Combien d’informaticiens professionnels, demain ? L’urgence ! Anticiper 2021+, dès aujourd’hui. Deuxième partie : s’y préparer
25/07/2013
« On surestime toujours les impacts à court terme d’une technologie et on sous-estime ses impacts à long terme » (Roy Amara)
Dans la première partie de cette analyse, j’ai annoncé que le nombre d’informaticiens professionnels travaillant dans les organisations de toutes tailles se réduira fortement d’ici 2021+.
Dans cette deuxième partie, je vous propose un plan d’action, ambitieux et réaliste, permettant d’anticiper ces mutations et ne pas laisser des milliers d’informaticiens sur le carreau après 2021.
Il faut pour cela que toutes les structures concernées prennent conscience du challenge et commence à agir, immédiatement.
Cloud Computing et R2I, facteurs clefs de compétitivité
Une informatique à faible coût, fiable, flexible, les avantages de la R2I et du Cloud Computing sont des éléments clefs de la compétitivité des organisations... utilisatrices de ces solutions industrielles. C’est l’une des idées clefs que je défends depuis longtemps dans ce blog.
Les professionnels de l’informatique ne doivent jamais oublier qu’ils sont au service de leurs clients, entreprises et grand public. Ils sont placés devant un dilemme intéressant :
- Promouvoir une informatique innovante, qui améliore la compétitivité des organisations de toute taille, privées et publiques, mais qui demande... moins d’informaticiens.
- Défendre des solutions anciennes, en fin de vie, pour protéger leurs emplois actuels.
C’est un débat permanent, que chaque révolution technique relance.
J’ai choisi 2021+ comme date de référence pour deux raisons principales :
- La R2I, Révolution Industrielle Informatique sera une réalité.
- C’est une échéance suffisamment lointaine pour que des décisions, prises aujourd’hui, permettent d’éviter des catastrophes humaines.
Entreprises utilisatrices, fournisseurs, sociétés de services, monde de l’éducation et monde politique doivent, dans leurs sphères respectives de compétence, passer à l’action. Comment ?
Informatique interne des organisations
Les DSI sont aujourd’hui les premiers employeurs d’informaticiens professionnels, qu’ils soient salariés ou détachés par des sociétés de services. L’évolution du nombre et du profil des informaticiens dont elles auront besoin en 2021+ est le principal paramètre qui déterminera l’évolution du marché du travail pour les informaticiens.
Action prioritaire : définir sa stratégie Systèmes d’Information 2021+
En quelques semaines, toute organisation, quelle que soit sa taille, peut réfléchir à sa stratégie S.I. long terme et définir une « photographie » de ce que pourrait être son S.I. à partir de 2021+.
Il ne s’agit bien sur pas de refaire un schéma directeur à l’ancienne, mais d’essayer d’anticiper les grandes mutations en répondant à des questions simples telles que :
- Quelles seront les applications que j’aurai basculées en SaaS. L’important c’est la décision, et ceci ne veut pas dire que l’on a immédiatement besoin de faire le choix de la solution.
- Quelles seront les applications historiques (Cobol, SAP...) qui seront encore utilisées en 2021+.
- Quelles seront la taille et la nature de mon centre de calcul privé, si je décide d’en garder un en 2021+. Je vous renvoie à mon texte récent sur l’amaigrissement des centres de calcul existants.
- Est-ce que j’aurai basculé sur une stratégie BYOx (Bring Your Own...) pour les postes de travail, les réseaux mobiles, les applications génériques...
- Quelle est la part de mes activités métiers qui aura basculé en informatique libre-service, permettant à mes clients de travailler avec mon entreprise en direct.
- ...
Le nombre et les profils des professionnels de l’informatique nécessaires pour faire fonctionner cette « informatique industrielle 2021+ » seront alors raisonnablement faciles à estimer.
Cette réflexion stratégique peut être terminée en 2014. La DSI disposera de plus de sept années pour faire évoluer ses effectifs existants, tant internes qu’externes, vers la cible définie pour 2021+. C’est une période suffisante pour que la DRH de l’informatique puisse faire intelligemment son travail et garantir une évolution non traumatique des équipes informatiques, qui perdront en moyenne 50 % de leurs effectifs.
