Outils numériques modernes pour tous, priorité pour l’enseignement public
25/03/2019
Réussir la Transformation Numérique du monde de l’éducation est une des clefs de la réussite à long terme d’un pays, de tous les pays. En France, l’essentiel de l’effort éducatif, depuis le primaire jusqu’aux universités, est pris en charge par le secteur public, sous la responsabilité du Ministère de l’Education Nationale (MEN).
Le MEN est le plus grand employeur français, avec environ un million de salariés.
Peut-on améliorer rapidement, à faible coût, les “services numériques” proposés par le MEN à ses “clients”, des millions d’élèves et d’étudiants ?
Réponse : oui !
Comment ? C’est le thème de ce billet. Je mets en priorité l’accent sur les outils universels, utilisables par tous, élèves comme enseignants, en clair les outils bureautiques.
Remarque : les contenus des enseignements, les programmes pédagogiques ne sont pas abordés dans ce billet, strictement centré sur la dimension Transformation Numérique ; c’est à elle seule un chantier majeur.
Enseignement public en France : quelques chiffres
Le MEN a publié un document donnant les chiffres clefs de l’enseignement en France pour l’année 2018 :
- 13 millions d’élèves en primaire et secondaire.
- Part du secteur public : 80 %.
- Coût annuel par élève : 6300€ en primaire et 9 700 € dans le secondaire, pris en charge par la communauté nationale, pas par les parents.
Ces chiffres n’incluent pas les universités et les enseignements supérieurs :
- 2,7 millions d’étudiants.
- 75 % des bacheliers démarrent des études supérieures.
- Coût annuel par étudiant : 11 500 €.
La Transformation Numérique de l’éducation publique en France, c’est un beau défi, qui concerne :
- 13 millions d’élèves et étudiants : 80 % du total de 16 millions.
- 1 million de collaborateurs du MEN, enseignants (50 % du total) et administratifs (50 %).
Outils numériques universels actuels : une catastrophe
Dans l’immense majorité des établissements scolaires et universitaires qui dépendent du MEN, les outils numériques universels utilisés, quand il y en a, sont des vestiges du XXe siècle.
Postes de travail : Office de Microsoft est dominant. Petit rappel : Office est disponible depuis 1990, il y a 30 ans. C’est la machine à écrire du XXIe siècle et l’on ose former la jeunesse française avec cet outil archaïque !
Le secteur public français est tombé amoureux des logiciels Open Source, trop souvent appelés à tort “logiciels libres”. En bureautique, ils ont pour noms OpenOffice ou LibreOffice, produits encore plus nuls que Microsoft Office ! Ils en font moins tout en continuant à demander une installation des logiciels sur les postes de travail. Le fait qu’ils soient gratuits et qu’ils ne viennent pas du grand méchant américain Microsoft n’enlève rien à leur nullité et leur archaïsme.
Solutions messagerie et agenda : on retrouve dans les établissements du MEN les antiquités du XXe siècle, Lotus Notes, annoncé par IBM en 1990 et Exchange de Microsoft qui date de 1996.
Je dois ajouter à cette liste une autre catastrophe nationale, la volonté de créer une solution “logiciel libre”, nationale, supposée remplacer les produits américains : elle a pour nom BlueMind et annonce “fièrement” qu’elle est compatible… Outlook !
C’est bien sûr une solution à… installer dans les centres de calculs, à gérer, à faire vivre, à mettre à jour… Signe majeur de modernisme : on peut aussi l’utiliser en mode hébergé !
Tout responsable informatique qui persiste en 2019 à installer des outils bureautiques dans ses centres de calcul mérite une sanction exemplaire : licenciement immédiat pour faute professionnelle grave, sans indemnités. C’est un peu plus “délicat” à mettre en œuvre dans le MEN ; il faudra simplement lui demander de changer de métier.
Ma première tentative de rupture numérique, sans succès, en 2015
J’avais été invité en octobre 2015 par le DSI du MEN de l’époque, Mathieu Jeandron, à présenter ma vision des potentiels numériques devant les DSI des Académies françaises, à Besançon ; il y avait environ 200 personnes dans la salle.
