Pseudo Cloud, ou Cloud Natif ?
01/10/2019
En 2019, connaissez-vous un seul DSI, un seul fournisseur de solutions numériques qui ne se déclare pas être un très grand fan du Cloud ? Moi, non.
Après 15 ans d’existence, l’expression “Cloud Computing” fait partie des “meubles numériques” et plus personne n’ose se déclarer ouvertement contre.
Petit problème : le mot Cloud a autant de significations différentes que de personnes qui l’utilisent.
Il devient urgent de clarifier la situation ; je vous propose de simplifier l’analyse en séparant en deux grandes familles les visions “Cloud” des entreprises :
- Pseudo Cloud : utilisation de solutions Cloud pour faire comme avant, pour ne rien changer en profondeur.
- Cloud Natif : utiliser intelligemment les nouveaux potentiels du Cloud pour repenser ses usages numériques, autrement.
Le Cloud, le vrai, aujourd’hui
J’écrivais déjà en 2012, il y a plus de 7 ans, un billet sur le “faux cloud”, et ce texte reste, hélas, d’actualité.
Les fondamentaux du cloud sont très stables, depuis les années 2007 :
- Des infrastructures IaaS, Infrastructure as a Service, que l’on paye à l’usage, en OPEX.
- Des applications SaaS, Software as a Service, multi-tenant, avec une même instance pour tous les clients.
- Des outils de développement PaaS, Platform as a Service, de plus en plus indépendants des infrastructures, avec les démarches Serverless.
Ce ne sont pas des concepts d’une extrême complexité ! Fournisseurs et DSI sont tous capables de les comprendre.
Pourquoi faut-il, en 2019, que je rencontre encore des personnes intelligentes qui, en apparence, parlent de Clouds qui n’ont rien à voir avec ces idées simples ?
Pseudo Cloud : comment le reconnaître
Vous ne rencontrerez jamais une personne qui vous dira qu’elle a une démarche “pseudo cloud”. Il y a heureusement des indicateurs clefs qui ne trompent pas, et qui permettent d’identifier cet animal bizarre qui se dit cloud, essaie de ressembler au cloud, mais n’a rien de commun avec un cloud natif.
La liste qui suit, de décisions Pseudo Cloud, n’est pas exhaustive, mais permet d'identifier les entreprises Pseudo Cloud avec une marge d’erreur inférieure à 10 %.
Migrer ses machines virtuelles (VM) sur le cloud.
Oui, il est possible de porter rapidement des VM sur Azure, GCP de Google ou AWS. Ces trois grands acteurs industriels du cloud public ont tous signé des accords avec VMware pour faciliter cette migration.
Porter ses applications historiques sur le cloud.
Exécuter Oracle Applications sur AWS ou SAP sur Azure, c’est possible depuis longtemps. Cela a un nom, depuis plus de 30 ans : l’hébergement d’applications, qui existait bien avant l’arrivée du premier cloud public, AWS en 2007.
Choisir une application en “mode SaaS”.
Derrière ce vocable “mode SaaS”, les éditeurs historiques proposent le plus souvent des applications traditionnelles hébergées, multi-instances, mono-tenant, qui n’ont aucune des caractéristiques des véritables applications SaaS, multi-tenant.
Migrer ses applications SAP vers S/4 HANA
J’ai écrit un billet entier pour dire tout le “bien” que je pense de cette démarche.
C’est beaucoup plus dangereux qu’un simple portage à l’identique d’une application SAP classique sur une infrastructure Cloud. Avec HANA, la malheureuse entreprise qui se laisse piéger devient doublement prisonnière de SAP, pour ses applications et pour ses… infrastructures en étant obligé de choisir une base de données propriétaire SAP.
Choisir des applications de BI, Business Intelligence à installer sur poste de travail
On peut citer, parmi les plus connues, Qlik Sense ou Tableau. Comme tous les usages Cloud Natif, les applications de BI doivent pouvoir être utilisées depuis un navigateur ; DataStudio de Google en est un bon exemple.
Utiliser des outils bureautiques installés sur PC.
C’est l’exemple le plus classique, le plus répandu que je connais de Pseudo Cloud. Une majorité d’entreprises font aujourd’hui le choix d’Office 365 et croient, ou font semblant de croire qu’elles… migrent sur le Cloud. Dans 90 % des cas, elles continuent à déployer la version PC d’Office, avec Word, PowerPoint ou Excel, ce qui est la négation d’une solution Cloud Native.
Tous ces indicateurs ont un point commun : ils permettent aux entreprises de continuer à fonctionner “comme avant le cloud”. Ils représentent :
- Des changements homéopathiques dans tous les domaines d’infrastructures, d’applications, d’externalisation, de développement.
