Réseau Social d’Entreprise Intranet (RSE) : un constat universel d’échec.
09/12/2013
Je suis conscient, en écrivant ce billet, que de très nombreux lecteurs vont en contester le contenu et prétendre que je fais un diagnostic erroné sur la réalité des RSE, Réseaux Sociaux d’Entreprise. Ce seront en priorité les éditeurs de logiciels de RSE et les responsables informatiques qui ont déployé ces solutions... sans succès, mais qui refusent d’admettre l’échec de leurs projets.
Mon objectif est clair ; éviter que les entreprises continuent à aller dans le mur, comme le font actuellement un très grand nombre d’entre elles, et en particulier les plus grandes.
- Elles poursuivent un objectif très noble : améliorer la communication et le partage entre leurs collaborateurs.
- Hélas, elles choisissent pour y arriver des solutions techniques qui mènent toujours à l’échec.
Il existe heureusement une démarche simple pour réussir la mise en œuvre d’un RSE avec une probabilité raisonnable de réussite :
- Ne jamais choisir un logiciel « dit professionnel » que l’on installe dans son Intranet, ce que je nommerai RSE-I, pour Intranet.
- Choisir, pour construire son RSE d’entreprise, une solution... grand public, adaptée au monde professionnel, un RSE-P, pour Public.
Comprendre la dynamique des réseaux
Il y a plus de 40 ans, Bob Metcalfe, l’un des inventeurs du réseau local Ethernet, avait proposé une loi qui a pris son nom et qui dit que :
« La valeur d’un réseau croît comme le carré du nombre d’utilisateurs. »
Cette « Loi de Metcalfe » s’appliquait en priorité aux réseaux physiques, mais on a rapidement compris qu’elle avait aussi beaucoup de pertinence pour les réseaux de personnes.
En clair, elle signifie que la valeur d’usage d’un réseau grandit beaucoup plus vite que le nombre de participants ; quand un seuil critique est atteint, la croissance du réseau devient très rapide et l’on rentre dans le cercle vertueux du succès : plus de participants, plus de services, plus de participants...
Internet, Facebook, iTunes et bien d’autres ont largement démontré la pertinence de cette analyse.
20 ans après Metcalfe, Geoffrey Moore a publié en 1991 un livre culte, « Crossing the Chasm » (traverser le gouffre) qui reprend et précise ces idées en les appliquant au marketing.
La base de son analyse est le modèle de l’innovation que j’ai souvent présenté dans ce blog. Le « chasm », c’est l’espace qui sépare les « early adopters » de la « majorité initiale », ce seuil critique que toutes les technologies n’ont pas su franchir.
Metcalfe et Moore sont d’accord sur l’essentiel : un réseau, une technologie universelle doivent, pour réussir, dépasser ce seuil critique et devenir « acceptables » par la majorité des utilisateurs.
Réseaux sociaux grand public : les quatre mousquetaires
Le nombre de réseaux sociaux qui tentent de conquérir le cœur et surtout une parcelle du temps des presque 3 milliards d’internautes est très élevé et je ne connais pas la majorité des outils représentés sur cette mosaïque de logos.
Le parle ici de « grand public » parce qu’il s’agit d’une décision d’appartenance individuelle, même si certains réseaux comme LinkedIn sont à vocation professionnelle.
Aujourd’hui, quatre réseaux sociaux grand public ont « crossed the Chasm » et pris l’ascendant sur tous les autres :
- Facebook, avec plus de 1 200 millions d’utilisateurs dans le monde.
- Twitter, qui c’est imposé comme la référence des échanges immédiats.
- LinkedIn, le réseau des personnes en activités professionnelles.
- Google+, le petit dernier, mais qui a la plus forte croissance.
Comme beaucoup de personnes, je suis présent sur ces « quatre mousquetaires », ce qui représente déjà un gros effort, et j’abandonne progressivement tous les autres réseaux sociaux auxquels je m’étais inscrit.
Personne ne peut, sérieusement, participer à plus de 3 à 5 réseaux sociaux.
Les trois cercles relationnels
Toute personne qui exerce une activité professionnelle peut segmenter ses contacts dans trois cercles relationnels :
- Le cercle des relations privées, des amitiés, de la famille, des partenaires de son club sportif...
