L’Europe, leader mondial dans les usages numériques au service de la planète ?
08/04/2021
(Remarque : billet très long, mais le sujet est tellement important…)
Dans un billet précédent, j’ai étudié trois scénarios économiques possibles qui permettraient à l’humanité de ne pas transformer la planète en un espace “inhabitable”.
Quel sera le scénario retenu au niveau mondial ? Je n’en sais rien et je n’ai pas la prétention de pouvoir peser très lourd dans ce choix.
Par contre, tous les auteurs cités dans ce billet sont d’accord sur un point : les innovations technologiques, et en particulier numériques, auront un rôle essentiel dans la réussite de leurs plans d’action.
Pourquoi parler de l’Europe et pas de la France ? Réussir à jouer un rôle significatif dans le monde numérique de demain sera très difficile pour l’Europe. La France, seule ? Poser la question, c’est y répondre...
Dans ce texte, je propose que l’Europe prenne le leadership mondial dans la mise en œuvre du numérique au service de la planète.
Je suis persuadé que :
● C’est possible.
● L’Europe dispose des moyens financiers pour y arriver.
● L’Europe a les compétences humaines nécessaires.
● Les professionnels européens du numérique sont prêts à s’impliquer fortement pour ce combat.
Ne pas regarder dans le rétroviseur
Nous sommes en 2021, pas en 2000. Il est impératif que l’Europe regarde devant elle, sur ce qu’elle peut faire pendant les 10 à 20 années qui viennent.
Se lamenter sur les batailles numériques perdues au cours des 10 à 15 dernières années, c’est contre-productif et dangereux.
Hélas ! C’est ce qui se passe trop souvent en ce moment.
Oui, l’Europe a fait de graves erreurs avec son incapacité à anticiper les grandes innovations de ces 15 dernières années.
J’en donnerai deux exemples, sur des technologies essentielles :
Les infrastructures Clouds Publics
Les Infrastructures IaaS, Infrastructures as a Service, sont arrivées en 2006 avec AWS, Amazon Web Services. Depuis, Microsoft avec Azure, Google avec GCP, Alibaba en Chine ont eux aussi investi massivement dans des infrastructures Clouds Publics.
Ces entreprises proposent aujourd’hui des solutions disponibles dans le monde entier, fiables, sécurisées, à des coûts raisonnables. Elles continuent à investir et à innover en ajoutant tous les ans des centaines de nouveaux services. Dès 2015, j’ai publié un billet sur ce thème pour expliquer que ces grands acteurs industriels du Cloud Public avaient gagné cette guerre.
Le “Quadrant Magique” du Gartner Group publié en août 2020 sur l’IaaS est sans appel : les quatre entreprises que j’ai citées dominent le marché ; les deux anciens combattants, IBM et Oracle, sont relégués dans la catégorie des “acteurs de niche”.
Les solutions européennes ? Elles brillent par leur absence.
Les technologies de base de l’Intelligence Artificielle
Il y a deux ans, en janvier 2019, j’écrivais un billet au ton alarmiste sur les risques de retards irréversibles que prenait l’Europe dans le domaine de l’Intelligence Artificielle (IA).
Face au combat entre les deux géants du secteur, les États-Unis et la Chine, le nain européen restait inactif et se contentait de publier de “beaux rapports” sur le sujet. Je donnais 5 ans à l’Europe pour redresser la barre, si elle s’attaquait immédiatement à ce grand chantier.
Deux ans se sont écoulés depuis ce billet. Rien de sérieux n’a été fait pour mettre l’Europe en situation d’avoir un poids raisonnable dans les technologies de l’Intelligence Artificielle.
Conséquence : l’Intelligence Artificielle a rejoint le Cloud Public dans les combats perdus, de manière irréversible.
Une étude récente publiée par Oliver Wyman enfonce encore plus le clou.
Ce tableau compare les forces relatives des États-Unis, de la Chine et de l’Europe.
