Frugalité Numérique : première partie
Hommage à Clayton Christensen, un géant de la pensée managériale

Frugalité Numérique : centres de calcul (Deuxième partie)

 

AdS DPC Data Center horizontal cloud S 34080396J’ai commencé l’année 2020 par le premier d’une longue série de billets sur la Frugalité Numérique.

J’aborde aujourd’hui l’un des six domaines d’action que j’y ai identifié, les centres de calcul, Data Center en anglais.

Commencer par les centres de calcul n’est pas anodin ; c’est trop souvent sur eux que se concentre la vindicte des écologistes mal informés, qui les accusent d’être de grands méchants consommateurs d’énergie.

Ce billet démontre que faire des choix “frugaux” pour ses centres de calcul est l’une des décisions les plus positives pour la planète que peuvent prendre les entreprises, avec des impacts forts et immédiats.

 

Les centres de calcul dans le monde

La demande d’usages numériques augmente dans le monde, que ce soit pour le grand public ou pour les entreprises : ceci induit une croissance de la puissance de calcul et des volumes de données stockées dans les centres de calcul.

Ces centres de calcul utilisent de l’électricité, beaucoup d’électricité et de nombreuses personnes, qui cherchent des solutions pour réduire les émissions de CO2 s’en inquiètent, à juste raison.

Plusieurs études ont été faites sur ce sujet. Tous ces résultats sont à prendre avec beaucoup de précautions, comme le démontre la grande dispersion des mesures. Les écarts sont importants sur les chiffres de consommation actuels, ils le sont encore plus sur les prévisions à 5 ou 10 ans.

En décembre 2017, un article de la revue Forbes donne les chiffres suivants :

  • Au niveau mondial, les centres de calcul ont consommé 416 térawatts, ce qui représente 3% de toute l’énergie électrique mondiale.
  • Ceci correspond à 1,4 fois l’énergie électrique consommée au Royaume-Uni.
  • Cette consommation va doubler en quatre ans.

Andres Andrae, qui travaille pour Huawei en Suède a mené une autre étude. Elle est citée par la revue Nature en 2018 et reprise par la revue Fortune en 2019. Elle annonce que les centres de calcul ont représenté 2% de la demande mondiale d’électricité. C’est un chiffre inférieur de 33% à celui de la revue Forbes !

Le laboratoire “Ernest Orlando Lawrence Berkeley National” a réalisé en 2016 l’étude la plus complète que je connaisse (65 pages) : elle présente plusieurs scénarios d’évolution des centres de calcul aux États-Unis entre 2010 et 2020. J’y ferai plusieurs fois référence dans ce billet (étude Berkeley).

L’une des principales raisons pour laquelle il est difficile d’avoir des chiffres fiables vient du fait que la majorité des centres de calcul sont de petite ou très petite taille, dans des PME, comme le montre ce graphique tiré de l’étude Berkeley.

Berkeley servers numbers: size DC

 

Centres de calcul pour les entreprises : principales options

En simplifiant au maximum, les entreprises ont trois options principales pour leurs centres de calcul :

● Posséder leurs centres de calcul privés. C’était, jusqu’il y a peu, le choix le plus répandu. Dans les PME, on parle souvent de “salles machines”. Les grandes entreprises ont eu récemment la mauvaise idée de les renommer “cloud privé”.

● L’hébergement. Les hébergeurs, tels que OVH ou OBS (Orange Business Services) existent depuis plusieurs dizaines d’années. Ces hébergeurs mutualisent des centres de calcul, souvent plus efficients, et chaque entreprise cliente y installe tout ou partie de ses serveurs.

● Le Cloud Public. De grands fournisseurs industriels d’énergie informatique proposent aux entreprises d’utiliser cette énergie à la carte, selon leurs besoins. Les entreprises ne sont plus propriétaires de leurs serveurs. C’est un thème que j’ai très souvent abordé dans ce blog.

Centres de calcul - trois options interne  hébergé Cloud public

Dans ce billet, c’est la seule dimension énergétique de ces trois options qui est analysée.

Je ne vais pas faire durer plus longtemps le “suspense” : la seule manière pour une entreprise de réduire fortement et rapidement l’impact énergétique de ses centres de calcul est de… les fermer le plus vite possible et de basculer sur des clouds publics.

L’option hébergement est souvent plus efficace que les centres de calcul privés, mais toujours moins efficace que les clouds publics.