Je leur ai demandé combien ils avaient de “clients” : silence dans la salle ; des clients ? J’ai du préciser ma pensée en disant que c’étaient les élèves des lycées et collèges qu’ils reçoivent dans leurs établissements ! La réponse : nous n’avons pas de clients mais environ 13 millions d’élèves.
Ma proposition était très simple : en septembre 2016, pour un investissement informatique de zéro euro, ils pouvaient proposer à leurs 13 millions de clients une solution bureautique de qualité, G suite. Je ne peux pas dire que ma proposition ait suscité un enthousiasme exceptionnel dans la salle !
Pendant les échanges, on m’avait interrogé sur ce que je pensais du projet SIRHEN de gestion des ressources humaines du MEN. Je ne le connaissais pas et me le suis fait présenter en 5 minutes : en chantier depuis près de 10 ans, SIRHEN n’était toujours pas opérationnel et gérait, mal, 5 000 personnes au lieu du million prévu. J’ai donné mon verdict : une seule réponse, l’abandonner, immédiatement.
Vous imaginez facilement le tollé général.
L’annonce de son abandon a été décidée, trois ans plus tard, en juillet 2018, par le nouveau ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer ; bravo pour avoir eu le courage de prendre cette décision.
Les clients du MEN : des natifs numériques
Après cette image noire de la situation actuelle, passons aux éléments positifs qui peuvent faciliter la Transformation Numérique de l’enseignement public.
Le premier : l’immense majorité des élèves du secondaire maîtrise les outils numériques de base, et cette maîtrise se répand très vite dans le primaire.
Ce sont des “natifs numériques”, des personnes qui n’imaginent plus sortir sans leur smartphone et pour qui la culture du partage est banalisée ; photos, images ou vidéos.
Et si l’on utilisait intelligemment ces compétences numériques existantes pour rendre les missions du MEN plus efficaces, au lieu de les rejeter comme c’est trop souvent le cas. Interdiction des portables à l’école… une bonne idée ?
Un exemple récent confirme l’extraordinaire capacité d’innovation des natifs numériques dans l’usage des outils : des jeunes utilisent Google Docs pour… chatter de manière non contrôlée par leurs parents ou enseignants. Une preuve de plus, si c’était nécessaire, de leur capacité à imaginer des usages non prévus par le fournisseur de la solution.
Quels outils numériques universels, pour préparer l’avenir
Deuxième bonne nouvelle : tous les outils numériques universels dont a besoin le MEN pour réussir sa Transformation Numérique et préparer la jeunesse française aux modes de travail qu’il sera indispensable de maîtriser demain sont disponibles, depuis longtemps.
Comme pour les entreprises, les outils universels sont, impérativement :
- SaaS, Software as a Service.
- Collaboratif natif.
- Accessibles depuis un navigateur, sur tout objet d’accès.
Ce sera une grande surprise pour les lecteurs de mon blog : l’outil universel que doit déployer en priorité le MEN, dans 100 % des établissements est… G Suite for Education de Google.
C’est, pour l’essentiel, la même version que G suite entreprise, mais avec une différence sympathique : gratuité totale, pour les élèves, les enseignants et les administratifs.
Pas besoin d’un tableur très puissant pour calculer le coût de cette solution pour les 14 millions de personnes à équiper : 14 M x 0 = 0 €.
J’entends déjà les réactions horrifiées des partisans de Microsoft Office 365, disant que c’est aussi une solution gratuite pour l’éducation, ce qui est exact.
Alors, pourquoi éliminer Office 365 ? Pour une raison majeure, fondamentale : il serait scandaleux, ridicule et suicidaire de former la jeune génération à des outils et des modes de travail obsolètes, avec les outils Office Word, Excel et PauvrePoint.
Ne venez pas me dire que l’on pourrait utiliser Office 365 en mode Web : c’est théoriquement vrai, mais faux dans la pratique de 98 % des organisations qui ont déployé cette solution, comme je l’ai clairement expliqué dans un billet récent.
J’aurais aimé pouvoir proposer une autre solution intéressante et complémentaire, Workplace for education de Facebook, autre outil très bien maîtrisé par les natifs numériques.