Les résultats sont édifiants : l’Europe est dernière dans tous les domaines sauf un, celui des talents humains. J’y reviendrai à la fin de ce billet ; c’est notre atout principal et le seul domaine où aucune de ces trois forces économiques n’a pris une avance irréversible.
On peut regretter ces erreurs majeures, oui. Ce n’est pas une raison pour ressasser ses échecs, regarder dans le rétroviseur, se déchaîner contre les grands méchants GAFAM, coupables d’avoir réussi là où l'Europe a échoué.
Quelle est la meilleure manière pour l’Europe de rater les opportunités numériques de demain ? Dépenser bêtement son énergie, ses ressources humaines et financières pour des causes perdues d’avance.
Je préfère regarder devant moi, imaginer ce qu’il est possible de faire d’innovant et d’utile pour la compétitivité de l’Europe au service du sauvetage de la planète.
Il y a deux axes d’actions possibles pour mettre le numérique au service de la planète :
● Promouvoir la Frugalité Numérique : faire en sorte que les infrastructures et les usages numériques aient le moins d’impacts négatifs possible sur la planète.
● Utiliser les innovations numériques pour rendre toutes les activités humaines plus économes en ressources matérielles et énergétiques.
Un double défi, auquel l’Europe peut donner des réponses positives, rapidement.
Frugalité numérique des entreprises, un sous ensemble des défis écologiques
Et si les entreprises européennes devenaient les meilleures élèves du monde dans leurs usages numériques respectueux de la planète ?
La Frugalité Numérique, que d’autres préfèrent nommer la Sobriété Numérique, est une démarche qui consiste à optimiser tous les composants du numérique pour qu’ils aient le minimum d’impacts sur la planète.
J’ai publié au début de l’année 2020 plusieurs billets sur le thème de la Frugalité Numérique.
Dans le premier de ces billets, j’avais identifié six domaines d’actions possibles.
J’ai depuis ajouté un septième domaine, celui de l’Informatique Industrielle des Objets (IIoT).
Sans réécrire ces billets, je vais en rappeler les idées essentielles.
Les six premiers composants font partie des infrastructures numériques ; ce sont eux qui consomment des matières premières et de l’énergie.
● Centres de calculs
● Objets d’accès
● Informatique Industrielle des objets
● Réseaux
● Stockage de données
● Impression
Le septième composant, les usages numériques ne consomment pas directement des ressources ; ils mettent en œuvre des composants d’infrastructures qui eux consomment des ressources. Sans usages numériques, on n’aurait pas besoin d’infrastructures numériques !
Remarque importante : mes analyses sont centrées sur les infrastructures et les usages professionnels du numérique, domaine que je maîtrise raisonnablement bien.
Une grande partie des recommandations valables pour le monde professionnel sont transposables dans le grand public, mais pas toutes.
Quels sont les messages essentiels à retenir sur le thème de la Frugalité Numérique des entreprises ?
● Mener une Transformation Numérique forte peut aussi être très bon pour la Frugalité Numérique. Les solutions innovantes telles que le Cloud Public, les usages SaaS sont beaucoup plus économes en énergie que les solutions historiques.
● Trop d'idées dangereuses et fausses sont véhiculées par les médias et beaucoup de soi-disant spécialistes. Quelques exemples de ces fake news :
○ Envoyer un courriel consomme beaucoup d’énergie.
○ Il faut effacer la majorité de ces courriels.
○ La vidéoconférence en haute définition consomme beaucoup plus qu’en basse définition.
○ Les centres de calculs géants des grands acteurs du Cloud Public sont mauvais pour la planète.
● Il est fondamental d’avoir un message positif, moderne sur le numérique. Les risques liés à un rejet des innovations numériques et à une tentation d’un retour en arrière restent élevés. Il faut prendre le temps d’expliquer, de démontrer, de rassurer pour que les collaborateurs de l’entreprise comprennent les apports positifs des solutions numériques innovantes sur la planète.
