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Artisan-boucher d’ERP : nouvelle compétence des DSI !

 

DPC ERP dices S 78027162Les ERP intégrés ont pris leur essor au cours des années 1990 et sont aujourd’hui présents dans la majorité des grandes entreprises. Les secteurs industriels et de services ont été les plus touchés par ce virus, le secteur financier beaucoup moins.

Mon blog existe depuis une dizaine d’années ; le billet qui a eu le plus de lecteurs est, de très loin, celui que j’ai publié au début de l’année 2015 :

ERP la plus mauvaise idée informatique des 25 dernières années.

Dans ce texte, j’utilisais l’image du ”chirurgien informatique” pour expliquer ce que devrait être le travail d’un DSI. Je pense maintenant que celle de “boucher numérique” est plus adaptée à la situation.

 

ERP : état des lieux, fin 2018

SAP  Microsoft Oracles sales in France 2017Au cours de ces quatre dernières années, de nombreuses entreprises ont commencé à questionner la pertinence de leur choix d’une démarche tout ERP intégré. Ceci c’est traduit par une réduction des ventes de nouvelles licences, que ce soit aux clients existants ou à de nouveaux clients.

Le cabinet CAP a publié les chiffres d’affaires 2017 des trois grands acteurs du marché ERP en France. La croissance est nulle ou négative pour les deux leaders, SAP et Oracle. Pour Microsoft, les chiffres sont plus difficiles à évaluer car ils regroupent tous les produits de cet éditeur.

Encore plus intéressant à mon avis, et très inquiétant pour ces éditeurs : l’essentiel de leur CA se fait sur les redevances de maintenance, et non pas sur la vente de nouvelles licences.

Les chiffres d’Oracle pour son troisième trimestre 2017 l’illustrent très bien :

  • 14 % des ventes pour de nouvelles licences.
  • 51 % des ventes pour les contrats de maintenance.
  • Les ventes de maintenance représentent près de 4 fois celles de nouvelles licences !

Chiffres Oracle Q3:2017  licences et maintenance

 SAP et Oracle ont bien compris le danger de cette remise en question et font évoluer leur stratégie pour éviter de devenir les nouveaux cadavres que l’on rencontre dans les musées de l’informatique tels que : Digital Equipment, Prime, Wang ou Control Data. Si vous allez en Californie, visitez le Computer History Museum ; vous revivrez en quelques heures toute l’histoire de notre industrie.

J’ai identifié quatre démarches suivies par les éditeurs d’ERP pour enrayer la perte de leur pouvoir, de leurs revenus et… de leur valeur boursière.

  • Acheter des éditeurs de solutions SaaS.
  • Augmenter la dépendance de leurs clients vis-à-vis de leurs solutions.
  • Faire payer des licences supplémentaires, supposées non comptabilisées.
  • Inventer de nouveaux moyens d’obtenir plus d’argent de leurs clients actuels.

Acheter des éditeurs de solutions SaaS (Software as a Service)

Marché SaaS - 10x 2010 - 2020Les éditeurs natifs SaaS sont nés au début des années 2000 avec Salesforce. Ils sont aujourd’hui des milliers et les chiffres d’affaires SaaS croissent très vite. Ce graphique de Statista montre une multiplication par 10 du CA des éditeurs SaaS entre 2010 et 2020.

Le champion de ces achats d’éditeurs SaaS natifs est SAP ; sans chercher à être exhaustif, on peut citer :

  • SuccessFactors en 2011.
  • Ariba en 2012.
  • Hybris en 2013.
  • Concur en 2014.

N’oublions pas que les solutions historiques, intégrées, de SAP proposaient déjà des fonctionnalités couvertes par ces solutions SaaS : gestion des ressources humaines, e-commerce ou gestion des voyages.

Question simple : si elles avaient été performantes et de qualité, pourquoi SAP a-t-il jugé utile d’acheter des solutions externes proposant les mêmes services ?

Augmenter la dépendance de leurs clients vis-à-vis de leurs solutions

Sortir d’une solution applicative SaaS intégrée est un chantier très complexe, mais possible, comme je vais le démontrer dans ce billet.

Comment rendre cette sortie encore plus difficile ? SAP a eu une idée de génie en inventant SAP/Hana, qui crée une double dépendance, applicative et… infrastructures ! J’ai écrit un long billet sur tout le “bien” que je pensais de cette annonce qui propose d’utiliser une base de données... propriétaire SAP. Rappel : une base de données est un logiciel d’infrastructures.