Pourquoi je ne peux pas la recommander ? La principale raison est financière : cette solution est gratuite pour les enseignants et les administratifs, mais pas pour les élèves. C’est, à mon avis, une erreur grave de Facebook. Je pronostique que la gratuité pour les élèves sera annoncée rapidement ; le MEN pourra alors compléter G Suite par Workplace by Facebook, comme le font aujourd’hui beaucoup d’entreprises innovantes.
En complément de G Suite for Education, les établissements d’enseignement peuvent utiliser une application “métier”, spécialisée, Google Classroom. Elle facilite les échanges entre les enseignants et les élèves.
C’est, une bonne illustration du modèle B I S que j’utilise depuis 5 ans :
- G Suite : une application S, support, universelle.
- Classroom : une application B, cœur métier, spécialisée pour l’éducation.
Quels objets d’accès pour accompagner la Transformation Numérique du MEN
Le MEN devra promulguer une règle impérative : tous les objets d’accès qui disposent d’un navigateur moderne doivent pouvoir accéder à 100 % des applications proposées par le MEN à tous les élèves, les enseignants et administratifs. PC Windows, Macintosh, smartphones et tablettes Android ou iOS, tous sont autorisés. Toute application qui demande une installation sur les postes de travail est… définitivement interdite.
Il manque dans cette liste un outil innovant, qui devrait représenter demain l’essentiel du parc des objets d’accès dans les écoles : le Chromebook.
J’ai publié plusieurs billets sur les Chromebooks, le dernier récemment.
Un rapide rappel pour ceux qui ne connaissent pas bien les Chromebooks :
- Ce sont des PC portables qui fonctionnent sous ChromeOS, pas sous Windows.
- Tous les grands fabricants de PC proposent des Chromebooks : Acer, Asus, HP, Dell, Lenovo… Plusieurs dizaines de modèles différents sont disponibles.
- Les 3 millions d’applications Android disponibles sur Google Play peuvent s’exécuter sur un Chromebook, nativement.
- La gamme de prix va de 200 € à 800 €.
Pour le monde de l’éducation, il convient de privilégier :
- Des modèles économiques, à moins de 300 € ou 400 €.
- Impératif : des écrans tactiles, pour utiliser efficacement les applications Android.
- La robustesse et la protection, raisonnable, contre les liquides.
A titre d’exemple, ce modèle proposé par ACER représente un bon compromis, à coût raisonnable.
En faisant l’hypothèse d’une durée de vie utile de 3 ans, pour tenir compte des “mauvais traitements” qu’ils vont subir, les Chromebooks représentent un coût mensuel d’environ 8 €.
Rappel : rien n’interdira aux élèves, enseignants ou administratifs d’utiliser leurs outils personnels, s’ils en sont satisfaits. Par contre, les seuls objets d’accès qui seront fournis par le MEN seront des Chromebooks.
Des premières réussites dans le monde éducatif en France
Google Suite est arrivé en France début 2007, il y a 12 ans, sous le nom de Google Apps.
Des établissements d’enseignement innovants, en dehors de l’éducation nationale, ont vite compris les avantages de ces outils.
En septembre 2009, l’ESSEC avait déployé Google Apps pour tous ses étudiants, après avoir pris la décision en mai 2009, projet mené avec l’aide de Revevol.
De nombreux organismes de formation français ont pris la même décision.
Un signal d’espoir ? Avant de devenir l’actuel ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer était directeur général de l’ESSEC où G Suite est installé depuis 10 ans. Il connaît bien la solution et cela peut faciliter une prise de décision dans ce sens par le MEN.
Principaux bénéfices
Commencer la Transformation Numérique du MEN en déployant des outils universels modernes pour les 14 millions de personnes concernées est une démarche à très forte valeur ajoutée et à risques faibles. Cette première liste d’avantages va à l’essentiel.
Préparer toute la jeunesse française aux usages numériques modernes. Ce doit être la priorité absolue du MEN, c’est sa mission première.
Succès immédiat auprès des élèves. Ces solutions viennent du grand public :
-
Apprentissages immédiats.