● Il reste encore beaucoup de travail à réaliser pour mieux comprendre toutes les dimensions de ces consommations et développer des indicateurs performants qui permettent aux entreprises de mesurer leurs usages et leurs progrès dans leur démarche de Frugalité Numérique.
● Sensibiliser toutes les personnes concernées reste une priorité :
○ Dirigeants.
○ Spécialistes du Numérique.
○ Collaborateurs.
● J’ai pu observer dans les entreprises où j’ai travaillé sur ces sujets une remarquable appétence pour le thème de la Frugalité Numérique. C’est une excellente nouvelle ; tous les collaborateurs comprennent rapidement les enjeux et sont prêts à faire évoluer leurs usages numériques pour réduire leurs impacts négatifs sur la planète.
En Europe, les entreprises et les citoyens sont très sensibilisés aux enjeux climatiques et prêts à agir pour réduire rapidement leurs impacts. Il devrait donc être raisonnablement facile de mettre en œuvre des politiques de Frugalité Numérique efficaces, rapidement.
Les plus grands dangers, je le répète, c’est de jouer sur des peurs ancestrales et de transmettre des informations fausses mais spectaculaires.
Expliquer, rationnellement, factuellement, quelles sont les actions à entreprendre pour réussir à devenir frugal, numériquement, c’est hélas plus compliqué que je ne le pensais au départ.
Le numérique, présent dans la majorité des activités humaines
Les usages numériques, professionnels ou personnels, n’existent que parce qu’ils participent à nos activités.
Quels secteurs prioritaires pour la planète ? Trois approches différentes
J’ai choisi de présenter trois analyses différentes des secteurs prioritaires d’action pour que notre planète reste habitable le plus longtemps possible :
● La vision des Nations Unies.
● La démarche de la Commission Européenne.
● Les recommandations de Bill Gates.
Il en existe sûrement d’autres, mais ces trois-là donnent suffisamment de pistes d’action, peut-être même un peu trop, si l’on souhaite être pragmatique et aller vite.
La vision des Nations Unies
Dans ce document, les Nations Unies définissent 17 objectifs pour garantir un développement durable de la planète
Pauvreté, faim, éducation, santé… je ne vais pas analyser chacun de ces 17 objectifs. Ils sont tous importants et personne ne peut être contre ces améliorations universelles.
Comment éviter qu’ils ne restent des vœux pieux ? Comment gérer les priorités et les incompatibilités potentielles ? Pour prendre un exemple : croissance économique et consommation responsable, en même temps, c’est tout sauf simple.
La démarche de la Commission Européenne
Cette démarche a été très influencée par Mariana Mazzucato, économiste italo-américaine qui enseigne en Grande-Bretagne. Elle a écrit’un livre passionnant, “Mission Economy”, qui plaide pour un rôle beaucoup plus actif des États dans le monde de l’économie. Je vous encourage à lire cet ouvrage, qui nous oblige à nous poser beaucoup de questions. Que, en dernière de couverture, le Pape François fasse l’éloge d’une économiste de gauche, c’est un signal fort.
Je ne sais pas si les équipes du Président Macron ont lu ce livre, mais l’expression “Quoi qu’il en coûte” (Page 181) est l’une des idées clefs qu’elle défend pour répondre aux grands défis de l’humanité !
Elle a participé activement à la définition des missions retenues par la Commission Européenne.
L’exemple phare utilisé par Mariana Mazzucato pour promouvoir sa démarche est celui de la mission Apollo aux États-Unis, pour amener des équipages humains sur la Lune. Il a fallu moins de 10 années au gouvernement américain pour réussir cet exploit, entre les années 1963 et 1972.
Elle explique très bien, dans un long chapitre, comment le gouvernement américain a pris le leadership de ce projet, a mis de côté ses méthodes traditionnelles de gestion pour aller beaucoup plus vite et assumer l’essentiel des risques de cette mission.
En décembre 2019, lors de la présentation de son plan d’action, la Présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, a clairement référencé le projet Apollo en disant :
“This is Europe's man in the moon moment”.