Faire payer des licences supplémentaires, supposées non comptabilisées

CIGREF contre OracleComment augmenter ses revenus rapidement quand les clients n’achètent plus nos logiciels ? Les grands éditeurs d’ERP ont trouvé la formule : ils se transforment en sociétés de juristes pour faire des audits logiciels. Leurs contrats sont tellement complexes, changent si souvent qu’il est impossible pour les DSI, malgré leur bonne volonté, d’être certain de ne pas être en infraction. Le champion toutes catégories dans ce jeu malsain est Oracle ; c’est devenu tellement inacceptable que le CIGREF, association qui regroupe 150 des plus grandes entreprises françaises, a décidé de contre-attaquer en proposant d’aider ses membres à se libérer du joug de cet éditeur.

Inventer de nouveaux moyens d’obtenir plus d’argent de leurs clients actuels

AdS DCP Indirect stamp 129138700L’imagination des éditeurs pour “saigner” leurs clients est sans limites. L’une des plus dangereuses est certainement l’invention des “accès indirects”, dont SAP est l’un des champions incontestés.

Comment résumer, caricaturer les accès indirects : cher client, vos données ont été créées avec nos outils logiciels, si vous souhaitez que des collaborateurs de votre entreprise y accèdent depuis un logiciel tiers, tel que Salesforce, nous serons ravis de vous faire payer pour qu’ils puissent utiliser les données qui vous appartiennent.

En juin 2018, le CIGREF a de nouveau fait entendre son fort mécontentement en résumant les principaux griefs qu’ont les grandes entreprises vis-à-vis de leurs éditeurs ; les accès indirects en font partie.

On n’a jamais vu des entreprises survivre très longtemps en se mettant à dos leurs clients les plus importants.

AdS DPC Racket knife S 219657394Editeurs d’ERP intégrés, en continuant vos actions de racket, vous rendez un excellent service à vos clients actuels : vous leur donnez encore plus de motifs pour vous quitter, pour qu’ils deviennent vos “ex-clients” !

Editeurs d’ERP intégrés, continuez cette stratégie pendant 3 à 5 ans et vous n’aurez plus à vous battre avec vos clients ; vous n’aurez plus de clients…

La réunion des utilisateurs SAP francophones, organisée par l’USF (Utilisateurs SAP Francophones) a eu lieu en octobre 2018. Elle confirme une baisse très sensible de la satisfaction des clients actuels. Quelques chiffres “intéressants” :

  • Aspects fonctionnels, 26 % de satisfaits.
  • Adéquation entre utilisateurs et processus : 39% positifs, en baisse de 18%.
  • Maintenance : 37% positifs, baisse de 17% en un an.
  • Rapport qualité/prix: 18% positifs, moins 10% en 1 an.

C’est un signal d’alarme majeur pour les éditeurs ERP ; à quel niveau seront ces chiffres dans 3 ans ?

Computer economics ERPJe ne suis pas le seul à penser que les ERP ne sont plus en odeur de sainteté : une enquête réalisée en 2018 par Computer Economics a demandé aux professionnels interrogés de placer 14 technologies dans une matrice coûts/ROI.

Bien isolé dans sa case, l’ERP est le seul à être dans le coin en bas “haut risque - faible bénéfice”. Le visuel de ce graphique est fascinant : les 13 autres technologies, dont beaucoup autour du Cloud, sont en tir groupé dans le coin supérieur droit, “faible risque, haut bénéfice”.

Sortir l’ERP de son Système d’Information n’est plus une option : c’est devenu la seule option valable, le seul moyen de mettre le SI au service de la compétitivité et réactivité des entreprises.

Quelles sont les pistes possibles ?

 

Les pistes “cul-de-sac” pour faire évoluer son ERP

 Votre ERP est présent, omniprésent ; il ne va disparaître instantanément, par magie. Vous devrez vivre avec lui, ou une partie de lui, pendant encore de longues années.

Cul de sac ERPVous avez le choix entre :

  • Des solutions “cul-de-sac”, qui vous obligeront, demain, à faire marche arrière et vous pénaliseront deux fois, à l’aller pour y rentrer, et au retour pour en sortir.
  • Des démarches modernes qui vous apporteront rapidement de premiers bénéfices. 