- Déjà connues et maîtrisées par une grande partie des élèves.
- Ergonomie remarquable.
- Capacités suffisantes : une boîte courrier électronique de 30 Go par personne.
- Performances et résilience techniques : 1 500 millions de personnes ont un compte Gmail. Ajouter 14 millions de personnes représente moins de 1% d’utilisateurs supplémentaires.
Investissements faibles pour le MEN :
- Aucun investissement pour les infrastructures, pour les logiciels et leur maintenance.
- Il faudra par contre investir sur l’accompagnement des… enseignants et des administratifs. Ils sont souvent “analogistes” et ont déjà pris de mauvaises habitudes avec Microsoft Office, qu’ils devront perdre. Un beau défi !
Tous gagnants
Cette démarche s’inscrit très bien dans la ligne des objectifs louables de l’état français de réduire la dépense publique en offrant, en même temps, de meilleurs services :
-
Gagnant pour l’état qui réduit ses coûts.
- Gagnant pour les clients “élèves” avec de meilleurs services qu’ils maîtrisent déjà.
- Gagnant pour les enseignants, qui peuvent utiliser des outils performants et mieux collaborer avec les élèves.
- Gagnant pour les parents qui peuvent partager plus de contenus avec les enseignants et les écoles.
- Surtout, gagnant pour le pays qui prépare ainsi toutes les nouvelles générations qui vont rentrer dans la vie active à l’usage des outils numériques modernes dont ils auront besoin.
J’allais oublier : il n’y a… aucune contre-indication sérieuse et rationnelle à cette démarche innovante et courageuse.
“Bonnes” raisons pour ne pas suivre mes recommandations
Dès la sortie de Google Apps, j’ai pris mon bâton de pèlerin, d’évangéliste et rencontré de nombreuses écoles et universités du secteur public, persuadé que, comme aux Etats-Unis, 60 % des établissements seraient équipés de G suite en moins de 5 ans.
Je suis allé de refus en refus, avec des résistances beaucoup plus fortes que dans les entreprises, où elles étaient déjà élevées.
Je ne vais pas reprendre dans cette liste les arguments traditionnels contre les clouds publics, mais ceux, plus spécifiques, que j’ai le plus entendu dans le monde de l’éducation nationale
Ce sont des arguments irrationnels, ringuards et ridicules tels que :
-
Ce sont des solutions qui viennent des grands méchants GAFAM américains.
- La sécurité de l’état français est menacée par la lecture des boîtes mail des élèves et des enseignants.
- L’indépendance nationale de la France est en jeu.
- Ce n’est pas Open Source, alors que près de 100 % des infrastructures de Google ou Facebook sont construites avec des solutions Open Source.
- Les petits acteurs locaux de services informatiques ne vont plus gagner leur vie en gérant, mal, les centres de calcul microscopiques et mal sécurisés des écoles et universités.
- … Je vous laisse rajouter toutes les autres “bonnes raisons” pour ne pas le faire.
Synthèse
Cette première Transformation Numérique du MEN autour des outils universels au service de leurs “clients” externes ne va pas résoudre, par magie, les défis majeurs de l’enseignement en France, c’est une évidence. C’est une première étape importante et elle ne peut que faciliter les actions suivantes en créant un environnement numérique plus ouvert, plus collaboratif.
Oui, il est possible, rapidement, de mettre des outils numériques modernes, économiques et à forte valeur ajoutée entre les mains des 13 millions de jeunes qui apprennent dans des établissements gérés par le million de collaborateurs du Ministère de l’Education Nationale.
Oui, ce doit être une priorité absolue pour la France.
Oui, ce sera difficile et il faudra du… courage pour affronter les très fortes résistances que ce projet de Transformation Numérique fera naître.
Je lance un appel urgent à tous les responsables du Ministères de l'Education Nationale : faîtes le, faîtes le vite, pour l'avenir de nos enfants, pour l'avenir de vos enfants.
Oui, les bénéfices sont tellement supérieurs aux risques que je n’ose pas imaginer que cette initiative ne démarre pas… en 2019.