 

Une excellente nouvelle : les entreprises ferment leurs centres de calcul privés

Il y avait 13 millions de serveurs aux États-Unis en 2010. L’étude Berkeley propose deux scénarios principaux, concernant les évolutions du nombre de serveurs physiques :

● Le scénario Current Trends (Rien ne change). Les entreprises gardent leurs centres de calcul ; pour faire face à la croissance de la demande de traitement, le nombre de serveurs monte à 18 millions.

● Le scénario Best Practices (en pratique, Clouds Publics). Dans ce cas, le nombre total de serveurs descend à 10 millions, sans changer la capacité de traitement.

Etude Berkeley nb servers BaU Hyperscale

Ce basculement partiel sur des clouds publics réduit le nombre de serveurs physiques de 8 millions : il passe de 18 millions à 10 millions. Ceci correspond à une réduction de 45% du nombre de serveurs.

La planète ne va pas s’en plaindre…

La société d’études Synergy Research Group vient de publier, fin 2019, une étude qui confirme ce mouvement de fond : en 2019, pour la première fois, les dépenses des entreprises dans des solutions cloud ont dépassé celles pour les centres de calcul privé.

Synergy - private DC investments vs Public cloud

La planète ne va pas s’en plaindre…

 

Les serveurs OCP, Open Compute Project

Dans l’ancien monde informatique, les entreprises achetaient leurs serveurs à de grands fournisseurs historiques qui avaient pour noms Dell, HP, Lenovo, IBM…

À l’initiative de Facebook, les grands acteurs du Cloud Public ont formé, en 2011, une organisation nommée OCP, Open Compute Project. Google, Microsoft et beaucoup d’autres entreprises ont rejoint OCP. OCP met en “Open Source” les meilleures pratiques dans le domaine des matériels tels que serveurs ou disques.

Efficiencies of OCP serversCes serveurs sont fabriqués par les grands industriels chinois et coréens. Ils sont optimisés pour avoir des prix de revient les plus bas et surtout pour consommer le moins d’énergie possible. À titre d’illustration, ils ne sont pas équipés de lumières qui indiquent leur état de fonctionnement, car… personne ne regarde les serveurs dans les clouds publics, tout étant géré à distance. Ceci est très bien expliqué dans un article de la revue Nature, publiée en 2018, dont est extrait le texte ci-dessus. Un chiffre résume cette efficacité : un serveur OCP remplace en moyenne… 3,75 serveurs classiques !

En 2020, le basculement des géants du cloud public sur des serveurs OCP ou équivalents est terminé, comme le montre ce graphique tiré de l’étude Berkeley.

Unbranded servers used by hyperscale

Dans les entreprises, et de manière scandaleuse, les responsables des achats d’infrastructures ignorent et font l’impasse sur les serveurs OCP, qu’ils pourraient acheter pour remplacer les serveurs démodés commercialisés par les grandes marques historiques, déjà citées, en fin de vie.

OCP used worldwide = 50% less energy in data centersOCP estime que si toutes les entreprises utilisaient leurs serveurs, la consommation d’énergie des centres de calcul serait divisée par deux !

Et ce sont ces mêmes entreprises qui osent parler de réduire leurs impacts énergétiques et sont incapables de prendre une décision aussi simple, possible depuis plusieurs années.

Des paroles, oui, c’est facile. Des actes…

 

E-TRAP : un modèle d’analyse énergétique des centres de calcul

Les études que j’ai menées avec quelques entreprises innovantes m’ont permis d’imaginer un modèle d’analyse des performances énergétiques des centres de calcul des entreprises.

Le l’ai nommé E-TRAP : la capacité à atTRAPer” l’Energie !

Frugalité numérique - Modèle E-TRAP - Data Centers

Les principaux composants du modèle E-TRAP sont, de droite à gauche :

● Les Applications.

● Le TUS : Taux d’utilisation des serveurs.

● Le PUE : Power Usage Effectiveness.

● Le type d’énergie utilisée : Renouvelable ou carbonée.

● L’Energie totale consommée.

Les Applications

Les centres de calcul hébergent les serveurs et les supports de stockage des données nécessaires pour faire fonctionner des applications. Dans ce billet, la pertinence de ces applications n’est pas mise en cause ; ce sujet serait traité dans un autre billet, dédié aux applications.

L’objectif “Frugalité Numérique” d’un centre de calcul est clair : consommer le minimum d’énergie pour qu’une application s’exécute. Les trois paramètres TUS, PUE et type d’énergie déterminent le niveau de Frugalité Numérique obtenu.

TUS : Taux d’utilisation des serveurs

Un serveur physique consomme de l’énergie quand il est en fonctionnement, indépendamment du fait qu’une application s’exécute ou pas.

