IBM s’offre Red Hat : quels futurs possibles ?
CTO, responsable des infrastructures : un beau métier, essentiel, passionnant, frustrant

Urgence absolue pour Europe et France : Intelligence Artificielle, 5 ans pour ne pas devenir des nains mondiaux !

 

Happy new year 2019 copieJe souhaite à tous celles et ceux qui me feront l’honneur de lire ce billet une excellente année 2019, avec beaucoup de réussite dans vos actions de Transformation Numérique.

Je commence souvent l’année avec un billet sur un thème que je juge important ; c’est particulièrement vrai aujourd’hui.

Le thème que j’aborde, la très probable incapacité de l’Europe et de la France à prendre à bras le corps, et immédiatement, le défi numérique le plus important des cinq prochaines années, la mise en œuvre opérationnelle de solutions d’IA, Intelligence Artificielle, fait que je suis très inquiet, presque pessimiste. Pour ceux qui me connaissent et savent à quel point je suis d’un naturel optimiste, c’est un signal d’alerte majeur !

Ce billet est plus long que d’habitude, mais j’espère que vous ferez l’effort de le lire en entier.

Dans la suite de ce billet, je parlerai surtout de l’Europe tant il est évident que la France, seule, n’a aucun espoir de jouer un rôle, même minime, dans le combat planétaire qui se joue en ce moment.

J’ai écrit récemment une tribune sur LMI, Le Monde Informatique, qui abordait ce sujet. Ce billet reprend, en les approfondissant, des idées qui en sont proches.

 

L’Intelligence Artificielle, les fondamentaux

AdS DPC Brain Artificial intelligence S 119953437J’ai publié depuis plusieurs années des billets sur l’intelligence Artificielle ; les grands principes de l’IA ont été présentés ici et .

Petit rappel : les spécialistes identifient trois niveaux dans l’IA :

  • ANI : Artificial Narrow Intelligence : une IA capable de s’attaquer à des problèmes très spécifiques, tels que le jeu de Go ou la reconnaissance d’images pour identifier des visages ou des cellules cancéreuses.
  • AGI : Artificial General Intelligence : une IA qui aurait les mêmes performances qu’un être humain, capable de traiter des activités très diverses.
  • ASI : Artificial Super Intelligence : une IA qui aurait des performances supérieures aux femmes et hommes les plus intelligents du monde.

L’essentiel des avancées rapides dans l’IA se fait aujourd’hui au premier niveau, ANI : ce billet se concentre sur le thème de l’ANI.

 

Intelligence Artificielle : situation, début 2019

Cela fait plus de 40 ans que les meilleurs spécialistes, en majorité américains et européens, ont formalisé les démarches, modèles et méthodes qui servent de base à l’IA.

AdS DPC Machine Learning pixels S 171904907Depuis une dizaine d’années, avec l’arrivée des solutions de clouds publics, la puissance de calcul et les capacités de stockage de données nécessaires pour l’exploitation opérationnelle de ces modèles, et en particulier du “Machine Learning” (ML) sont disponibles.

AWS, Google et Microsoft proposent des solutions logicielles “clé en main” qui permettent à des ingénieurs logiciels de bon niveau d’utiliser directement des outils de ML, sans avoir besoin d’être titulaire d’un doctorat en IA. Tensorflow et Caffe en sont deux exemples.

Une autre évolution majeure a lieu dans les processeurs ; des fournisseurs traditionnels comme NVidia et de nouveaux entrants tels que Google ou Facebook construisent des processeurs spécialisés et optimisés pour les applications d’IA et de ML.

La “nouvelle loi de Moore” sur l’augmentation de la puissance des processeurs s’applique maintenant aux processeurs dédiés à l’IA. Ce graphique montre un accroissement de 300 000 de la puissance de calcul entre 2012 et 2019 !

Augmentation puissance calcul processeurs IA

Les années 2007 - 2017 ont vu les solutions de clouds publics prendre le pouvoir, pour les infrastructures IaaS, les usages SaaS et les développements PaaS. Ces plateformes sont aussi devenues un préalable à tout usage d’Intelligence Artificielle.