Ce “Green Deal” a pour objectif de rendre l’Europe totalement neutre carbone en 2050, dans moins de 30 années.
Ce plan d’action européen a choisi cinq secteurs prioritaires d’action, ce qui me paraît un nombre raisonnable :
● Lutter contre les changements climatiques.
● L’eau, dans toutes ses dimensions, océans, mers, terrestres…
● Des villes neutres climatiques et intelligentes.
● La lutte contre le cancer.
● La santé des sols et les aliments.
Chacun de ces grands projets a été décomposé en missions principales, qui sont à leur tour découpées en plans d’action. À titre d’illustration, ce schéma illustre ce que propose l’Union Européenne pour le grand projet “Océan propre” et la mission "Océan sans plastiques”.
Cette démarche, raisonnablement pragmatique, pourrait permettre de mettre en œuvre rapidement des actions concrètes.
C’est à ce niveau que l’on peut déterminer, cas par cas, comment le numérique peut apporter sa contribution à chaque projet.
Je n’ai pas regardé en détail tous ces projets, mais je suis persuadé qu’il y a plusieurs centaines de solutions numériques innovantes qui peuvent s’y rattacher.
Les recommandations de Bill Gates
Le récent livre de Bill Gates, “How to Avoid a Climate Disaster” propose des pistes d’action très pertinentes et j’encourage tout le monde à le lire. Il est bien écrit, facile à lire et très factuel, ce qui est important en ce moment.
Dans le sous-titre de ce livre, on peut lire : “ The solutions we have and the breakthroughs we need”. En clair, les solutions dont nous disposons aujourd’hui ne sont pas suffisantes pour répondre aux défis climatiques que doit affronter l’humanité. Ceci représente une excellente opportunité pour l’Europe : trouver les réponses de rupture que Bill Gates appelle de ses vœux.
Bill Gates part d’une hypothèse simple : il est indispensable de réduire les excès actuels d’émissions de gaz à effet de serre de 51 milliards de tonnes par an à zéro.
Ses analyses l'ont conduit à segmenter ces 51 milliards de tonnes en cinq grandes activités:
● Fabriquer (ciment, acier, plastique...).
● Se connecter (électricité).
● Agriculture (plantes, animaux).
● Se déplacer (avions, camions, navires marchands...).
● Rester au chaud ou au frais (chauffage, rafraîchir, climatisation...).
Dans le tableau ci-dessous, j’ai repris ses chiffres en ajoutant aux pourcentages les valeurs absolues.
Je trouve cette classification très efficace ; elle permet de comprendre immédiatement où sont les grands gisements de progrès.
Green Premium
Bill Gates propose aussi de mesurer, pour toutes les activités, ce qu’il nomme le “Green Premium”, le surcoût qu’il faut payer pour remplacer une ressource carbonée par une qui ne l’est pas. C’est à mon avis un excellent outil de mesure, même s’il n’est pas toujours facile de le calculer.
Je vais prendre, à titre d’exemple les calculs de “Green Premium” pour les trois produits essentiels analysés dans le chapitre “fabriquer” :
● Plastique (Éthylène) : Green Premium compris entre 9% et 15%.
● Acier : Green Premium compris entre 16% et 29%.
● Ciment : Green Premium compris entre 75% et 140%. Par sa nature même, le ciment est l'un des matériaux les plus difficiles à fabriquer sans émettre beaucoup de CO2.
Les innovations, et les innovations numériques en priorité seront indispensables pour réduire ou éliminer les Green Premium. Plus ils sont élevés, plus les innovations seront nécessaires et rentables. Innover pour les activités avec des Green Premium élevés, c’est un bon critère pour établir des priorités d’action en Europe.
Un autre exemple est celui des viandes élaborées à partir de végétaux. Le Green Premium actuel de ces produits est de l’ordre de 80 à 90%. Il a beaucoup baissé au cours des 5 dernières années. De très nombreuses start-up travaillent sur ce thème. Remplacer tous les bovins par des végétaux pour produire de la “viande” est une piste très sérieuse.
