Pas d’ingénieurs logiciels en interne ? Pas d’entreprise numérique !
22/02/2016
Entreprise numérique, Chief Digital Officer, Big Data... Les entreprises sont toujours prêtes à parler des nouvelles technologies, à se gargariser de mots qui donnent l’illusion de la modernité et de l’innovation.
Le seul problème : ces entreprises sont trop peu nombreuses à passer à l’action, à avoir le courage de prendre les décisions qui permettraient de mettre en œuvre ces outils numériques au service de leur compétitivité.
J’aborde dans ce billet l’une des carences les plus universelles dans les grandes organisations, leur incapacité à créer en interne des équipes de développeurs, d’ingénieurs logiciels, et à les garder en leur proposant une véritable carrière.
L’entreprise devient logiciel
«Toutes les entreprises doivent devenir des entreprises logiciels» Bill Ruh, General Electric
Cette citation d’un dirigeant de General Electric illustre parfaitement la mutation qui touche toutes les entreprises, quelle que soit leur secteur d’activité. General Electric a embauché plus de 1 200 ingénieurs logiciels.
Entreprise industrielle, de transport, banque, assurance ou secteur public, toutes les entreprises doivent, elles aussi, devenir «éditeur de logiciels métiers» pour rester compétitives.
Le «B» du modèle B I S
Les lecteurs de ce blog sont familiers du modèle B I S, Business, Infrastructures, Support.
Devenir éditeur de logiciel n’a de sens que pour les usages «B», cœur métiers. Pour que cette mutation culturelle puisse se réaliser, il y a deux préalables indispensables :
- La reconnaissance par la DG, les directions métiers et la DSI du rôle primordial des applications métiers spécifiques, innovantes.
- La reconnaissance par la DG, la DRH et la DSI du fait que pour développer des applications métiers innovantes, il faut... des ingénieurs logiciels en interne.
Si ces deux conditions ne sont pas remplies, les entreprises resteront dans le «discours incantatoire» et n’auront jamais la capacité de devenir des «entreprises logiciels».
Par contre, si cette prise de conscience a lieu, et les décisions qui en découlent sont prises, alors, le futur des usages cœur métiers devient passionnant.
Pourquoi ? Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour que les équipes d’ingénieurs logiciels puissent réaliser un travail formidable.
Ingénieur logiciel, en 2016 : tout doit changer
Dans un billet récent, j’ai annoncé la «renaissance du métier d’ingénieur logiciel», en espérant que les entreprises comprennent mon message et le mette en pratique. La réalité est hélas encore très loin de cette prise de conscience.
Démarches, outils, plateformes... tout ce que l’on avait appris sur les ex bonnes pratiques du métier de développeur doit être abandonné :
- La séparation entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre.
- La séparation entre développement et production.
- Les méthodes traditionnelles de gestion de projets.
- Les recettes logicielles.
- ....
Si je devais choisir seulement deux concepts qui vont révolutionner le métier d’ingénieur logiciel dans les prochaines années, ce seraient :
- Devops
- Serverless
Devops
Devops est la contraction de Developpement et Operations. L’expression Devops est utilisée depuis le début des années 2010.
Au delà des outils, Devops est une démarche de rupture dans tout le processus de construction d’une application. Elle a ses origines dans les démarches agiles et le «continuous delivery».
Tout l’édifice classique informatique est mis à bas par Devops. Dans l’immense majorité des entreprises, les équipes de développement s’occupent du code et passent ensuite le «bébé» aux équipes d’infrastructures qui vont, après moult tests, accepter de mettre cette application en production. Ce processus dure souvent des semaines ou des mois.
C’est Werner Vogels, le CTO d’AWS, Amazon Web Services, qui en a donné ce qui est pour moi la meilleure et la plus simple définition :
«You build it, you run it»
Chez AWS, des centaines de projets Devops avancent en parallèle. Dès que l’équipe du projet 134 est prête, elle met en production la nouvelle version sans se préoccuper de ce que font les autres projets. Toute les notions de synchronisation ou de schéma directeur disparaissent, car elles seraient des facteurs de blocage et de ralentissement insupportables.
AWS a récemment créé une certification «Devops Engineer».
Devops est utilisé par tous les géants du Web et des entreprises innovantes telles que NetFlix.