- Le cercle « professionnel externe », qui permet d’échanger avec des personnes qui partagent des intérêts professionnels communs sans appartenir à son entreprise.
- Le cercle « professionnel entreprise », des personnes qui travaillent dans la même organisation que vous et avec qui vous pouvez ou devez avoir des échanges dans le cadre de vos activités.
- Sur Facebook, j’ai des échanges personnels même s’ils traitent parfois de sujets proches de mes activités professionnelles. Je n’ai pas une activité débordante sur Facebook mais je souhaite garder des contacts, même occasionnels, avec un grand nombre de personnes qui n’appartiennent pas à ma sphère professionnelle.
- Sur LinkedIn, j’appartiens, de mon propre gré, à de très nombreux groupes professionnels, souvent autour du Cloud Computing et du SaaS. J’ai dépassé la barre des 2 000 contacts directs et l’effet réseau joue à plein ; j’ai plus de 200 personnes qui attendent ma réponse à leur demande de mise en contact.
Je fais un usage modéré de Twitter, en essayant de ne pas saturer le millier de personnes qui me suivent d’informations que je pense peu pertinentes.
- Google+ est le réseau sur lequel j’ai le plus d’échanges, tant à l’intérieur de Revevol qu’avec des groupes qui appartiennent à mon cercle « professionnel externe ».
Me reste-t-il du temps pour participer à d’autres réseaux sociaux ? Franchement, non.
Je décline, gentiment, toutes les nombreuses invitations que je reçois pour participer à d’autres réseaux sociaux.
J’ai pris mon exemple, car il est plus facile pour moi d’en parler, mais la majorité des personnes qui ont niveau raisonnable d’usage des réseaux sociaux sont dans des situations similaires ; elles limitent le nombre de réseaux sur lesquels elles sont actives.
Pourquoi l’échec des RSE-I est inéluctable
Loi de Metcalfe + nombre limité de réseaux sociaux utilisés : ces deux éléments clefs expliquent pourquoi toute tentative d’implanter un RSE en Intranet, uniquement pour les collaborateurs de l’entreprise est vouée à l’échec.
Les mêmes phantasmes de la sécurité et de la confidentialité, de ce que j’ai appelé la « néphophobie » ou la peur du Cloud se retrouvent dans deux erreurs stratégiques d’un trop grand nombre d’entreprises :
- Construire un « Cloud Privé », qui n’a de Cloud que le nom et qui devrait être appelé « Centre de Calcul Privé ».
- Construire un RSE-I, exclusif de ses collaborateurs, à l’intérieur de l’Intranet.
Je ne mets pas en cause la qualité des outils logiciels utilisés, tels que Jive ou Yammer, racheté récemment par Microsoft. Il n’est pas très compliqué de mettre sur le marché un logiciel de RSE, comme l’atteste le fait qu’il y en a plusieurs dizaines sur le marché.
Même dans les plus grandes entreprises, avec plus de 100 000 collaborateurs, la masse critique n’est pas au rendez-vous et les usages ne décollent pas. De rares entreprises, comme la SNCF, et il faut les féliciter, ont eu le courage de reconnaître leurs échecs.
J’ai assisté à de très nombreuses conférences sur les RSE-I ; on n’y parle bien sur que de... succès. Le seul problème, c’est que, dans la majorité des cas, les personnes qui présentaient ces « succès » étaient des informaticiens ou les vendeurs de solutions.
Chaque fois que je parle avec les utilisateurs de ces RSE-I, ils sont unanimes à me dire que le niveau d’usage est proche du zéro absolu, à l’image de cette superbe plage que j’avais photographiée en Nouvelle-Calédonie.
La seule décision raisonnable à prendre, avant le début de la nouvelle année 2014, est très radicale :
Interdiction définitive d’essayer de mettre en œuvre un RSE-I.
Il existe, heureusement, une alternative... le RSE-P Réseau Social d’Entreprise Public.
RSE-P : Réseau Social d’Entreprise - Public
Loi de Metcalfe + nombre limité de réseaux sociaux utilisés : ces deux éléments clefs expliquent pourquoi la seule solution réaliste est de choisir un réseau social :
- Qui a « crossed the chasm ».
- Sur lequel de nombreux collaborateurs de l’entreprise sont déjà présents.
