Ingénieur logiciel : la renaissance d’un beau métier ?
06/07/2015
Alerte ! Danger majeur ! Urgence !
Il est devenu impossible de faire carrière dans le métier de développeur, d’ingénieur logiciel, et ceci met en péril la compétitivité de toutes les entreprises. Une réaction immédiate s’impose.
La croissance extraordinaire de la puissance des solutions informatiques dont nous disposons aujourd’hui a deux sources :
- Les améliorations dans les composants électroniques des processeurs, mémoires et réseaux.
- Les logiciels qui permettent d’exploiter efficacement ces composants.
Cette « évidence » met au cœur de la performance des SI les développeurs de logiciel, que l’on nomme maintenant « ingénieur logiciel ». Rien n’existerait en informatique sans eux.
Ces ingénieurs logiciels se répartissent en deux grandes familles :
- Les personnes qui travaillent au plus près des infrastructures, pour développer des systèmes d’exploitation, des navigateurs, des logiciels de gestion de bases de données... On les trouve en priorité chez les constructeurs informatiques.
- Les personnes qui construisent des applications pour répondre aux attentes du grand public et du monde professionnel. C’est d’eux, les ingénieurs logiciels applicatifs que je vais parler dans ce billet.
Une situation catastrophique, aujourd’hui
Un ingénieur logiciel applicatif peut travailler :
- Chez un éditeur de logiciels.
- Dans une ESN, Entreprise de Services Numériques, les ex SSII.
- Dans une organisation, privée ou publique, dont le métier n’est pas l’informatique.
Chez les éditeurs de logiciels, l’importance du rôle de l’ingénieur logiciel est bien prise en compte et il est possible de faire carrière en restant dans le métier d’ingénieur logiciel applicatif.
C’est dans les entreprises et les ESN que la situation est dramatique : il est impossible de faire carrière en restant dans ce métier d’ingénieur logiciel applicatif.
Jeune développeur, vous commencez votre carrière dans une ESN, une banque, une entreprise industrielle... C’est une porte d’entrée fréquente dans la profession.
Pendant les 2 ou 3 premières années, tout se passe raisonnablement bien, puis la situation se complique. On commence à vous poser des questions, à vous regarder de manière bizarre :
- Vous continuez à coder ?
- Vous pensez vraiment continuer longtemps dans ce métier ?
- Vous n’êtes pas intéressé par des augmentations de salaire ?
- Vous n’avez pas envie de faire une belle carrière ?
- ...
Les seuls plans de carrière proposés aux ingénieurs logiciels les obligent à changer de métier et à devenir, le plus vite possible :
- Chef de projet, dans les entreprises et les ESN.
- Commercial, dans les ESN.
- Ou... sortir des métiers de l’informatique.
Par quel miracle un bon ingénieur logiciel serait-il aussi un bon chef de projet ou un bon commercial ? Les compétences, les intérêts métiers sont totalement différents !
Il y a bien sur des exceptions à cette situation ; je connais quelques ESN innovantes, de petite taille, qui traitent très bien leurs développeurs logiciels.
Ingénieur logiciel applicatif : un cul-de-sac professionnel en 2015
La situation des développeurs d’applications n’est vraiment pas brillante, en 2015.
Des millions de développeurs réalisent des tâches à faible valeur ajoutée, sous-payés, pour paramétrer des ERP archaïques tels que SAP, Oracle Applications ou Microsoft Dynamics.
Je ne critique pas du tout les personnes qui font ce travail, mais les donneurs d’ordres, ces grandes entreprises qui croient encore que l’ERP intégré est la réponse à leurs attentes et les ESN qui sont prêtes à mettre des milliers de personnes à la disposition de ces entreprises, pendant de nombreuses années.
Il est d’ailleurs très révélateur que la fonction « paramétreur de progiciels » soit l’un des métiers référencés dans la nomenclature des emplois informatiques proposée par le CIGREF, le Club Informatique des Grandes Entreprises Françaises.
Est-ce que cette situation est sans espoir pour les ingénieurs logiciels applicatifs qui aiment leur métier, qui souhaiteraient y faire carrière ?
