Quel avenir pour la planète : More from Less ou… Less is More ?
30/03/2021
Je lis beaucoup, en ce moment.
Transformation Numérique, Frugalité Numérique, avenir de la planète, réduction des émissions de CO2, je ne suis pas le seul à être préoccupé par ces grands sujets. J’ai au cours de ces derniers mois acheté et lu une quinzaine de livres sur ces thèmes, et ce n’est qu’une petite partie de ce qui a été publié.
Parmi ces lectures, deux livres importants, publiés récemment, utilisent les mêmes mots dans leur titre :
● More from Less, par Andrew McAfee, en 2019.
● Less is More, par Jason Hickel, en 2020.
Ce sont deux auteurs de qualité, compétents et motivés pour améliorer l’avenir de la planète.
Tous les deux proposent des solutions qui ont pour objectif de sauver notre planète, et ils le font avec passion, en s’appuyant sur des études sérieuses.
Mais...les solutions qu’ils proposent sont radicalement différentes !
Essayons d’y voir un peu plus clair.
Trois démarches possibles
La planète n’est pas en pleine forme et son avenir pose problème : la prise de conscience de cette situation est largement majoritaire dans l’opinion publique. Le changement de Président aux États-Unis est une bonne nouvelle et il y a de moins en moins de dirigeants politiques qui sont en position de déni de ces défis.
C’est ce que confirme une enquête réalisée à la fin de l’année 2020 auprès de plus d’un million de personnes. Elle indique, pays par pays, quel est le niveau perçu de l’urgence climatique ; la France est bien placée avec une réponse à 77%.
L’important, c’est de passer aux actes et de prendre des décisions.
En prenant le risque de simplifier, de caricaturer peut-être, je vous propose trois scénarios possibles :
● B = BAU, Business As Usual, ne rien changer.
● C = Croissance, oui, mais différente.
● D = Décroissance, seule option.
Je vais utiliser les deux livres dont j’ai parlé comme référents des stratégies C et D :
● More from Less pour démarche C.
● Less is more pour démarche D.
BAU, Business As Usual, ne rien changer
Allo, la Terre ? Nous avons un problème.
Commençons par le plus facile : BAU, Business as Usual, ne rien changer n’est pas la solution aux problèmes de la planète. Le consensus mondial est raisonnablement universel sur ce point.
Pour l’illustrer, j’ai choisi trois indicateurs significatifs de la situation préoccupante actuelle.
La température moyenne à la surface de la Terre augmente depuis environ 100 années. Les scientifiques disent qu’il faut rester sous la barre de 1,5°C d’augmentation pour éviter des catastrophes. Ce graphique montre que la croissance actuelle, si elle continue, nous fera dépasser cette limite dans très peu d’années.
Les émissions annuelles de CO2 sont en forte croissance depuis 1950. Ce graphique montre quels sont les principaux pays émetteurs. Au total, on est passé de 5 milliards de tonnes en 1950 à plus de 35 milliards en 2018, une multiplication par 7 en 70 ans.
L’extraction de matières premières de la terre elle aussi s'accroît depuis 50 ans, comme le montre ce graphique. Un consensus scientifique existe pour dire qu’il ne faudrait pas dépasser 50 milliards de tonnes par an. Depuis une vingtaine d’années, nous sommes au-dessus et ce chiffre augmente tous les ans.
Faire l’autruche, continuer comme si de rien n’était, ce n’est vraiment pas une démarche intelligente si l’on ne souhaite pas transformer notre planète en un espace inhabitable pour la majorité des humains. Si vous n’en êtes pas encore convaincu, le livre catastrophe de David Wallace-Wells, “The Uninhabitable Earth” vous expliquera, très bien, ce qui nous attend si l’on ne fait rien pour lutter contre le réchauffement climatique.
Restent donc les deux autres pistes possibles, une croissance différente ou la décroissance.
Croissance, oui, mais différente
J’ai déjà écrit longuement sur ce thème, en m’appuyant sur le livre « More from Less » de McAfee, déjà cité.
Pour les personnes qui ne souhaitent pas lire l’intégralité de ce long billet, j’en reprends quelques idées clefs :
● La croissance économique mondiale a fortement accéléré avec l’arrivée de la révolution industrielle autour des années 1850.