Le TUS mesure le pourcentage du temps “utile” de fonctionnement d’un serveur, c’est-à-dire quand une application est opérationnelle par rapport au temps total sous tension. Un TUS de 1 correspond au cas théorique idéal d’un serveur utilisé à 100%, un TUS de 0,1 signifie qu’une application utilise 10% du temps total d’un serveur.

Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles un TUS de 1 ne sera jamais atteint :

● Une application chargée dans un serveur n’est pas active en permanence. Une application de calcul d’un prêt immobilier par un banquier n’est utilisée que lorsqu’un client fait une demande, et reste inactive le reste du temps.

● Le taux d’usage d’une application varie beaucoup selon les heures de la journée, les périodes de l’année. L’application ‘Parcoursup” d’inscription dans les universités françaises à des pointes très fortes d’usages, selon le rythme des examens, et un niveau d’usage proche de zéro le reste du temps.

● Plusieurs techniques, telles que la virtualisation, permettent à un serveur physique d’être utilisé en même temps par plusieurs applications, pour optimiser son usage.

L’étude Berkeley a calculé le TUS selon les types de centres de calcul dans les trois familles présentées auparavant :

● Internal (Interne).

● Service provider (hébergeur).

● Hyperscale (Clouds Publics).

Server usage level by 3 familiesCe tableau donne le TUS moyen de ces trois familles, sur la période 2000 - 2010 et une estimation pour l’année 2020.

Si l’on prend ces chiffres pour 2020, un fournisseur de Cloud Public a un TUS 3,33 fois plus performant (50% vs 15%) que les serveurs gérés en interne par une entreprise. C’est un chiffre cohérent avec ceux que l’on a déjà vus plus haut.

PUE : Power Usage Effectiveness

Le PUE (indicateur normalisé par l’ISO) mesure d’efficacité énergétique d’un centre de calcul, en séparant :

● L’énergie électrique utilisée pour alimenter les serveurs, l’énergie “utile”.

● Les dépenses “indirectes” d’énergie, pour des activités telles que la climatisation ou l’éclairage.

Le PUE théorique optimum est de 1, quand 100% de l’énergie est utilisée pour les serveurs.

PUE des Clouds publics

Les fournisseurs de Clouds publics ont fait des efforts majeurs pour réduire leur PUE. Ils sont en 2020 proches de 1,1, comme le montre ce graphique correspondant à Google. On y observe des variations saisonnières liées à la météo, mais la moyenne s’établit à 1,11.

PUE Google Data Center 2008 - 2019

Améliorer ce chiffre de 1,11 est difficile ; leurs centres de calcul les plus modernes atteignent 1,07 ; des progrès peuvent au mieux réduire de 10% la consommation d’énergie électrique.

PUE des centres de calcul gérés par les entreprises

De nombreuses études ont été réalisées sur les PUE des centres de calcul gérés par les entreprises. L’une des plus complètes est menée chaque année par le “Uptime Institute”, qui interroge des milliers d’entreprises, dans le monde entier.

Le graphique ci-dessous montre l’évolution du PUE des plus grands centres de calculs privés du monde, ceux qui ont les meilleurs résultats à cause d’évidentes économies d’échelle.

PUE enterprise Uptime Institute

Les entreprises ont aussi amélioré leur PUE entre 2006 et 2014, en le réduisant de plus de 30%. Comme pour les Clouds publics, les réductions de PUE deviennent de plus en plus difficiles.

Pour l’année 2019, le PUE des meilleurs centres de calcul privés est de 1,67.

Dans les centres de calcul des entreprises grandes et moyennes, ce PUE dépasse souvent 2 et il peut atteindre 3 ou 4 dans les “salles machines” des PME ou TPE.

 

Energies renouvelables, énergies carbonées

Un centre de calcul peut être alimenté en énergie carbonée, cas le plus fréquent aujourd’hui, ou en énergies renouvelables.

Dans ce domaine aussi, les grands acteurs du cloud public font des efforts majeurs pour basculer sur des énergies renouvelables.

Le graphique ci-dessous montre l’évolution rapide de Google vers des énergies 100% renouvelables.

Google 100 % renovable energy 2018

Depuis 2017, les centres de calcul de Google sont à 100% alimentés en énergies renouvelables ou, quand cela n’est pas possible, couverts par des rachats de crédits d’énergies renouvelables.

En 2019, Google a annoncé un investissement de 600 M$ pour accroître la puissance de son centre de calcul d’Hamina en Finlande. En même temps, Google a signé un accord pour l'achat d'énergie éolienne en provenance de Suède.