Non, si les entreprises prennent conscience du danger de la situation actuelle et font évoluer leur vision du SI vers le modèle « B I S » que je propose.
Le modèle « B I S », meilleur allié des ingénieurs logiciels applicatifs
Je résume en quelques lignes les trois composants du modèle « B I S » que j’ai présenté en détail dans un billet récent.
- I, pour Infrastructures : les réseaux, postes de travail et serveurs, pris en charge de plus en plus par des solutions IaaS, Infrastructure as a Service.
- S, pour usages support : messagerie, pilotage RH, budgets... Toutes ces fonctions sont aujourd’hui disponibles en SaaS, Software as a Service.
- B, pour usages Business, cœur métiers : il existe aujourd’hui peu de SaaS verticaux spécialisés métiers ; c’est donc dans ce domaine que l’on aura besoin d’ingénieurs logiciels pour construire des applications sur mesure, porteuses de compétitivité et de différentiation.
Si cette logique l’emporte, ce que j’espère sans en être certain, entreprises et ESN vont devoir repenser profondément leur approche, comme je le résume dans ce tableau :
Aujourd’hui, les ingénieurs logiciels sont reconnus et peuvent faire carrière chez les constructeurs et les éditeurs de logiciels.
Demain, il faudra créer un grand nombre d’emplois à haut potentiel d’ingénieurs logiciels applicatifs dans les entreprises et les ESN pour répondre à une demande qui n’existe pas encore aujourd’hui. Ces applications métiers seront, bien sur, développées sur le Cloud avec des outils PaaS, Platform as a Service.
Peut-on croire à cette évolution, à cette révolution ? Je vois de plus en plus de signaux positifs qui me rendent raisonnablement optimiste.
Développer sur le Cloud, en PaaS, est une excellente option pour les ingénieurs logiciels et leur nombre devrait tripler rapidement, comme l’explique cet article récent.
J’y trouve aussi dans ce texte une phrase importante : « Les développeurs souhaitent travailler sur des problèmes difficiles », ce que peuvent leur proposer Amazon, Facebook ou Google. DSI des grandes entreprises, plus vous proposerez de développer des applications innovantes, complexes, plus vous aurez de candidats pour vous aider !
Quelques grandes entreprises ont compris l’importance de reprendre le contrôle du développement de leurs applications cœur métier ; en 2014, General Motors a pris la décision d’embaucher... 8 000 ingénieurs logiciels.
Ingénieur logiciel, un métier qui se bonifie avec l’expérience
J’ai posé des dizaines de fois, dans les séminaires que j’anime, cette question aux personnes qui avaient eu un début de carrière informatique dans le développement logiciel : « Auriez-vous aimé continuer plus longtemps dans ce métier ? »
Une majorité de personnes répondent « oui ».
Ingénieur logiciel, ce n’est pas un métier pour débutant ! C’est un métier complexe, où l’expérience joue un rôle majeur.
C’est aussi un métier où les différences de performances entre les bons et les « autres » sont très fortes, avec des ratios qui peuvent dépasser 10 à 50 entre les meilleurs et les « moins bons ».
Dans un orchestre symphonique, les violonistes, les trompettistes peuvent faire toute leur carrière en jouant de l’instrument qu’ils maîtrisent très bien.
Demain, il faudra aussi permettre aux champions de PHP, JavaScript ou Java de continuer à exercer leurs talents le plus longtemps possible. Le violoncelliste Mstislav Rostropovich donnait encore des concerts quelques semaines avant sa mort, à 80 ans.
Les DRH et les DSI doivent, de toute urgence, mettre sur pied des plans de carrière et de rémunération adaptés à ce nouveau profil « Ingénieur Logiciel Applicatif à vie ».
Dans un pays comme la France qui a beaucoup de mal à reconnaître et récompenser les compétences techniques au détriment des fonctions de management, ce ne sera pas facile !
Des milliers d’ingénieurs logiciels sont prêts à travailler toute leur vie dans un métier qui leur plait, où ils sont très bons, et deviendront meilleurs au fil des années. Entreprises et ESN doivent simplement apprendre à les accueillir dignement et à rémunérer des compétences dont elles vont avoir besoin, et... très rapidement.