Comme me le disait la semaine dernière le Directeur Général d’une grande organisation lors d’un déjeuner : « tous mes chercheurs sont déjà sur LinkdedIn ».
Parmi les « quatre mousquetaires, deux me semblent, aujourd’hui, peu adaptés comme plateforme d’un RSE-P :
- Facebook, car une grande majorité des utilisateurs ne sont pas encore dans le monde professionnel et l’anonymat rend difficile un usage en entreprise.
- Twitter, car ses fonctionnalités ne sont pas, pour le moment, adaptées à un usage RSE-P.
Il reste donc deux candidats en lice, LinkedIn et Google+ : les deux solutions sont envisageables et peuvent servir de base à un projet de RSE qui aura une probabilité raisonnable de réussite.
- LinkedIn est, à la fin de 2013, la plus complète des deux solutions avec, comme principaux avantages :
- Une dimension professionnelle quasi exclusive, même si LinkedIn essaye d’attirer les étudiants. Il y a un peu plus de 250 millions de personnes inscrites sur ce réseau.
- La richesse des informations disponibles sur chaque personne et le fait qu’elles sont très à jour.
Le très grand nombre de groupes opérationnels, correspondant à ce que j’ai appelé le «Cercle Professionnel Externe». Vous trouverez des statistiques très intéressantes sur LinkedIn ici.
- Etant arrivé le dernier, Google+ avait étudié les caractéristiques des réseaux sociaux existants et a pu proposer, d’entrée de jeu :
- La fonction «cercle» qui permet de mettre ses contacts dans un ou plusieurs groupes indépendants les uns des autres.
- Une croissance exceptionnellement rapide : certains vont même jusqu’à prédire que Google+ pourrait dépasser Facebook en 2016 ; restons prudents.
- Des liens forts avec les autres produits professionnels de Google, tels que Google Drive, les communications Hang-out et, bien sur, Google Apps.
- Google vient de faire une annonce très importante, en novembre 2013 : il est maintenant possible de créer des cercles réservés aux collaborateurs de l’entreprise, pour prendre en compte ce que je définis comme «Cercle Professionnel Entreprise».
Alors, pour construire son RSE-P: lequel choisir ? LinkedIn ? Google+ ?
Et si la bonne réponse, pragmatique était : les deux !
Sur ce graphique, la solution proposée comprend :
- Google+ comme fondation du Cercle Professionnel Entreprise. Les responsables du projet RSE-P disposent d’un outil opérationnel, très économique (gratuit pour tous les clients de Google Apps) qui a fait la preuve de sa performance dans le grand public, et qui dispose maintenant de toutes les fonctionnalités nécessaires pour garantir un niveau de confidentialité suffisant pour tous les cercles professionnels internes qui le demandent.
- LinkedIn, comme base du Cercle Professionnel Externe. Chaque collaborateur peut, grâce à son profil LinkedIn, participer à des groupes qui vont lui apporter des informations externes très utiles. Il peut aussi faire profiter son entreprise de son «réseau externe» chaque fois que nécessaire.
Il restera bien sur à organiser les liens entre ces deux espaces externes et les autres usages de l’entreprise : CRM, annuaire... mais tout cela est aujourd’hui raisonnablement rapide à organiser, avec l’aide des connecteurs et API disponibles.
L’entreprise laisse bien sur à chaque collaborateur la possibilité d’utiliser, pour son «Cercle Relations Privées», le réseau social de son choix et en autorise l’accès depuis les locaux de l’entreprise, cela va de soi !
Synthèse
Il ne faut pas oublier une dimension préalable au succès d’un RSE, la culture de l’organisation et sa capacité à accepter, favoriser ces modes de fonctionnement innovants, en réseau. Cela reste, heureusement, la question la plus importante à se poser avant de démarrer un projet de RSE.
La bonne nouvelle, c’est qu’il est aujourd’hui possible de choisir une solution informatique «grand public» pour construire un RSE-P avec une très bonne probabilité de réussite, la réussite se mesurant au niveau d’usages par les collaborateurs de l’entreprise.
J’ai souvent parlé dans ce blog de la convergence entre le monde du grand public et celui de l’entreprise. Ce qui va se passer pour les RSE sera une preuve de plus de l’importance de ce mouvement de fond : les solutions d’entreprise qui vont s’imposer seront proches de celles qui ont fait leur preuve dans le grand public.