En 2019, les entreprises qui ont raté le virage du cloud public, et elles représentent encore la grande majorité, seront dans l’incapacité totale de profiter des potentiels de l’IA.

 

2019 - 2025 : l’Intelligence Artificielle au cœur de tous les usages numériques


AdS DPC AI on Smartphone S 81474947En 2025, l’IA sera devenue “invisible”. Infrastructures, données, applications… toutes les briques d’un Système d’Information consommeront nativement des composants d’IA.

C’est déjà le cas pour les entreprises innovantes, et avec des résultats spectaculaires.

Google en est un excellent exemple dans les infrastructures. Google gérait très bien, depuis longtemps, des dizaines de centres de calcul, avec des PUE (Power Usage Effectiveness) inférieurs à 1,2 ; le PUE mesure la consommation d’énergie qui n’est pas utilisée pour les composants actifs d’un centre de calcul, serveurs et stockage. Le PUE parfait est de 1, quand 100 % de l’énergie est consacrée aux éléments actifs.

Google Self driving Data CenterGoogle a demandé à DeepMind, leur filiale Machine Learning, d’améliorer son PUE, si c’était encore possible. Les résultats obtenus sont impressionnants : en moins d’un an, la consommation d’énergie pour le refroidissement a été réduite de 30 %, et ils pensent arriver à 40 %. L’une des raisons de ce succès : les conditions climatiques sont différentes pour chaque centre de calcul et l’outil de ML est capable de prendre en compte les spécificités météo de chaque site.

Dans le domaine des usages, des progrès spectaculaires ont déjà été réalisés en médecine, dans la conduite de nos voitures, dans la reconnaissance des images et des vidéos. Tous les éditeurs de solutions SaaS ajoutent des composants d’IA dans leurs produits ; en toute modestie, Salesforce a nommé Einstein son outil d’IA !

Cette banalisation de l’IA dans tous nos usages, personnels et professionnels, sera l’innovation qui aura le plus d’impacts sur nos vies quotidiennes et nos activités. En 2025, on ne se posera plus la question de la valeur de l’IA, elle sera omniprésente et, je le rappelle, invisible.

 

2019 - 2025 : les clés de la réussite en Intelligence Artificielle se trouvent… en Chine

En 2025, la Chine sera devenue la première puissance mondiale dans les solutions et usages de l’Intelligence Artificielle.

IA - USA CHINA EUROPE 2018La première vague d’innovation en IA, entre 2010 et 2017, était portée par la mise au point des modèles et de fortes compétences en recherche et en cloud public. Les Etats-Unis, avec leurs universités et leurs entreprises de l’Internet, avaient un avantage majeur et ont pris de l’avance, souvent aidés par des compétences venues d’Europe.

Fin 2018, les poids respectifs des Etats-Unis, de la Chine et de l’Europe en IA sont visualisés sur ce graphique.

AI superpowers Kai-Fu LeeNous rentrons, en 2019, dans la deuxième étape de l’IA : la mise en œuvre et le déploiement de solutions opérationnelles dans tous les métiers. La Chine dispose de quatre atouts majeurs pour prendre le leadership de cette deuxième vague de l’IA : les données, des milliers d’entrepreneurs, des ingénieurs compétents en grand nombre et le soutien actif du pouvoir politique. C’est ce qu’explique, très bien, Kai-Fu Lee dans son livre récent (voir à la fin de cette rubrique).

Les données : “La Chine est l’Arabie Saoudite des données”, cette phrase extraite du livre de Kai-Fu Lee, résume très bien la situation. Baidu, Alibaba et Tencent disposent de plus de données que les Etats-Unis et l’Europe réunis. Les modèles de Machine Learning ont besoin de beaucoup de données, et ils les ont en Chine. C’est particulièrement vrai avec les deux leaders du paiement par mobile, AliPay et Tencent. Les Chinois font 50 fois plus de paiements par mobiles que les Américains ; ceci permet à Alibaba et Tencent de tout savoir sur les habitudes de centaines de millions de Chinois, dans leurs activités Internet et dans le monde physique.