Google est pour le moment le plus en avance des grands acteurs du cloud public dans sa migration réussie vers du 100% renouvelable, mais Azure, AWS et Alibaba ont pris le même chemin.

J’ai utilisé le graphique ci-dessous dans mon billet de la fin de l’année 2019 mais je le reprends ici, car il montre que les trois entreprises américaines qui, en mars 2018, avaient le plus investi dans les énergies renouvelables sont… les trois géants du Cloud public, Google, Amazon et Microsoft.

Best users USA of renewable energy

Maintenant que les trois éléments clefs du modèle E-TRAP qui déterminent la consommation d’énergie d’un centre de calcul sont compris et maîtrisés, il est possible de comparer les choix qui s’offrent aux entreprises pour améliorer la Frugalité Numérique de leurs centres de calcul.

 

R2E : Ratio d’Efficacité Energétique d’un centre de calcul

Pour mesurer le rapport entre l’énergie qui rentre dans un centre de calcul et celle qui sert à activer une application, je vous propose d’utiliser un ratio que j’ai nommé :

Ratio Efficacité Energétique (R2E).

Son calcul est très simple :

                                                         100 x PUE

R2E : Ratio Efficacité Energétique = ---------------

                                                               TUS

Un centre de calcul “énergétiquement parfait” aurait un R2E de 100, correspondant à un PUE de 1 et un TUS de 100%.

R2E d’un Cloud Public

En utilisant les chiffres présentés dans ce billet, PUE de 1,1 et TUS de 50%, on obtient, pour un cloud public un R2E de :

R2E : (100 x 1,10)/0,5 = 220

Plus de la moitié de l’énergie qui rentre dans un Cloud Public est consommée sans apporter de valeur. C’est sur le TUS que des progrès importants peuvent encore être réalisés.

Calcul du R2E d’un centre de calcul privé

En prenant l’exemple d’une grande entreprise qui a un PUE de 2 et un TUS de 15%, on obtient un R2E pour un centre de calcul privé de :

R2E : (100 x 2)/0,15 = 1333

Ce R2E devrait donner des “sueurs froides” à tous les dirigeants : l’énergie qui rentre dans un centre de calcul d’entreprise est… 13 fois supérieure à l’énergie utile !

Présenté autrement, moins de 8% de l’énergie électrique qui rentre dans un centre de calcul d’entreprise est utile, 92% est gaspillée !

 

Synthèse : basculer sur les clouds publics, c’est bon pour la planète

La comparaison de ces deux R2E est sans appel.

Une entreprise qui abandonne ses centres de calcul privés et bascule sur des clouds publics augmente dans un rapport 1333/220 = 6 son efficacité énergétique !

Si l’on tient aussi compte de la dimension renouvelable vs carbonée, le bilan est encore plus impressionnant et positif :

● Basculement sur le cloud public GCP de Google : consommation d’énergie divisée par 6, consommation d’énergie carbonée ramenée à zéro.

● Basculement sur les clouds publics AWS ou Azure, en faisant l’hypothèse qu’ils sont déjà à environ 50% d’énergies renouvelables : consommation d’énergie divisée par 6, consommation d’énergie carbonée divisée par 12.

Ces résultats sont des moyennes mondiales : les TPE et PME ont des résultats encore plus catastrophiques, et les entreprises qui disposent de très grands centres de calcul privés font... un peu mieux.

Ce dernier tableau met devant leurs responsabilités tous les dirigeants qui souhaitent passer à l’action et améliorer fortement la Frugalité Numérique de leur entreprise.

Frugalité Numérique centre calcul - Electricité & renouvelable

C’est une excellente nouvelle pour les entreprises qui ont pris la décision de basculer vers les clouds publics. En plus de tous les bénéfices que j’ai présentés dans ce blog depuis 10 ans, rentabilité, sécurité, flexibilité, innovation, OPEX… elles découvrent un maxi-bonus : cette décision les positionne parmi les championnes de la Frugalité Numérique.

Toutes les autres entreprises, qui avaient encore des doutes sur la pertinence d’une migration sur les clouds publics avant la lecture de ce billet, ont maintenant un argument “massue” qui leur permettra de dire à leurs dirigeants, leurs informaticiens et surtout à tous leurs collaborateurs :

“Nous migrons vers les clouds publics pour aider au sauvetage de la planète”.

Qui oserait, aujourd’hui, résister face à un tel argument ?

Vous ?

 

Troisième partie : les objets d'accès

Quatrième partie : les réseaux

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