Apple : de l’innovation au luxe
01/12/2013
Apple Computer est né à la fin de l’année 1976, ou au début 1977 selon que l’on parle du produit Apple1 ou de la société.
Devenue Apple inc., en laissant tomber le mot Computer en 2007, en parallèle avec le lancement de l’iPhone, c’est encore, aujourd’hui 1er décembre 2013, la société d’informatique qui a la plus forte capitalisation boursière, avec 500 milliards de dollars, devant Google, 355 milliards et Microsoft 318 milliards.
Pendant longtemps, la société Apple a été synonyme d’innovation.
Elle prend en ce moment un virage stratégique majeur, en se transformant
en société du secteur luxe...
Ce changement de stratégie doit être pris en compte immédiatement dans toutes les entreprises.
Apple, ou quand l’innovation rencontrait son marché
Apple, c’est l’entreprise qui nous a apporté les trois objets d’accès à l’informatique les plus innovants :
- Le poste de travail avec interface graphique : Macintosh, en 1984.
- Le premier smartphone moderne, tactile et avec un véritable navigateur, l’iPhone en 2007.
- La première tablette vraiment utilisable, l’iPad en 2010.
J’ai été l’heureux propriétaire de chacun de ces objets innovants. Mon premier Macintosh, je l’avais acheté directement auprès du DG d’Apple de l’époque, Jean-Louis Gassée et.. il me l’avait fait payer cash !
J’avais acheté aux USA l’iPad avant sa commercialisation en France, ce qui m’avait permis de « frimer » un peu pendant quelques semaines ; prudent, je l’avais quand même revendu rapidement sur eBay, au prix auquel je l’avais acheté !
Oui, je sais, Apple n’a pas vraiment « inventé » ces produits :
- Avant le Macintosh, il y avait le Star de Xerox, en 1981.
- Avant l’iPhone il y avait le Nokia Communicator, en 1996.
- Avant l’iPad, il y avait le tabletPC de Microsoft, présenté en 2000.
Mais Apple a réussi, par un mélange très performant d’innovation, d’ergonomie, de design et de marketing à faire accepter ces produits par le marché, et avec des prix de vente élevés, qui se justifiaient par l’originalité et la valeur ajoutée perçue de ces trois lignes de produits quand elles ont été lancées.
Nous avons tous en mémoire ces photos de centaines de personnes attendant l’ouverture d’une boutique Apple pour être dans les premiers à posséder l’objet de tous leurs désirs.
En octobre 2011, il y a deux ans, le patron fondateur d’Apple, Steve Jobs, disparaissait, remplacé par un manager très compétent, Tim Cook, très bon connaisseur de la société.
Remplacer Steve Jobs chez Apple, c’était l’un des challenges de management les plus complexes, et Tim Cook a eu l’intelligence de ne pas « faire du Jobs » depuis qu’il a pris les rênes de l’entreprise ; il a donc choisi d’imposer sa vision, différente de celle de Steve.
L’annonce de l’iPhone5 m’avait déjà alerté et j’avais écrit un texte qualifiant ce lancement comme un « non-événement ».
Ce qui c’est passé depuis, et en particulier les nouvelles annonces de l’iPhone 5S et 5C et la montée en puissance des smartphones Android à prix raisonnables, m’ont amené à faire une hypothèse très simple :
Apple a décidé de se transformer en entreprise du secteur du luxe...
Apple, ou quand le luxe et la technologie se marient
Les smartphones de luxe existent depuis longtemps. Vertu, ancienne division haut de gamme de Nokia, devenue depuis indépendante, commercialise des smartphones-bijoux aussi bien sur base Apple qu’Android.
Leur dernière création, le « Constellation » est un smartphone Android, techniquement d’entrée de gamme (bicœurs 1,7 Ghz) mais commercialisé à environ 6 000 $.
On peut trouver plus cher, mais ce sont des iPhones ! Cet article référence les iPhones les plus chers du marché comme ce modèle « Gold Genie », or + diamants pour la modique somme de 48 000 £, soit environ 57 000 €.
Il s’agissait jusqu’à présent de marchés de microniches, pour des acheteurs d’objets dont l’apparence était plus importante que la technologie sous-jacente.
Le nouveau positionnement stratégique d’Apple est très différent :
Des objets technologiques performants, oui, mais à des prix beaucoup plus élevés que la concurrence, pour des clients qui souhaitent montrer qu’ils « ont les moyens » de s’offrir des produits haut de gamme.
Le double lancement iPhone 5S et 5C est très instructif :
- Le 5S, haut de gamme, et celui qui se vend le mieux.
- Le 5C, le C pour Couleur ou Cheap, comme on préfère, fait un flop relatif. Même si Apple n’a pas communiqué de chiffres, différents articles montrent qu’il se vend 2 fois plus de 5S que de 5C, alors que ce dernier est ... moins cher.
Comme je l’avais anticipé il y a environ 6 mois, le marché des smartphones et des tablettes est rentré dans une phase de stabilisation technologique, propice à de fortes baisses de prix.
Android, avec 80 % de part de marché des smartphones et plus de 60 % de celui des tablettes, joue à fond cette stratégie industrielle de réduction des prix de vente au fur et à mesure que les coûts de production baissent.
Quelques annonces récentes confirment cette analyse :
- Le Motorola G, disponible, libre, chez Amazon ou chez Motorola pour 199 $ dans sa version 16 Go. Une version 8 Go coûte 179 $.
