Entreprises et Cloud : deux démarches, deux visions différentes
14/02/2018
Un grand merci à Bertrand Lemaire et CIO-Online pour m’avoir invité à cette intéressante conférence, mardi 13 février 2018 dans la matinée.
Software Defined Everything : un titre un peu sibyllin, mais qui permettait de parler de beaucoup de sujets. Dans la pratique, l’essentiel des échanges c’est concentré sur les solutions de Cloud Computing.
Le grand témoin de cette manifestation était Jean-Christophe Laissy, DSI groupe de Veolia, nommé deux fois en 2017 DSI de l’année.
La conférence a commencé par la présentation de quelques résultats d’une enquête réalisée par CIO-online sur ces sujets.
J’en ai extrait un seul graphique, qui m’a fait sursauter tant les chiffres sont inquiétants :
- 71 % des entreprises n’envisagent pas de basculer sur des infrastructures dans le Cloud Public. Oui, vous avez bien lu, les ¾, et nous sommes en 2018 !
- 9 %, 9 % seulement, répondent oui à cette question.
J’ai choisi de ne pas commenter les intéressantes présentations faites par les fournisseurs sponsors de l’évènement : Veritas, Riverbed, Nutanix, Dimension Data et VMware.
Ce qui m’a passionné, et fasciné, ce sont les présentations faites par des organisations privées et publiques ; les différences d’approches étaient impressionnantes.
Deux groupes de responsables Systèmes d’Information se sont exprimés :
- Les partisans des Clouds Privés.
- Ceux qui ont fait le choix du Cloud Public.
Démarche Clouds Privés
La majorité des DSI qui ont parlé appartiennent à ce groupe.
Une remarque de Paul Cohen Scali, DSI du PMU, résume très bien cette démarche : « On avance par étape, marche par marche ».
Le PMU a expliqué comment il s’était débarrassé de son Mainframe IBM :
- Basculement sur des serveurs AIX/Unix, d’IBM.
- Les mêmes applications historiques, Cobol, fonctionnent sur ces nouveaux serveurs.
- Pour les nouveaux usages, tels que les paris sportifs on-line, le PMU a choisi de s’appuyer sur des applications de partenaires spécialisés.
- Rien sur le Cloud Public pour le moment.
Faouzy Sefsaf, DSI de Nigay, entreprise leader du marché du caramel, a lui aussi choisi de rester dans des infrastructures internes, virtualisées.
Pierre-François Renard est responsable du stockage des données à la Société Générale. Il a clairement expliqué que la banque a fait le choix d’une démarche Cloud Privé. La gestion des différentes générations de solutions techniques de gestion des supports de stockage est, et restera complexe.
En fin de matinée, une table ronde regroupait trois responsables SI ; Laurent Dirson, de Nexity, fait partie des partisans du Cloud Public et j’en parlerai dans la deuxième partie de ce billet.
Les deux autres intervenants, Frédéric Soultanem, du Ministère de l’Agriculture et Lucien Foucault, du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, ont présenté un projet sur lequel ces deux ministères collaborent ; son nom : OSHIMAE : Offre de Service d’Hébergement Interministériel Agriculture Ecologie. Ce projet est l’un des lauréats du Programme d’investissements d’avenir « Transition numérique de l’État et modernisation de l’action publique ».
J’ai retenu plusieurs points dans cette présentation :
- C’est un bon exemple de « cloud communautaire », avec deux ministères qui souhaitent partager une infrastructure commune. Une excellente initiative, à encourager.
- On est sur des échelles de temps « longs » : OSHIMAE devrait être opérationnel en 2022 et le projet a été initialisé quand Nicolas Sarkozy était Président de la République.
- L’un des objectifs du gouvernement est de réduire, très progressivement, le nombre de centres de calculs de l’état de 100 à 10.
- Il s’agit, bien sûr, de construire des Clouds Privés.
- L’un des arguments avancés pour ne pas choisir une solution de Cloud Public était « intéressant » : on ne va pas donner de l’argent public à des entreprises qui… ne paient pas leurs impôts en France.
- Le gouvernement a commencé à utiliser un cloud public : devinez quel est le fournisseur choisi : Orange.
Pour ces organisations, et si l’on en croit les résultats du sondage déjà cité, elles sont largement majoritaires, les solutions Cloud Public ne seront pas dans leur radar avant longtemps.
Démarche Clouds Publics
Le contraste entre les discours était saisissant quand on écoutait ensuite Laurent Dirson de Nexity et Jean-Christophe Laissy de Veolia, qui ont fait le choix d’une démarche résolument tournée vers le Cloud Public.
DataCenterLess : sans centre de calcul. Cette expression, utilisée par ces deux décideurs, résume très bien leur démarche.