Investments in IA startups - China  USA  Des entrepreneurs “gladiateurs” : les entrepreneurs chinois de l’Internet et de l’IA ont une mentalité de combattants “à la vie à la mort” que l’on ne rencontre ni en Europe ni aux Etats-Unis. Ils recherchent un domaine précis d’action pour gagner beaucoup d’argent, sans hésiter à copier et attaquer leurs concurrents, comme l’a fait Tencent dans le paiement par mobile pour contrer AliPay d’Alibaba. En 2017, 46% des investissements dans des startups de l’IA ont été réalisés en Chine, et “seulement” 44% aux Etats-Unis, ce qui laisse quelques miettes pour le reste du monde..

Des ingénieurs en IA, compétents, en grand nombre : dans la phase deux de l’IA, on a moins besoin de “chercheurs d’élite” et plus d’un très grand nombre d’ingénieurs de haut niveau capables de mettre en pratique les meilleures solutions logicielles en IA. Les universités chinoises en produisent des dizaines de milliers tous les ans.

XI Jin ping on AI ImportanceUn soutien politique fort : Xi JinPing, le président de la Chine, et tous les pouvoirs régionaux soutiennent massivement les investissements dans l’IA. Plusieurs centaines de “Silicon Valley de l’IA” ont été ouvertes en Chine ; beaucoup seront des échecs, mais des dizaines vont réussir et créer des pôles de compétences très compétitifs.

Dans les cinq années qui viennent, ce ne sont pas les technologies de l’IA qui vont faire la différence, ce sont leurs usages généralisés dans tous les métiers : banques, industries, assurances, automobile, santé, gouvernement, éducation, défense...

La Chine se crée, localement, des avantages concurrentiels majeurs. Ceci permet ensuite aux entrepreneurs chinois d’attaquer tous les autres marchés mondiaux en tirant profit de cette base locale. Oubliés, les avantages de la Chine liés à des ressources humaines nombreuses et peu coûteuses, c’est sur l’IA que ce pays va s’appuyer pour conquérir le reste du monde. Le président Trump ne l’a pas compris et continue à voir dans la Chine un danger avec ses supposés avantages concurrentiels anciens, dans la production à bas coût.

Alipay deal with UEFAUn exemple récent, parmi d’autres : AliPay vient de signer, pour 200 M$, un accord avec l’UEFA pour devenir leur partenaire financier pendant les 8 années qui viennent ; pour l’Europe, cela concerne en priorité l’Euro 2020 et l’Euro 2024. Quand on sait qu’AliPay a 700 millions de clients, plus que toute la population des Etats-Unis et de l’Europe réunis, les banques américaines et européennes, les sociétés comme Visa ou Mastercard doivent se préparer à une offensive majeure sur les paiements par mobiles. Sont-elles prêtes ? J’en doute.

 

Quel panorama pour l’Intelligence Artificielle, en 2025

La Chine sera loin devant, avec une croissance exponentielle des solutions, des données et des usages de l’IA dans toutes les activités économiques. Ce mouvement a déjà commencé et on se trouve devant une situation où les leaders mondiaux, chinois, seront bien placés pour ne laisser que des miettes aux acteurs des autres pays, Etats-Unis compris.

Ce duopole Etats-Unis et Chine dans les technologies numériques est déjà une réalité, depuis 2018. Ce tableau des 20 sociétés qui dominent internet est d’une clarté impressionnante :

  • En 2013, 13 étaient américaines, 3 chinoises et le reste du monde, 4.
  • En 2018, 12 étaient américaines, 8 chinoises. Reste du monde = 0.

World Largesty 20 tech giants 2013 - 2018

Les Etats-Unis seront en deuxième position, et perdront rapidement du terrain. Le “laissez-faire politique”, la non-compétence et le non-intérêt de Donald Trump pour ces sujets, l’éparpillement des données entre de trop nombreux acteurs (Google, Facebook, Apple, les banques…) ne permettront pas à ce pays de rester en tête de la course.