- Une tablette HP 7 pouces, pour 89 $ chez Walmart.
Sur le site d’Apple, l’iPhone 5C de 16 Go est au prix de 549 $, soit 2,75 fois plus cher que le Motorola G. En pratique, je peux équiper 22 personnes d’un Motorola G ou 8 personnes d’un iPhone 5C avec le même budget !
Apple recrute chez ... Burberry et YSL
Oui, vous avez bien lu, il s’agit de Burberry, la marque de vêtements de luxe et pas de Blackberry.
Angela Ahrendts, PDG de Burberry, va rejoindre Apple au début de l’année 2014. Elle sera directement rattachée à Tim Cook et s’occupera en priorité des ventes dans les boutiques et on-line.
Ses performances chez Burberry ont été exceptionnelles ; en six ans, elle a triplé le CA qui dépasse maintenant les 3 milliards de dollars.
Quelques mois plus tôt, Apple avait embauché un autre dirigeant du monde du luxe, Paul Deneve, PDG d’YSL, Yves Saint-Laurent ; il sera, lui aussi, directement rattaché à Tim Cook.
Tim Cook assume donc totalement son choix stratégique vers le luxe et l’image, sans chercher à se battre sur les marchés « normaux » où les clients raisonnables cherchent à trouver les meilleurs produits aux meilleurs prix.
Je respecte totalement ce choix, qui a beaucoup de sens au niveau financier. N’oublions pas non plus que Tim Cook, contrairement à Steve Jobs, a commencé à verser des dividendes aux actionnaires d’Apple.
Les performances économiques de LVMH, Chanel, Hermès et autres vedettes du luxe sont très bonnes ; il faudra bientôt rajouter à cette liste d’entreprises du luxe... Apple.
Par contre, les extraordinaires exigences qu’avait Steve Jobs sur la qualité des nouveaux produits lancés par Apple ont disparu et de nombreux exemples récents sont là pour le démontrer :
Les performances « surprenantes » d’Apple Maps à son lancement, illustrées par cette photo d’un aéroport où je n’aurais pas envie d’atterrir !
- Les critiques nombreuses sur Mavericks, la nouvelle version de MacOS, considérée comme non terminée.
- La nouvelle version d’iWork, Pages, Numbers ou Keynote. Apple a commis la même erreur que Microsoft en voulant unifier les produits pour tablettes et PC portables, ce qui fait que les versions professionnelles sur Macintosh ont perdu beaucoup de fonctionnalités. Très gros utilisateur de Keynote, j’ai du faire très vite marche arrière et reprendre la version de... 2009.
Il y a bien longtemps qu’Apple ne nous avait pas proposé une nouvelle version d’un produit qui soit jugée par un grand nombre d’utilisateurs comme inférieure à la précédente !
Cela m’a fait penser à mon fils ainé à qui j’ai acheté cette année un PC Windows 8 et dont s’est gentiment moqué son frère, équipé d’un PC sous Windows 7 depuis 2012 en lui disant : « Je suis mieux équipé que toi ! ».
Pour un produit « de luxe », quand l’apparence prime l’usage, ce n’est pas trop grave ; pour un produit industriel, c’est inadmissible.
Quelles conséquences pour les entreprises
Les groupes de luxe français, cités plus haut, ont montré qu’il était possible de commercialiser des produits de base, sacs, valises ou montres à des prix très élevés, pour un public qui apprécie la symbolique liée à leurs marques. Ce bijou d’Hermès, copie du célébrissime sac Kelly, ne coûte que... 1,5 million d’euros.
Par contre, elles sont peu nombreuses les entreprises à équiper leurs collaborateurs et collaboratrices avec ces produits de luxe, surtout par les temps qui courent, avec une opinion publique prête à se mobiliser contre tout signe extérieur de richesse, tout symbole trop fort de réussite financière.
La convergence entre les solutions grand public et professionnelles est en marche, mais il a toujours un décalage de 2 à 5 ans entre les décisions prises par le grand public et les entreprises.
Dans le domaine des objets mobiles, les BlackBerry ont survécu trop longtemps dans les entreprises alors que le grand public avait déjà compris que ces produits n’avaient aucun avenir.
Le même phénomène se passe aujourd’hui avec les smartphones et les tablettes : les entreprises commencent à déployer ces outils et choisissent en priorité Apple, qui était la marque innovante ... il y a 3 ans !
Je propose donc aux entreprises de prendre, pour une fois, un peu d’avance sur le grand public en anticipant le virage « luxe » d’Apple.
- Ne plus acheter d’objets informatiques professionnels de luxe tels que les iPhones ou les iPads.
- Privilégier les solutions industrielles à prix raisonnable, en clair, les smartphones et tablettes Android en 2014.
- Suivre avec attention les potentiels des nouveaux acteurs tels que FirefoxOS, dont les premiers modèles sont très prometteurs, et à des prix qui vont ravir nos amis acheteurs informatiques.
La pression sur les coûts informatiques est toujours aussi forte ; la bonne nouvelle, c’est qu’il est possible de fournir aux collaborateurs de nos entreprises d’excellents outils à des prix très compétitifs.
Il serait quand même paradoxal que les DSI qui doivent gérer au plus serré leurs budgets informatiques en gaspillent une partie sur des objets de luxe, sans valeur métier supplémentaire...