- Des changements homéopathiques dans les modes de travail des collaborateurs, qui continuent à utiliser leurs applications paléontologiques telles que Microsoft Office sur leur PC ou SAP.
- Des changements homéopathiques dans la gouvernance des SI, toujours considérés comme des centres de coûts.
Rappel : la France vient de décider que l’homéopathie avait des résultats “peu probants”, mais n’était pas dangereuse pour la santé. La même remarque peut être faite pour les démarches “Pseudo Cloud” : elles n’ont aucune efficacité prouvée, mais sont sans risques à court terme.
Cloud Natif : signes distinctifs
Aujourd’hui, les géants du IaaS proposent des offres d’une exceptionnelle richesse, et qui s’améliorent tous les ans.
Ce double tableau montre l’évolution du nombre de services proposés par GCP, Google Cloud Platform, entre février 2017 et juillet 2019. L’évolution des offres AWS est très similaire.
La majorité de ces services n’existe pas dans les solutions numériques “pré cloud”. Connaître, maîtriser et savoir utiliser ces centaines de services, c’est un travail à temps plein, qui demande des compétences exceptionnelles, réparties dans des équipes de haut niveau.
Ce deuxième tableau, d’avril 2018, présente les logos de… 5000 logiciels SaaS pour les seules fonctions marketing et commerciales ! Malgré mes efforts et une veille technologique quotidienne de 2 heures, je n’en connais pas plus de 3 % à 5 %.
Avoir une démarche “Cloud Natif”, c’est comprendre et accepter que le panorama des offres du Cloud n’a plus rien à voir avec ce qui était disponible il y a 10 ou 15 ans. C’est aussi comprendre et accepter qu’il faut tout repenser, remettre à plat, dans les infrastructures, les usages et les développements.
- Essayer de répliquer dans ses petits centres de calcul privés la richesse fonctionnelle d’un AWS ou d’un GCP : absurde, impossible, ridicule, hors de prix…
- Continuer à penser ERP intégré, quand des dizaines de milliers de solutions SaaS remarquables, chacune dans leurs créneaux proposent des solutions plus ergonomiques, plus économiques, plus performantes, plus rapides à déployer, c’est conduire une voiture du début du 20è siècle à l’époque des véhicules électriques et autonomes.
J’ai regroupé ces quatre images automobiles qui illustrent bien ces différences d’approches :
- Une des premières voitures à moteur était une voiture à cheval à laquelle on avait ajouté un moteur thermique (Musée de Mulhouse). Une bonne représentation des ERP des années 1990.
- A côté, j’ai mis une photo de la “nouvelle” Porsche électrique Taycan annoncée en septembre 2019. Rien ne vous choque sur cette photo ? Regardez bien ! Elle porte la mention “Turbo” ! Turbo sur un véhicule électrique, ils ont tout compris chez Porsche ! Une excellente illustration des ERP en 2019, tels SAP/4 HANA, qui n’ont rien compris à la profonde évolution des solutions cloud natives.
- En dessous, il y a deux photos, externes et internes, d’un nouveau véhicule électrique, de l’entreprise Canoo. Tout a été repensé, de A à Z, pour profiter des innovations rendues possibles par des moteurs électriques placés dans les roues.
Les entreprises cloud natives ont compris et accepté qu’il est indispensable de tout remettre à plat. Quelques exemples de décisions Cloud Natif :
- Fermer le plus vite possible tous mes centres de calculs archaïques.
- Créer des équipes d’infrastructures de haut niveau qui maîtrisent les solutions IaaS.
- Essayer de trouver parmi les milliers de solutions SaaS disponibles des réponses “raisonnables” aux attentes des métiers pour les fonctions support.
- Développer, avec des équipes internes de “builders”, les applications cœur métiers en microservices, Serverless…
- Redonner leur indépendance aux données, les sortir du carcan des applications historiques.
- Repenser les échanges avec la DG et les directions métiers, se mettre à leur service et répondre rapidement à leurs demandes légitimes d’innovations rapides.
Rien de tout cela n’est facile, dans un monde Cloud Natif, j’en suis conscient. Je sais aussi que c’est totalement impossible dans une démarche Pseudo Cloud.
Les “Exits” vers un Cloud Natif
Ce billet est écrit début octobre 2019, avant qu’une décision définitive sur le Brexit ne soit prise.
Sans attendre le résultat du Brexit, je propose aux responsables de la Transformation Numérique de leur entreprise de mettre en chantier trois “Exit” numériques ; ceci ne concerne que les entreprises qui ont encore comme “membres” de leur espace numérique ces solutions historiques.