Gérer des infrastructures, des serveurs, des disques, des réseaux, ce n’est pas cela qui va nous apporter un euro de plus de chiffres d’affaires, qui va accroître notre compétitivité.
De la présentation de Nexity, j’ai retenu quelques idées fortes :
- Nexity aura fermé son dernier centre de calcul en juin 2019.
- Les applications historiques sans valeur métiers sont portées à l’identique sur les infrastructures IaaS des grands leaders, en « Lift & Shift ».
- La virtualisation aujourd’hui, les containers de plus en plus, facilitent ces migrations et la possibilité d’utiliser des clouds publics différents.
- Pour tous les usages transverses, Nexity choisit des solutions SaaS.
- Les nouvelles applications créatrices de valeur sont développées avec des outils PaaS (Platform as a Service), sur des Clouds Publics.
- 80 % du SI sera reconstruit dans les 3 ans qui viennent.
- La gestion des infrastructures IaaS est un métier complexe, qui demande des compétences techniques et financières ; ce sont des profils difficiles à trouver.
Je n’ai jamais eu l’occasion de travailler pour Nexity, mais j’ai découvert avec plaisir que Nexity utilisait le modèle B I S que je préconise depuis 3 ans.
C’est ce même modèle B I S qui est suivie par Veolia, société avec qui j’ai l’honneur de travailler depuis plusieurs années.
Les démarches suivies par Nexity et Veolia ont beaucoup de points communs, résumés dans ce graphique :
- Usages B, cœur métiers : développées sur mesure en utilisant des solutions PaaS des grands acteurs du Cloud Public.
- Infrastructures I : Les solutions IaaS sont utilisées en « Lift & Shift » pour des applications historiques. Veolia a migré tous ses serveurs SAP sur AWS en 6 mois et le nombre de serveurs nécessaires est passé de 600 en interne à 200/250 chez AWS. Les coûts de fonctionnement ont été réduits de 40 %.
- Usages S, Support : recours systématique à des solutions SaaS. L’offre est très riche et permet de trouver des réponses de qualité.
En plus de son rôle de grand témoin et de commentateur des interventions, Jean-Christophe Lassy (à gauche sur la photo, avec Bertrand Lemaire) a aussi présenté quelques points forts de la stratégie Cloud Public de Veolia :
- Veolia est un groupe très décentralisé ou chaque Business Unit a ses équipes informatiques ; il y a environ 2 300 informaticiens en interne.
- La seule application commune, utilisée par plus de 100 000 clients internes, est G Suite de Google. Office et Active Directory seront éliminés et les Chromebooks généralisés.
- Veolia sort 2000 serveurs de ses centres de calcul chaque trimestre.
- Il devrait rester moins de 10 % des serveurs dans 3 ans, essentiellement des serveurs utilisés pour des taches techniques.
- Le point d’arrivée commun en 2020 est le même pour toute l’entreprise ; par contre, le chemin pour y arriver est spécifique pour chaque BU, en fonction de sa situation de départ.
- La gestion des deux clouds publics, GCP et AWS, demande de fortes compétences « FinOps », financières et opérations, à la fois architectes techniques et gestionnaires de contrats.
- En acceptant des niveaux de SLA plus raisonnables pour des applications non critiques, on peut réduire fortement les coûts de fonctionnement, parfois dans un rapport 10 !
Le message de Jean-Christophe Laissy qui a le plus surpris les participants concerne… la sécurité. Il a expliqué qu’il ne pouvait pas garantir la sécurité du SI de Veolia à sa DG quand des centaines de personnes, dans des dizaines de sites différents, sont chargées de la sécurité. A l’inverse, avec AWS et GCP, la sécurité est garantie dans le monde entier, avec leurs équipes de plusieurs centaines de personnes, parmi les meilleures au monde.
Résumé
Je respecte les organisations qui font le choix d’une démarche Cloud Privé ; mon éthique m’interdit de les aider à aller dans une direction que je considère comme très dangereuse pour leur avenir et leur survie.
J’accompagne par contre avec beaucoup de passion et d’énergie les organisations qui ont le courage de choisir la voie, plus difficile, qui mène à des solutions Cloud Public pour les infrastructures et les usages.
S’il n’y avait qu’une seule idée à retenir de cette matinée passionnante, ce serait : le fossé qui existe entre les partisans du Cloud Privé et ceux du Cloud Public est très profond !
Les fournisseurs qui se sont exprimés pendant cette réunion ont tous utilisé l’expression « Cloud Hybride », supposé être une passerelle entre ces deux mondes.
Après avoir écouté les exposés des entreprises présentes, j’ai bien compris que le pont « Cloud Hybride » est une fiction ; il sera aussi fréquenté qu’une autoroute à 6 voies qui serait construite entre la Corée du Nord et la Corée du Sud !