Fournisseurs informatiques
Dans un monde industriel, ce sont les fournisseurs qui font travailler le plus de professionnels du secteur ; il y a plus de collaborateurs pour fabriquer des voitures chez Renault ou Ford que dans les entreprises qui achètent ces voitures. Ces grandes industries donnent naissance à toute une série d’activités de « services », entretien, dépannage, vente d’accessoires... qui emploient aussi de nombreux professionnels du secteur.
La même évolution va se produire quand l’informatique va passer d’un monde artisanal à un monde industriel d’ici à 2021+.
Informaticiens, vous êtes intéressés par l’innovation, les technologies de pointe, majoritairement Open Source (MapReduce, Hadoop, OpenFlow, Open Compute Project...) ? Les grands fournisseurs industriels d’infrastructures et de solutions SaaS seront de plus en plus vos futurs employeurs !
Pour les informaticiens en recherche d’un emploi, il y aura deux grands groupes de fournisseurs :
- Les historiques qui vont essayer de bloquer l’évolution vers la R2I le plus longtemps possible : des emplois à court terme, des risques pour 2021+.
- Les nouveaux acteurs, Cloud et R2I natifs : peu d’emplois à court terme, car ils sont souvent plus petits et plus efficaces que les historiques, mais de gros potentiels à l’horizon 2021+.
Sociétés de services informatiques
Les informaticiens commencent souvent leur carrière dans des sociétés de service.
Une grande partie de leurs collaborateurs sont détachés dans les entreprises pour des activités artisanales, « pré-industrielles ». Ces entreprises clientes qui réduisent le nombre de collaborateurs de la DSI vont en priorité arrêter ces contrats de délégation, à faible valeur ajoutée, pour protéger l’emploi de leurs collaborateurs permanents.
Elles gèrent aussi de grands ateliers artisanaux de paramétrisation de progiciels historiques tels que SAP ou Oracle Applications ; ils emploient près d’un million de personnes en Inde, aux Philippines et autres pays à bas coût salarial.
D’ici à 2021+, la R2I aura, sur ces ateliers artisanaux, le même impact que celui de Word sur PC a eu sur les pools dactylographiques dans les années 80.
C’est donc dans ces sociétés de services informatiques que la R2I aura l’impact le plus négatif sur l’emploi des informaticiens ; leurs deux activités qui utilisent le plus de salariés vont se réduire comme peau de chagrin.
Ces sociétés de services informatiques ont encore un rôle important à jouer, dans des activités à forte valeur ajoutée, innovantes, pour lesquelles les entreprises n’ont pas les compétences ou la taille critique nécessaire pour investir.
Pour beaucoup de jeunes informaticiens qui commencent leur carrière, ce sera un excellent point de départ ; ils pourront y acquérir des compétences pointues pour lesquelles la demande est forte.
Monde de l’éducation
Le monde de l’éducation a un rôle essentiel dans la préparation de 2021+ ; il y a deux questions simples à se poser :
- Quels seront les « emplois d’avenir » dans l’informatique des années 2021+ ?
- Quelles seront les « compétences utilisateurs » dont nous aurons tous besoin, sans être informaticiens ? En 2021+, encore plus qu’aujourd’hui, nous serons en contact permanent avec l’informatique dans nos activités professionnelles.
Il est peut-être plus facile de poser la question « négative » : quels seront les métiers sans avenir, les compétences inutiles en 2021+ ?
Collèges, lycées et universités sont tous concernés par la question des compétences utilisateurs.
La réponse est simple : tout se passera dans le Cloud à partir de 2021+. La « convergence » grand public et professionnel sera totale et les frontières entre ces deux mondes de plus en plus ténues.
En France, la situation est catastrophique, et je crains fort que les choses ne s’améliorent pas.
