Systèmes d’Information de l’état, deuxième partie : des clefs pour réussir, immédiatement
23/07/2015
Dans la première partie de cette analyse, j’ai été très critique de certains choix stratégiques faits aujourd’hui pour les Systèmes d’Information du secteur public, qui les mènent dans le mur.
Dans cette deuxième partie, je propose une nouvelle démarche, réaliste, opérationnelle, qui peut donner des résultats dans les mois qui viennent.
La seule condition pour réussir : accepter de remettre en cause une grande partie des axes stratégiques actuels ; facile à écrire, difficile à mettre en œuvre.
Modèle B I S, appliqué au secteur public
Début 2015, j’ai présenté sur ce blog le modèle B I S, Business, Infrastructures, Support.
Le modèle B I S s’applique très bien... à tous les Systèmes d’Information du secteur public.
- B = Usages Business, cœur métier.
- I = Infrastructures.
- S = Usages support, universels.
La vision stratégique que je propose pour les SI de l’État est raisonnablement simple :
- Faire comme toutes les organisations du monde : choisir « sur étagère », le meilleur des solutions industrielles pour I et S.
- Investir uniquement sur ce qui fait la spécificité du secteur public, des applications cœur métier, très nombreuses.
Secteur public : choisir le meilleur du marché pour les infrastructures
J’ai une excellente nouvelle pour les responsables de la stratégie SI du gouvernement français et pour tous les DSI des organismes publics : ils peuvent déployer, immédiatement, les meilleures solutions du monde pour leurs infrastructures.
- Il n’y a pas de modèles spécifiques « secteur public » pour les objets d’accès au SI : les mêmes PC Windows, Macintosh, Chromebooks, tablettes ou smartphones, les mêmes navigateurs peuvent être utilisés par toutes les entreprises, publiques ou privées. Problème réglé.
- Il n’y a pas de réseaux spécifiques « secteur public » : les mêmes réseaux sans fil, WiFi, 3G ou 4G, les mêmes réseaux WAN et MAN peuvent être déployés par toutes les entreprises, publiques ou privées. Problème réglé.
- Concernant les centres de calcul, il est aussi absurde pour les organisations publiques que privées de continuer à construire ou exploiter des « centres de calcul privés », improprement appelés « Cloud Privés ». Toutes les entreprises peuvent migrer leurs infrastructures serveurs sur des clouds publics, en donnant bien sur la priorité aux acteurs industriels et pérennes. Problème réglé.
Tout ceci est résumé dans ce schéma très simple :
L’État n’a plus besoin d’investir dans des infrastructures informatiques et pourra fermer, d’ici 2021, plus de 90 % de ses centres de calcul existants. C’est une excellente nouvelle pour les finances publiques...
Une mesure conservatoire s’impose : un décret peut être publié cet été pour annoncer que : « à partir du 1er septembre 2015, aucun organisme public n’est autorisé à acheter un seul nouveau serveur. »
Secteur public : choisir le meilleur du marché pour les usages support
Pour la dimension « S », fonctions support, la décision stratégique est, elle aussi, très simple à formuler :
« Seules des applications SaaS, multi-tenant sont autorisées dans les organisations publiques, pour répondre aux usages support ».
C’est une excellente nouvelle de plus pour les financiers et les DSI du secteur public ; il existe, aujourd’hui, des réponses SaaS pour 100 % des usages support dont ont besoin les organisations publiques. Quelques exemples :
- Messagerie et fonctions bureautiques : Google Apps ou Office 365 de Microsoft. Conséquence logique : abandon immédiat des solutions « gauloises Open Source » dont j’ai parlé dans la première partie de cette analyse.
- Gestion des voyages : Concur ou KDS.
- Enquêtes : SurveyMonkey.
- Il existe d’excellentes solutions « françaises » pour répondre à des usages support. On peut citer :
- TalentSoft pour la gestion des ressources humaines ; c’est la solution choisie par la SNCF pour ses 150 000 collaborateurs.
- BIME pour les outils décisionnels et de reporting.
- ESKER ou Yooz pour la dématérialisation, usage considéré comme prioritaire dans la « Loi Macron », ce qui est une excellente initiative.
Pour mettre en œuvre cette politique « SaaS Only », le gouvernement français peut s’inspirer de ce qu’on fait nos voisins britanniques, dès 2012 : proposer une place de marché où sont présentes toutes les applications « SaaS multi-tenant » présélectionnées. En juillet 2015, il y a plus de 5 000 applications référencées !
Un organisme public anglais peut aller sur cette place de marché et choisir la solution qui lui parait la plus raisonnable ; il peut la commander immédiatement, au prix indiqué ! C’est la fin les délais et les coûts monstrueux des appels d’offres : personne ne s’en plaindra !
La place de marché SaaS du gouvernement anglais était opérationnelle en 4 semaines. Je propose donc que la place de marche SaaS française soit construire pendant le dernier trimestre 2015 et que le décret en rendant l’usage obligatoire soit daté du lundi 4 janvier 2016, pour bien commencer l’année dans le secteur public.
Les usages cœur métier, priorité absolue pour les SI de l’État
Les nouvelles options stratégiques pour les infrastructures et les usages support vont libérer beaucoup de temps et d’argent pour s’occuper de ce qui est essentiel, les usages « B », cœur métier.