Je vais passer peu de temps sur les pistes “cul-de-sac” ; j’en ai identifié trois principales :

  • Ne rien faire : maintenir à l’identique, à minima. C’est la piste de la non-décision ; l’ERP actuel est utilisé, on ne touche pas à ce qui fonctionne. Cette absence d’entretien et d’évolution vous conduit progressivement vers une dégradation majeure du fonctionnement de votre entreprise.
  • Le faire évoluer. C’est probablement ce que vous avez fait depuis des dizaines d’années. A coup, et coûts de mises à jour périodiques de version, de modifications fonctionnelles pour essayer tant bien que mal de répondre aux nouvelles attentes de vos clients, votre ERP peut continuer à fonctionner pendant encore de très nombreuses années.
  • Chercher un autre ERP pour remplacer l’existant. C’est certainement la plus mauvaise des trois options. Vous allez perdre les maigres avantages que vous procure un ERP installé et repartir dans un projet pharaonique de remplacement d’une solution fin de vie par une autre solution fin de vie. Dans 5 ans ou plus, après avoir enrichi un éditeur et les ESN qui vous auront accompagné dans cette migration d’ERP, vous vous retrouverez, au mieux, dans la situation actuelle.

Vous devez accepter l’idée qu’un ERP intégré ne fera plus jamais partie des solutions informatiques raisonnables si vous souhaitez réussir votre Transformation Numérique.

Il vous reste “juste” à prendre une décision simple : sortir le plus vite possible de mon ERP actuel est une priorité absolue.

Un terrain propice : maturité des offres IaaS, SaaS et PaaS

Excellence IaaS PaaS SaaSAu cours de ces quatre dernières années, entre 2015 et 2018, des progrès spectaculaires ont été réalisés dans les offres de solutions professionnelles dans les clouds publics. Je ne vais pas revenir en détail sur ces évolutions, que les lecteurs de ce blog connaissent bien, mais les résumer en quelques mots.

  • Infrastructures : les offres IaaS, Infrastructures as a Service, des industriels Amazon, Google et Microsoft permettent de disposer de plateformes économiques, flexibles et innovantes. Problème réglé.
  • Usages Support : des dizaines de milliers de logiciels SaaS (Software as a Service), multitenant, répondent très bien aux attentes des entreprises pour des fonctions telles que la messagerie, le CRM, la logistique ou la gestion des ressources humaines. Problème réglé.
  • Usages cœur métier : les nouvelles plateformes de développement PaaS, Platform as a Service, permettent à vos équipes internes d’ingénieurs logiciels de construire rapidement des solutions porteuses de différenciation et de compétitivité. Problème réglé.

Les lecteurs de mon blog auront reconnu le modèle B I S, Business, Infrastructures, Usages que j’utilise depuis 2015 pour accompagner la Transformation Numérique d’un nombre toujours plus grand d’entreprises.


Découper son ERP, mode d’emploi

AdS DPC Butcher with carcass S 106029647Jeter son ERP dans son “intégralité” n’est ni possible ni raisonnable. C’est pour cela que les équipes de la DSI doivent acquérir des compétences d’artisan-boucher !

Un artisan-boucher est un professionnel qui, après des années d’apprentissage, est capable de recevoir un objet complet, un bœuf entier, et de le découper en dizaines de composants qui, ensemble, auront plus de valeur que l’objet entier.

Remplaçons le bœuf par un ERP intégré et l’artisan-boucher par un DSI ; le voyage de l’animal depuis son pâturage à la table du consommateur qui déguste une côte de bœuf peut servir de trame à l’évolution d’un ERP.

Première étape : “Lift & Shift” (soulever et déplacer)

AdS DPC Cow in truck S 125969774On va chercher l’ERP qui vit ses derniers jours tranquilles dans son centre de calcul privé, appelé par certains cloud privé, et on le transporte vers une infrastructure IaaS, dans l’un des trois grands clouds publics.

Après ce premier voyage, l’ERP reste entier ; il continue à fonctionner à l’identique, dans un pâturage différent.

L’entreprise en profite pour réduire rapidement ses coûts de fonctionnement, de “run”. Elle va payer uniquement pour le fourrage dont à besoin son ERP, en OPEX. Elle peut aussi éliminer des coûts de CAPEX en fermant définitivement ses centres de calcul privés obsolètes,

Deuxième étape : TMA, Tierce Maintenance Applicative

Alimenter et maintenir en vie, provisoirement, l’ERP dans son nouvel environnement est confié en TMA, Tierce Maintenance Applicative, à des ESN. Elles auront des consignes claires de ne mener que les opérations de maintenance strictement indispensables telles que mises à niveau de sécurité.

Ceci permet de libérer les équipes internes d’activité à faible valeur ajoutée et de les faire travailler sur les solutions du futur.