● Les innovations technologiques permettent depuis les années 1970 une dématérialisation de l’économie, un découplage entre la croissance économique et la consommation des ressources de notre planète.
● Les quatre éléments qui vont permettre de régler les problèmes de la planète :
- Le capitalisme.
- Le progrès technologique, et en priorité le numérique.
- Des gouvernements responsables.
- La prise de conscience du public.
En résumé, pour McAfee, on peut être optimiste sur la capacité des humains à affronter les défis posés par le réchauffement climatique.
Ce graphique illustre cette capacité : la surface agricole utilisée pour l’élevage baisse depuis les années 2000 alors que l’on consomme plus de viande dans le monde.
Décroissance, seule option
Le sous-titre du livre de Jason Hickel, « Less is More », résume très bien son thème principal :
“How Degrowth Will Save the World” ou “Comment la décroissance sauvera le monde”.
Jason Hickel, anthropologue et économiste, a passé sa jeunesse au Swaziland en Afrique et ses expériences locales ont fortement influencé ses réflexions. Son livre précédent, “The Divide”, défend avec brio la thèse que pendant les 500 dernières années les pays du Nord, en commençant par l’Angleterre, ont pillé les pays du Sud pour assurer leur croissance et sont à l’origine de la pauvreté en Amérique du Sud, Afrique et une grande partie de l’Asie.
Je pense que toute personne qui se préoccupe de l’avenir de la planète devrait lire ces deux ouvrages de Jason Hickel. Il faut le faire avec l’esprit ouvert, car ils bousculent un grand nombre d’idées reçues. On peut ne pas être d’accord avec ses thèses et ses recommandations, mais ces deux livres obligent à se poser beaucoup de questions, de bonnes questions.
Sans avoir la prétention de résumer “Less is More”, j’ai choisi une dizaine des messages les plus forts, pour vous donner envie d’aller plus loin et de le lire.
● Le capitalisme ne peut pas survivre sans croissance. La “religion” de la croissance, du PNB, le “Growthism”, est dominante dans le monde entier. Une croissance moyenne de 3% par an est nécessaire à la survie du capitalisme.
● La maîtrise des énergies fossiles à partir du XIXe siècle a accéléré ce mouvement de croissance : un baril de pétrole, soit 160 litres, fournit une énergie équivalente à 4,5 années de travail physique humain.
● En acceptant l’hypothèse retenue par les scientifiques que l’atmosphère ne peut pas accepter plus de 350 ppm de CO2, les pays avancés, les “pays du Nord” sont responsables de… 92% des excès actuels d’émission.
● Il n’y a plus aucune relation entre la croissance du PNB et le bien-être de la société. On peut vivre, très bien, dans une société sans croissance.
● De nombreux pays, Danemark, Costa Rica, Portugal… ont des espérances de vie, des qualités de vie largement supérieures à celles de pays comme les États-Unis qui ont un PNB par personne beaucoup plus élevé.
● Il est urgent de remplacer le PNB par d’autres indicateurs qui prennent en compte la qualité de la vie. L’OCDE propose le BLI, “Better Life Index”. La France n’est pas trop mal placée.
● C’est en investissant dans les biens communs, la santé, l'éducation, l'alimentation... que la planète peut s’en sortir.
● Des alternatives à la croissance existent : la justice et la lutte contre les inégalités.
● L’ONU a calculé que l’on peut obtenir les meilleurs résultats pour l’humanité dans tous ces biens communs, éducation, santé… avec un PNB de 10 000$ par habitant. Cette somme est inférieure au PNB moyen du monde aujourd’hui, de 11 300$ !
● Platon contre Aristote, Descartes contre Spinoza, les philosophes qui ont considéré que l’on pouvait séparer la pensée de la matière : “Je pense donc je suis”, sont à l’origine des grandes catastrophes que l’homme a imposées à la nature et aux autres espèces vivantes.
● La technologie est essentielle pour lutter contre les catastrophes écologiques qui viennent, oui, mais elle ne sera pas suffisante.
En résumé
Le monde n’a plus besoin de croissance. Il faut mieux répartir les richesses dans le monde, à l’intérieur de chaque pays et entre les pays du Nord et du Sud.
Il ne s’agit pas pour autant de revenir à un monde ancien ni de rejeter les progrès de la technologie.
