, cool... » ont été utilisés à outrance par Phil Schiller pendant la présentation.
C’est une belle tablette, bien construite, bien finie, légère et fine, oui. C’est aussi une tablette :
- Comparée à l’iPad 2, donc à une version qui a déjà été remplacée deux fois.
- Avec une définition d’écran moyenne 1024x768, non retina.
- Au prix de vente peu compétitif : de 329 $ à 659 $ selon les versions.
- Et une nouvelle carte « nano SIM » incompatible avec les déjà propriétaires micro SIM d’Apple.
C’est l’une des premières fois qu’Apple lance un nouveau produit qui n’est pas au top des solutions disponibles ; cette annonce me fait un peu penser au groupe Volskwagen lançant en même temps une Audi, la quatrième génération d’iPad et une Skoda, l’iPad mini.
Présentation des « entrailles » des produits annoncés.
C’est, à ma connaissance, la première fois qu’Apple passe autant de temps à montrer l’intérieur de ses machines. Je me souviens des discours de Steve Jobs : « It just works », l’objectif essentiel étant de masquer la complexité des technologies utilisées derrière une apparence très dépouillée et élégante.
Trois des produits présentés, le Mac mini, le MacBook Pro 13 ‘’ et bien sur l’iPad mini ont eu droit à cette mise à nu. Je comprends la fierté des ingénieurs qui ont réussi à mettre autant de composants dans des petits volumes, mais Apple avait jusqu’à présent l’élégance de masquer ces prouesses techniques aux clients finaux.
Si, même chez Apple, la technologie brute revient sur le devant de la scène ...
Dénigrement de la concurrence
C’est, de très loin, le signal le plus inquiétant ; pour la première fois, Apple a fait, lors de l’annonce d’un produit important, l’iPad mini, la publicité de l’un de ses plus grands adversaires : la tablette Google Android Nexus 7 pouces fabriquée par Asus. Voir une tablette Android sur l’écran géant d’une conférence Apple, je n’aurais jamais pu l’imaginer avant le 23 octobre !
C’était bien sur pour dénigrer ce produit, qui, dixit Schiller, a échoué misérablement (failed miserably), est construit en plastique et pas en aluminium, est plus petit avec 7’’ au lieu de 7,9’’ pour l’iPad mini...
C’est un aveu majeur de faiblesse et de peur de la part d’Apple, il faut en être conscient. Jusqu’à présent, c’était le rôle de Samsung et de Microsoft de prendre pour cible Apple en présentant leurs produits concurrents.
Il est toujours facile de trouver des défauts à la concurrence ; Phil Schiller s’est fait plaisir en montrant des applications pour tablettes Android non optimisées, car construites pour des smartphones, des pages Web qui sont plus grandes sur iPad mini que sur la tablette Nexus...
C’est une démarche qui n’anoblit jamais celui qui la pratique. Phil venait de donner deux chiffres : 700 000 applications pour l’iPhone, 275 000 optimisées pour iPad ; il ne doit donc pas être très difficile de présenter sur un iPad mini les 425 000 applications non optimisées et faire rire la salle en montrant qu’elles n’utilisent pas bien la taille de son écran.
Il a aussi oublié de dire que le ratio 4/3 de l’iPad mini est beaucoup moins efficace pour afficher des vidéos que le 16/9 de la tablette de Google ; il suffit d’observer ce que font les utilisateurs de tablettes pour constater que regarder des vidéos est l’un des usages les plus répandus.
Je trouve aussi pour le moins paradoxal qu’Apple considère maintenant comme un énorme avantage le fait que sa tablette soit plus grande que celle de Google quand il oubliait totalement de dire, lors de l’annonce de l’iPhone 5, qu’il était, avec 4 ‘’, beaucoup plus petit que son grand concurrent Samsung Galaxy S3, sur le marché depuis plusieurs mois !
Focus excessif sur le marché US
La démarche a été initialisée par Steve Jobs : toute présentation Apple se doit de donner des chiffres forts qui mettent en évidence les grands succès de leurs produits. La présentation du 23 octobre n’a pas échappé à cette règle : 100 millions d’iPad vendus...
Par contre, pour pouvoir dire que l’iMac est le PC de bureau le plus vendu, Apple a été obligé de se limiter au marché américain.
L’un des plus grands challenges d’Apple sera d’arriver à percer sur les grands marchés en croissance du futur, tels que l’Inde et la Chine, ce qu’il n’arrive pas à faire, car il n’a pas d’offres d’entrée de gamme.
On trouve maintenant en Chine de bons smartphones Android d’entrée de gamme pour moins de 100 dollars.
Le même phénomène se reproduit avec les tablettes. Sur les deux familles de produits en forte croissance, smartphones et tablettes, Apple n’a pas, pour le moment, d’offres compétitives sur les grands marchés du futur.
Une offre très, trop riche
Est-ce la fin de la simplicité des offres chez Apple ?
J’ai eu la curiosité de regarder les prix de vente des trois tablettes Apple. Ils ont réussi l’exploit d’avoir, entre 329 $ et 829 $, 14 prix différents, ce qui fait que le client final ne pourra jamais dire : pour un prix donné, j’ai le choix entre deux tablettes. Ce n’est surement pas le fait du hasard !
Si je devais maintenant acheter une tablette Apple, je serais vite devant un abime de complexité :
- L’iPad mini d’entrée de gamme est à 329 $ : pour 70 $ de plus (environ 60 €), je peux avoir une tablette qui a la même définition d’écran, mais qui est beaucoup plus grande.
- L’iPad 2 d’entrée de gamme est à 399 $ : pour 100 $ de plus (environ 80 €), je peux avoir la dernière génération, beaucoup plus rapide et avec un écran de très haute qualité.
Je ne suis pas le seul à avoir aussi remarqué que la troisième génération d’iPad a immédiatement disparu du catalogue. Il semblerait que les Apple Stores britanniques proposent à leurs clients qui avaient acheté un iPad 3ème génération depuis moins de 30 jours de le changer pour un 4 ; je ne sais pas si d’autres pays vont suivre ce bon exemple.
On se rapproche dangereusement des offres des fournisseurs classiques de PC tels que HP, Asus, Dell et autres, avec des dizaines de modèles très proches, et qui laissent perplexe la majorité des utilisateurs «normaux».
En 2011, tous les utilisateurs d’iPad ou d’iPhone avaient des objets quasiment identiques, les accessoires étaient universels...
Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et cette simplicité des choix était l’un des nombreux points forts d’Apple qui, elle aussi, disparait.
Impacts financiers.
Pendant cette conférence de presse, le titre d’Apple a baissé de plus de 5 % pour terminer sur une baisse plus raisonnable autour de 3 %. Les marchés financiers n’ont pas été très emballés par ces annonces, semble-t-il.
La performance financière d’Apple sur ces dernières années a été spectaculaire, comme le montre clairement ce graphique.
Qu’en sera-t-il, demain, en 2013 ou en 2014 ? Apple est encore la plus grande capitalisation boursière du marché américain, a même atteint 700 $ il y a quelques semaines pour redescendre aux environs de 600 $ aujourd’hui.
Si, comme je le vois venir, Apple perd petit à petit sa «magie», la sanction du marché boursier sera immédiate, comme on l’a vu sur le cours de Microsoft à partir du début des années 2000.
Je suis un peu triste de voir tous ces signaux, tous ces nuages noirs, qui annoncent vraisemblablement le début d’une rentrée dans les rangs des fournisseurs traditionnels d’une icône de notre industrie.
Qui pourra, demain, prendre le relais d’Apple au firmament des astres informatiques innovants ?