IA - USA CHINA EUROPE 2025 - scenario Europe aloneL’Europe et le reste du monde : si rien ne change, et très vite, les pays européens  en seront réduits à déployer des solutions et des usages métiers d’Intelligence Artificielle venant de Chine et, dans une moindre mesure, des Etats-Unis.
Dans un scénario où l’Europe continue son “petit bonhomme de chemin” en IA sans réagir rapidement, la répartition du pouvoir IA dans le monde sera celle que visualise ce graphique.

En me transformant en “historien”, j’ai identifié trois âges de “colonisation” ; cette simplification m’expose à de fortes critiques, mais je suis prêt à les affronter !

Le monde aura connu trois époques “coloniales” :

  • 200 ans de colonisation industrielle : l’Europe domine le reste du monde.
  • 20 ans de colonisation Internet et cloud : les Etats-Unis domine le reste du monde.
  • 5 ans de colonisation Intelligence Artificielle : la Chine domine le reste du monde.

On se retrouve, encore une fois devant une accélération exponentielle de l’évolution du monde.

Cette troisième époque coloniale démarre en 2019 ; peut-on encore l’éviter ?

 

Intelligence Artificielle : quelles options pour l’Europe et la France

L’Europe n’a aucune chance de survie dans un monde ou l’IA sera omniprésente si chaque pays y va séparément. En 2019, l’Europe a définitivement perdu la bataille du cloud public, ce n’est pas le moment de recommencer dans l’IA !

Je propose trois axes d’actions prioritaires :

1 - Une mobilisation immédiate, avec des actions fortes en 2019. Nous n’avons plus le temps de lancer de sympathiques études sur le sujet comme l’a fait la France avec le rapport préparé par Cédric Villani, devenu depuis… candidat à la mairie de Paris !

2 - Libérer les données en Europe : l’Europe a inventé la meilleure arme pour faire échouer l’intelligence Artificielle avec le... RGPD. Cette babélisation des données, cette incapacité à les utiliser pour des applications innovantes “non prévues” prive l’Europe de la principale ressource nécessaire au succès de l’IA, des données partagées par tout le monde.

3 - S’allier immédiatement avec les géants américains du cloud et de l’IA, AWS, Google et Microsoft, pour essayer de construire, ensemble, un front commun et retarder le plus possible l’hégémonie de la Chine en IA.

Nous en sommes très très loin, hélas !!! L’Europe continue à mener des combats d’arrière-garde, qui vont lui faire perdre la seule guerre numérique qui compte aujourd’hui, celle de l’Intelligence Artificielle.

Je suis très inquiet quand je vois nos grands esprits se réjouir quand on fait des procès à Facebook ou autres pour manquement à leurs obligations sur le RGPD.

Je suis très inquiet quand je constate encore un refus d’accepter le leadership des Etats-Unis dans le cloud. Continuons comme cela pendant 5 ans et… nous aurons définitivement perdu la guerre mondiale de l’IA !

The trouble is you think you have time

Je suis très inquiet, car la remarquable lenteur qui caractérise les décisions prises au niveau européen n’est pas compatible avec la vitesse à laquelle cette “colonisation IA” chinoise avance.

IA - USA CHINA EUROPE 2025 - scenario USA +EuropeReprenant mon naturel optimiste, le schéma qui suit pourrait visualiser la situation, fin 2025, si l’Europe et les Etats-Unis unissaient rapidement leurs forces en IA ?

Quelle est la probabilité que ce scénario optimiste se réalise ? 20% ? 10% ? 5%? 1% ? Je vous laisse choisir votre réponse...

Et si en Europe ce combat pour l’IA était plus urgent que celui contre le réchauffement climatique ?

Vous n’êtes pas convaincu des gigantesques défis que l'IA représente pour l'Europe ?

Lisez le remarquable livre de Kai-Fu Lee, “AI Super Powers”.

L’auteur a une double culture, américaine et chinoise : il a travaillé aux Etats-Unis chez Apple et Microsoft, est devenu président de Google en Chine avant de créer Sinovation, société d’investissement dans de futurs géants de l’IA en Chine.

Ce livre devrait être la première lecture obligatoire, en janvier 2019, de tous les responsables politiques et économiques européens.

J’y ai trouvé beaucoup d’idées qui ont inspiré ce billet.

Commentaires