Changer la gouvernance du monde, taxer plus le capital et moins le travail, proposer gratuitement les services essentiels tels que l’enseignement et la santé à tous les citoyens du monde, c’est possible tout en réduisant les niveaux actuels d’activité.
Peut-on réduire la pauvreté dans le monde sans croissance économique ?
Sur tous les sujets qui touchent notre planète, je connais peu de sources d’informations aussi pertinentes et sérieuses que “Ourworldindata”.
Les graphiques que je vais utiliser dans ce paragraphe viennent de ce site.
Les inégalités de revenus par personne dans le monde sont très fortes selon les continents et les pays. L’ONU et la majorité des organismes qui travaillent sur ce sujet utilisent l’échelle suivante :
● Pauvreté absolue : moins de 1,9$ par jour.
● Revenus de subsistance : entre 1,9$ et 10$/jour.
● Revenus faibles : entre 10$ et 30$/jour. Ce chiffre de 30 $/jour définit aussi la pauvreté dans les pays riches.
● Revenus suffisants : au-delà de 30$/jour.
Ce graphique montre comment se répartissent les continents sur cette échelle de revenus.
Deux chiffres résument les très forts décalages selon les continents :
● Dans les pays riches, États-Unis, Europe du Nord… les ¾ des personnes vivent avec plus de 30$/jour.
● Dans les pays subsahariens, 40% des habitants vivent avec moins de 1,9$/jour.
Ce deuxième graphique, un peu plus complexe à lire, donne pour de nombreux pays à la fois le nombre de personnes qui vivent avec moins de 30$/jour et le nombre d’habitants du pays. La taille de ces rectangles indique donc combien de personnes sont concernées.
Il n’y a que 16% de personnes dans le monde qui disposent de 30$/jour pour vivre.
Qui ne serait pas heureux de savoir que l’on est arrivé à donner à la grande majorité de la population mondiale un revenu décent de 30 $/jour ? C’est le Danemark qui a été choisi comme le pays le plus performant dans ce domaine, avec un PNB raisonnable et un faible niveau de pauvreté.
Petit problème : pour y arriver, dans les conditions actuelles de fonctionnement de l’économie mondiale, les calculs faits par les économistes qui ont établi ces graphiques montrent qu’il faudrait, pour arriver au niveau du Danemark, accroître d’un facteur 5 la taille de l’économie mondiale.
Même les plus grands partisans de la croissance économique seront d’accord pour dire que notre planète ne peut pas absorber une croissance aussi forte.
Ces chiffres confirment, si cela était nécessaire, que le scénario BAU, Business As Usual, ne permet pas de répondre aux défis posés à la planète.
Place du numérique dans ces trois scénarios.
Il faudra faire des choix, entre ces trois scénarios très différents : ce seront des décisions majeures, à fortes dimensions politiques et géopolitiques.
Un seul pays, un seul continent ne peut pas, à lui seul, permettre à la planète à s’en sortir. Il y a trop d’interdépendances entre les états et les phénomènes climatiques sont mondiaux.
Je peux avoir, personnellement, des préférences pour l’un ou l’autre de ces scénarios ; je sais aussi que je n’ai pas de pouvoir réel d’influencer les responsables politiques dans leurs décisions.
Par contre nous, les professionnels du numérique, nous pouvons avoir un rôle positif majeur à jouer pour aider la planète, quel que soit le scénario politique retenu parmi les trois que j’ai présentés.
Les solutions numériques peuvent apporter leur contribution positive dans les trois cas, même si ce ne sera pas avec la même intensité.
Ces solutions numériques peuvent avoir des impacts positifs rapidement, avant 2030, peut-être plus vite que les actions menées dans d’autres domaines.
Je suis aussi profondément persuadé que l’Europe du numérique peut trouver là un domaine d’action passionnant, capable de mobiliser beaucoup d’énergies et de compétences.
Les Européens sont prêts à relever ce défi. Le MIT vient de publier son “Green Future Index” pour l’année 2021. Ce document d’une trentaine de pages classe 76 pays selon les progrès et les engagements qu’ils ont pris pour aller vers un monde avec moins de carbone.
Bravo l’Europe ! Sur les 20 meilleurs pays… 15 sont européens et la France est 4e.
Ce sera le thème de mon prochain billet sur ce sujet :
L'Europe, leader mondial dans les usages numériques au service de la planète ?