En apparence, la démarche Devops est en contradiction avec une des idées que je défends avec le plus de force, l’indépendance entre les usages et les infrastructures.
C’est là qu’intervient la deuxième révolution, «serverless»
Serverless
La démarche serverless, «sans serveur», consiste à affranchir l’ingénieur logiciel de toute référence à des ressources matérielles d’infrastructures, telles que serveurs ou fichiers.
Une fois de plus, c’est AWS qui a pris le leadership dans ce domaine, avec l’annonce de Lambda ( λ ).
L’application envoie des ordres, les lambda functions, et le service Lambda va dynamiquement mettre en œuvre les ressources d’infrastructures nécessaires à son exécution.
Avec Lambda, on atteint la parfaite indépendance usages - infrastructures ; les développeurs ne pensent qu’à leur code, et Lambda met en œuvre les ressources nécessaires.
Un premier livre sur Lambda est disponible, pour le moment uniquement en version Kindle.
Les leaders mondiaux de l’informatique ont bien pris conscience de l’importance de cette démarche «serverless». L’avancée prise par AWS avec Lambda les inquiète et ils commencent à réagir :
- Google a annoncé, début 2016, Google Cloud Functions, très proche dans sa logique de Lambda.
- Le projet Kratos, porté par Iron.io, a pour objectif de rendre Lambda agnostique et de permettre de porter les fonctions λ sur tous les fournisseurs de Cloud.
J’aurais aussi pu parler des microservices, des différents langages disponibles ou des grands frameworks applicatifs. J’ai préféré me concentrer sur les deux concepts qui vont, à mon avis, avoir le plus d’impacts sur le métier d’ingénieur logiciel : Devops et Serverless.
MAJ du 23 février 2016
IBM rejoint AWS et Google avec l'annonce de sa version Serverless pour Bluemix : OpenWhisk. IBM met en avant une caractéristique importante : c'est une solution Open Source.
Actions urgentes, immédiates
Les entreprises, et en particulier les plus grandes, qui n’auront pas, très rapidement, des équipes internes d’ingénieurs logiciels qui maîtrisent Devops et Serverless prendront de graves risques de perte de compétitivité.
Il leur sera très difficile de se battre à armes égales avec leurs concurrents capables de produire, mois après mois, de nouveaux services numériques innovants.
Pour recréer des conditions d’accueil d’ingénieurs logiciels, DRH et DSI doivent travailler ensemble pour proposer des rémunérations et des plans de carrière dignes de ce nom.
Rémunération
Le site ComputerCareers vient de publier une étude sur les salaires des ingénieurs logiciels ; ce sont les chiffres de décembre 2015. Ce tableau donne les résultats dans les entreprises qui payent le mieux.
Pour les sept entreprises citées, la moyenne des salaires annuels est dans la fourchette 130 000 à 155 000 dollars.
Plans de carrières
Ce deuxième tableau montre que l’écart entre les débutants et les mieux payés est de 1 à 3, ce qui permet des plans de carrière raisonnables.
Comparez ces chiffres à ceux pratiqués dans votre entreprise : même en tenant compte des écarts de salaires entre les USA et l’Europe, vous aurez une bonne idée du chemin qui reste à parcourir.
Les ingénieurs logiciels seront, demain, les informaticiens les plus importants de vos équipes. Proches des directions métiers, ils vont acquérir de plus en plus de compétences sur les activités essentielles des entreprises. Il serait criminel de ne pas les «chouchouter», de ne pas leur donner la possibilité d’exercer cette activité pendant des dizaines d’années.
Des paroles ou des actes
Les entreprises doivent arrêter de se faire plaisir avec des mots et des concepts ronflants, qui ne débouchent sur rien de concret, d’opérationnel. L’action doit prendre le pas sur la parole, et vite !
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Combien d’entreprises sont capables, aujourd’hui de tenir ce discours et... de le mettre en œuvre.
Il existe heureusement des lueurs d'espoir ; dans un entretien avec la revue du digital, Carlos Gonçalves, DSI de Société Générale CIB, prévoit "un avenir incroyable pour les bons développeurs".
Espérons qu'ils seront de plus en plus nombreux, les DSI à partager son point de vue !