Je rencontre encore trop souvent des entreprises qui font l’inverse ; elles confient aux équipes internes la maintenance de l’ERP existant sous le prétexte qu’elles le connaissent et demandent à des ESN de construire le nouveau Système d’Information qui va remplacer l’ERP. C’est une triple aberration, technique, financière et humaine. Les collaborateurs voient les activités nobles et porteuses d’avenir leur échapper, la connaissance des nouvelles solutions reste à l’extérieur et il faudra continuer à payer des partenaires externes pour faire vivre les nouvelles solutions.

Troisième étape : Dépecer l’ERP

C’est maintenant que les choses sérieuses commencent !

Bœuf composants découpeLa DSI va cartographier son ERP pour en identifier les différents morceaux : gîte, collier, filet…

Le métier de DSI est plus compliqué que celui de l’artisan-boucher ; tous les ERP sont différents, à la suite des innombrables modifications qui ont été apportées au produit initial.

Les différents composants identifiés dans l’ERP seront classés en deux grandes familles, en utilisant une fois de plus le modèle B I S :

  • Fonctions support.
  • Usages cœur métier.

Fonctions support. Les plus fréquentes sont financières, mais on peut aussi y trouver des usages ressources humaines ou commerciales. Pour chacun de ces composants, il existe plusieurs logiciels SaaS disponibles. Les équipes de la DSI vont, pour chaque composant :

  • Présélectionner entre 3 et 5 solutions SaaS multitenant.
  • Les présenter aux métiers concernés en leur demandant de choisir celle qui correspond le mieux, ou le moins mal à leurs attentes. Ce sont les métiers qui sont les mieux placés pour juger de l’adéquation fonctionnelle de ces solutions SaaS à leurs besoins, pas la DSI.
  • Déployer la solution choisie par les métiers.

Substitution Football 2 joueursChaque fois qu’une fonction support identifiée est opérationnelle en SaaS, on peut découper et éliminer le composant de l’ERP qui réalisait cette fonction.

En réalisant cette opération de substitution, fonction par fonction, on réduit rapidement la surface utile de l’ERP. Dans une grande organisation, chaque substitution peut durer entre 4 et 8 mois, mais il est possible d’en mener plusieurs en parallèle pour aller plus vite. Le sélectionneur d’une équipe de football peut remplacer des joueurs, un par un, sans nuire à la cohésion de l’équipe.

Usages cœur métier. La bonne nouvelle, c’est que la majorité des ERP installés sont rarement utilisés pour des usages cœur métier ; ils sont souvent cantonnés dans les fonctions support.

Dans les rares situations où de véritables usages cœur métier sont pris en charge par un ERP, le principe de substitution qui fonctionne pour les usages support ne doit pas être appliqué !

Quelles sont les étapes à suivre :

  • Repenser totalement les processus métiers, en partant des véritables attentes des clients, en éliminant toutes les activités qui ne contribuent pas à la performance de ce processus. Ceci se traduit toujours par une forte simplification des processus cœur métier !
  • Ensuite, et ensuite seulement, faire travailler les équipes internes d’ingénieurs logiciels pour construire, avec des solutions PaaS à base de microservices, de containers et de serverless les applications pour ces nouveaux processus.

La loi des 20/80 s’applique aussi aux ERP que l’on découpe :

  • 80 % des fonctionnalités d’un ERP peuvent être prises en charge par des solutions SaaS.
  • Les 20 % restant sont remplacés par des développements spécifiques, sur plateformes PaaS, réalisés en interne. 

ERP découpe 80:20 SaaS - PaaS

AdS DPC carcasses équarisseur S 5637479Quand tout ceci est terminé, il reste au DSI à assumer un nouveau rôle, celui d’équarisseur d’ERP.
L’équarisseur est la personne qui récupère ce qui reste d’un animal une fois que l’on a enlevé tous les morceaux qui ont de la valeur. Il prend en charge ces déchets pour les transformer en produits à faible valeur ajoutée comme les farines animales.

Ce ne sera pas une fin très glorieuse pour les ERP : farines numériques !

 

Synthèse

Ce long billet aborde un sujet complexe, mais essentiel, comment éliminer les ERP intégrés de son environnement numérique.

Pour beaucoup de dirigeants, de DSI, l’idée même que l’on puisse vivre sans un ERP est impensable. C’est pour lutter contre ce fatalisme que j’ai écrit ce texte.

Une entreprise, quels que soient sa taille ou son secteur d’activité, peut, doit prendre la décision de démarrer une démarche de suppression, la plus rapide possible, de son ERP.