- SAPExit : c’est de loin le plus difficile ! J’ai écrit l’année dernière un long billet qui présente les nouvelles compétences nécessaires à la DSI pour réussir à sortir de SAP. En y mettant beaucoup d’énergie et de courage, il faudra probablement 3 à 7 ans aux grandes entreprises pour réussir leur SAPExit. Raison de plus pour démarrer, immédiatement !
- OraclExit : il peut prendre deux formes, selon les entreprises, exit des bases de données et/ou des applications. Cet Exit est probablement celui qui sera le plus rentable, surtout pour la partie bases de données, qui sont omniprésentes dans les grandes entreprises.
- VMExit : Passer d’une plateforme VM à des containers est de loin le plus rapide et le plus facile de tous les Exit. Bravo à VMWare qui a bien compris que les containers ont gagné la partie et propose maintenant Tanzu, sa solution maison containers.
Un test simple : êtes-vous Pseudo Cloud ou Natif Cloud ?
Je vous propose un test simple pour vous aider à comprendre à quel groupe appartient votre entreprise. Il comporte dix thèmes et pour chacun vous devez choisir une seule des deux réponses, en mettant 1 dans la colonne PC (Pseudo Cloud) ou CN (Cloud Natif).
Important : il ne s’agit pas d’évaluer la situation actuelle, mais la cible que vous avez définie pour votre Transformation Numérique.
Ce tableau, que vous pouvez agrandir et copier, vous servira pour enregistrer vos réponses.
Une rapide explication pour chacun de ces thèmes :
- ERP intégrés vs Best of Breed. Est-ce qu’un ERP intégré fait partie de votre démarche ou est-ce que vous optez en priorité pour des solutions SaaS “Best of Breed”.
- Souhaitez-vous garder des applications historiques, en mode hébergé, ou basculer au maximum sur des solutions SaaS multi-tenant.
- Voyez-vous un avenir aux grandes applications monolithiques ou avez-pris la décision de privilégier des applications microservices, qui communiquent par API.
- Est-ce que l’externalisation des développements restera la règle ou allez-vous reconstruire des équipes importantes de développement en interne pour reprendre la maîtrise de vos applications cœur métier.
- Allez-vous continuer à utiliser des VM ou vont-elles être rapidement remplacées par des containers.
- Des centres de calcul privés, aussi appelés Clouds Privés, garderont-ils une place importante dans le futur ou voyez-vous l’avenir de vos infrastructures dans des solutions IaaS, avec une démarche DataCenterLess (sans centres de calculs privés).
- Pensez-vous que vos collaborateurs ne peuvent pas travailler sans Office sur leurs postes de travail ou qu’une bureautique “Web” comme G Suite est la meilleure réponse pour eux.
- Serez-vous capable, ou non, d’éliminer pour la grande majorité des collaborateurs toutes les applications installées sur les PC pour basculer vers des solutions navigateurs.
- Vos dirigeants et directeurs financiers sont-ils prêts à accepter que les budgets du numérique basculent d’une culture CAPEX, investissements, à une approche OPEX, coûts de fonctionnement.
- Pour la sécurité, allez-vous continuer à faire confiance à des pare-feux traditionnels, périmétriques, qui protègent vos lieux de travail, ou acceptez-vous de déployer des pare-feux dans le cloud, tels que Zscaler, qui protègent les accès de vos collaborateurs où qu’ils soient.
Comment analyser vos résultats
Comptez combien de “1” vous avez dans la colonne CN, Cloud Natif :
- De zéro à trois : votre entreprise a clairement choisi une démarche Pseudo Cloud.
- De quatre à six : vous hésitez entre les deux démarches, mais êtes bien parti pour devenir rapidement Cloud Natif.
- De sept à dix : vous avez basculé dans une véritable logique Cloud Natif.
En synthèse : la situation actuelle en France
Je vais réutiliser la courbe de Gauss de l’innovation, qui répartit les entreprises en cinq grandes familles.
Sur la courbe de gauche, j’ai représenté la situation du Pseudo Cloud : il ne reste plus qu’un tout petit nombre d’entreprises retardataires à considérer qu’elles ne sont pas Cloud, mais au sens Pseudo Cloud.
La courbe de droite correspond aux entreprises qui sont vraiment Cloud Natives. Elles sont encore dans la famille des premiers adopteurs, largement minoritaires.
Dirigeants et responsables de la Transformation Numérique, le plus dangereux est de se mentir à soi-même et de se persuader que l’on est Cloud Natif quand en réalité on est resté dans une démarche Pseudo Cloud.
J’espère que ce billet vous aidera à mieux comprendre à laquelle de ces deux familles appartient votre entreprise.