Plus de 95 % des établissements d’enseignement continuent à apprendre à travailler avec la « machine à écrire du XXIe siècle », Office ou ses équivalents Open Source ! En 2012, le Ministère des Affaires Etrangères a osé mettre son véto au déploiement de Google Apps dans les lycées français à l’étranger, car cela mettait en danger la « sécurité nationale » ! Ce serait risible si ce n’était pas dramatique.
A l’inverse, un grand nombre de pays en émergence, Maroc, Malaisie... ont fait le choix des solutions Google Apps for education et Chromebooks pour sauter une génération et préparer directement le monde 2021+.
Petit rappel : la version éducation de Google Apps demande un investissement majeur pour l’Education Nationale : 0 € par personne !
Toujours sur le Cloud, toujours à coût zéro, des outils exceptionnels, comme Coursera, permettent d’accéder à des milliers de formations.
Dans l’enseignement supérieur, des établissements qui échappent à la tutelle directe du Ministère de l’Education, ESSEC, HEC et beaucoup d’autres, ont pu faire le choix de solutions Collaboratives Cloud pour mieux préparer leurs étudiants au monde du travail dans lequel ils vont rentrer.
Que faut-il enseigner, aujourd’hui, pour préparer les informaticiens professionnels de 2021+ ?
C’est une question que devraient se poser tous les organismes qui proposent de former les informaticiens de demain ; le font-ils ? Je n’en suis pas certain.
Il existe heureusement des signes encourageants ; en 2012, l’ISEP a lancé un Mastère Cloud Computing et j’al l’honneur d’y animer les séances d’introduction aux concepts clefs.
Ce que je crains, ce que je vois trop souvent, est que le contenu des enseignements est basé sur les compétences actuelles des enseignants, qui n’est plus toujours d’actualité...
Il est aussi, et c’est grave, influencé par les grands fournisseurs historiques qui financent ces établissements et font tout pour pérenniser leurs outils en fin de vie en obligeant les étudiants à acquérir des compétences sans avenir.
Dans ce domaine aussi, tous les organismes d’enseignement de l’informatique devraient mener une réflexion stratégique sur les compétences qui seront nécessaires pour réussir une carrière en informatique en 2021+.
Monde politique
Quelles seraient les priorités des politiques pour mettre leur pays sur les rails du succès de la R2I pour 2021 ?
J’en vois au moins quatre :
- Accélérer la mise en œuvre d’un réseau haut débit, à dominante 3G/4G et abandonner le projet actuel très haut débit fibre optique, économiquement démentiel et techniquement déjà dépassé, comme je j’avais écrit il y a quelques mois.
- Transformer les systèmes d’information actuels du secteur public en donnant la priorité aux véritables solutions SaaS et Cloud Public sans attendre dix ans pour démarrer. C’est d’autant plus important que le secteur public est l’un des plus grands employeurs d’informaticiens et que la vitesse d’évolution de ces populations n’est pas la plus rapide du monde.
- Donner des directives claires au Ministère de l’Education (voir plus haut).
- Enfin et surtout, assurer la promotion et aider au déploiement de solutions innovantes, Cloud et R2I, dans toutes les entreprises sans vouloir, avant, créer des offres « souveraines » en infrastructures et en applications.
Est-ce que je pense vraiment que ces quatre axes d’action deviendront réalité ? Non, mais on peut toujours croire aux miracles, même en informatique !
Résumé : informaticien, en 2021+
Je rencontre beaucoup d’étudiants ou d’informaticiens qui me posent la question : est-ce que l’informatique est un métier d’avenir ? Ma réponse est claire : oui !
Si vous êtes passionné, très compétent sur des techniques de pointe, alors, oui, foncez ! Vous aurez des salaires élevés et des carrières passionnantes, en priorité chez les acteurs de l’offre.
Par contre, passez votre chemin si vous cherchez un travail à faible valeur ajoutée, dans une grande DSI ou chez un grand prestataire de services. Ces métiers artisanaux n’auront plus aucune raison d’être, à partir de 2021+.
Dans la troisième partie de cette analyse, je répond à deux questions : quels sont les emplois d'avenir ? Où ?