J’ai souvent eu l’honneur de travailler avec des conseils généraux, des villes, des hôpitaux... J’ai découvert a chaque fois que le nombre et la variété des usages cœur métier étaient impressionnants.
Une ville de taille moyenne a beaucoup plus d’applications métiers qu’une grande banque nationale : elle s’occupe d’éducation, de sécurité, de jardins, de personnes âgées...
Dans ce domaine, l’excessive centralisation de l’État français a au moins un avantage : pour l’essentiel, les règlements qui s’appliquent sont les mêmes sur tout le territoire. Ceci permet d’envisager l’usage de la troisième voie du Cloud, le cloud communautaire, sujet que j’avais traité dans deux billets dès 2011.
Rappel : caractéristiques principales d’un cloud communautaire :
- Propose une application métier spécifique.
- Ces applications sont construites en SaaS multi-tenant.
- Elles sont, de plus en plus souvent, hébergées sur des plateformes IaaS.
La priorité absolue, immédiate, des responsables des SI de l’État français doit être de promouvoir la création de dizaines, de centaines d’applications cœur métier SaaS, disponibles sur des clouds communautaires.
Pour ces applications cœur métier, privilégier des infrastructures clouds publics sur le territoire national a du sens. OVH, Orange-CloudWatt, Numergy, Outscale ou d’autres sociétés pourront être mises en concurrence pour héberger ces applications cœur métier. Le fait que ces applications SaaS ne soient pas toutes chez le même fournisseur serait une bonne chose, en créant un environnement concurrentiel fort entre ces acteurs, dont pourront bénéficier tous les organismes publics.
La tache est immense, compte tenu du très grand nombre d’applications cœur métiers à construire. Pour répondre à ce challenge, je propose une démarche très pragmatique :
S’appuyer sur les organismes associatifs existants. Dans le domaine des collectivités locales, le Coter-Club est le partenaire évident. Je suis persuadé qu’ils seraient prêts à établir, rapidement, une première liste d’applications prioritaires, après une enquête auprès de leurs membres. La même démarche peut être menée auprès des associations de DSI du secteur de la santé, des ministères.
- Privilégier au début les applications cœur métier les plus simples, les plus rapides à déployer, celles qui posent le moins de problèmes techniques ou organisationnels. Nous avons trop tendance, en France, à chercher les sujets les plus complexes pour démarrer !
- S’appuyer, chaque fois que c’est possible, sur les éditeurs historiques de solutions métiers existantes. Ils connaissent bien les problématiques de ces applications mais n’ont pas toujours l’envie ou les compétences nécessaires pour basculer de leur modèle actuel, de logiciels à installer avec ventes de licences vers un modèle économique SaaS. Aider financièrement ces éditeurs, souvent petits, à prendre le virage du SaaS sera un investissement raisonnable et porteur de véritable valeur, pour les organismes publics clients et pour les éditeurs.
- Utiliser tous les outils existants qui permettent d’industrialiser au maximum cette migration. Je pense en particulier aux solutions de Corent Technologies, « SurPaas », qui permettent de transformer très rapidement certaines applications existantes en véritables applications SaaS mullti-tenant.
En profiter pour recréer des filières d’excellence pour favoriser la carrière des développeurs, des ingénieurs logiciels, sujet que j’ai traité récemment. C’est un domaine où le secteur public peut être très moteur.
Dans les domaines « I » et « S », l’offre de solutions est en avance sur la demande ; il n’est donc pas nécessaire d’investir, il suffit de déployer les solutions existantes.
Dans le domaine « B », l’offre est très en retard sur la demande. C’est dans ce domaine que l’État doit favoriser l’investissement en aidant à la création de produits pour lesquels une forte demande latente existe.
Des exemples à suivre, dans d’autres pays
J’ai déjà présenté la stratégie Cloud du gouvernement US (2011) et la place de marché du gouvernement UK (2012).
Il y a d’autres initiatives innovantes dans le domaine des SI du secteur public, dont on peut aussi s’inspirer en France. Je vous en propose quatre :
Le président Obama vient de recruter une équipe « secrète » de 150 personnes, parmi les plus brillants informaticiens de la Silicon Valley, pour l’aider à moderniser les SI du gouvernement américain. Ils ont tous accepté cette « mission », c’est le mot qui convient, malgré de fortes baisses de salaires et les « stock options » abandonnées.
En mars 2015, la « Maison Blanche » a recruté son nouveau directeur informatique : David Recordon a 28 ans, travaillait avant chez Facebook et est l’un des gurus de l’Open Source.
- Toujours en mars 2015, l’armée américaine a publié un document, public, définissant sa stratégie Cloud Computing. Parmi les objectifs annoncés : « réduire notre possession des matériels (I) et autres technologies de commodités (S)... pour mieux répondre à nos missions (B) ».
- Plus près de nous, l’Estonie a développé ce qui est considéré aujourd’hui comme le SI d’e-gouvernement le plus avancé du monde.
Résumé
Oui, il est possible, rapidement de définir une stratégie SI innovante pour le secteur public.
Oui, on peut être optimiste en voyant ce qu’il est possible de faire, aujourd’hui, pour améliorer le fonctionnement et l’efficacité des acteurs du secteur public.
Oui, mais, tout cela dépend d’une forte capacité à remettre en cause des démarches et stratégies actuelles qui, elles, nous conduisent dans le mur.