L’autre option, encore expérimentale, est de créer directement de la viande à partir de cellules souches de viande. Le Green Premium de ces technologies est très élevé pour le moment, mais c’est aussi un domaine où de nombreuses innovations de rupture sont à l’étude.
Électricité décarbonée
C’est pour Bill Gates l’une des pistes les plus importantes et les plus urgentes.
En simplifiant à l'extrême son raisonnement :
● Pour les clients finaux, entreprises ou particuliers, la seule énergie à consommer est l’électricité.
● On peut d’ici à 2050 réussir à produire de l’électricité 100% décarbonée.
Sur ce dernier point, je vous conseille de consulter l’étude publiée en décembre 2020 par l’Université de Princeton, et ses… 345 pages. Cela fait beaucoup de bien de lire une véritable étude scientifique sur un sujet complexe, avec des tonnes de données et de graphiques, loin des discours extrémistes et non argumentés de trop de responsables politiques.
Cette étude ne concerne que les États-Unis, mais les mêmes démarches peuvent être appliquées dans tous les continents, et en particulier en Europe.
J’en ai extrait ce graphique qui montre comment les sources d’énergie pour créer de l’électricité doivent évoluer aux États-Unis pour, en même temps :
● Doubler leur consommation d’électricité d’ici à 2050.
● Obtenir que cette production d'électricité soit décarbonée à 100%.
L’Europe est beaucoup plus avancée que les États-Unis sur ce sujet de l’électricité propre, et la France en particulier avec le nucléaire, seule énergie décarbonée disponible en permanence, qu’il vente ou pas, qu’il y ait du soleil ou pas.
Une approche croisée : Commission Européenne + Bill Gates
Les propositions de la Commission Européenne sont intéressantes, la vision de Bill Gates aussi.
Il m’est venu l’idée de combiner les deux pour obtenir le tableau ci-dessous.
On obtient ainsi 25 cases correspondant à des actions possibles.
J’ai mis quelques étoiles où les correspondances sont évidentes. Il doit être possible d’imaginer des usages numériques innovants pour les 25 cases.
En résumé
Ce ne sont pas les domaines d’actions qui manquent pour lesquels il faut trouver des innovations fortes si l’on souhaite réduire les gaz à effet de serre avant l’année 2050. Il faudra choisir ses priorités avec soin.
Une fois de plus, Bill Gates fait une proposition pragmatique que je trouve pertinente : un projet qui n’a pas le potentiel de réduire d’au moins 1 milliard de tonnes les émissions de CO2 ne doit pas être prioritaire.
À nous de passer à l’action, en Europe, pour prendre la tête de ce mouvement.
S’appuyer sur les compétences numériques en Europe
Dans la première partie de ce billet, j’ai fait référence à l’étude Oliver Wyman qui montre que le seul domaine dans lequel l’Europe n’est pas totalement dépassée par les États-Unis ou la Chine est celui des talents humains.
Il ne faut pas gaspiller la dernière cartouche qui nous reste !
Les atouts de l’Europe dans le domaine humain :
● Les volontés fortes des Européens de se mettre au service de la planète.
● Des formations scientifiques de haut niveau.
● Des compétences remarquables dans les sciences du numérique, et du logiciel en priorité.
● De nombreuses start-up numériques du logiciel qui sont nées au cours des 20 dernières années.
J’ai publié en 2020 un billet optimiste sur la qualité des solutions numériques disponibles en Europe.
En Europe, nous pouvons agir dans les deux dimensions que j’ai présentées dans ce billet :
● Frugalité Numérique.
● Innovations numériques au service de la planète.
Comment agir au mieux, rapidement, dans ces deux dimensions ?
Frugalité Numérique européenne
Je propose un plan d’action simple, concret, en deux étapes.
1 - Créer un référentiel permettant aux entreprises de mesurer leur Frugalité Numérique
C’est une première étape indispensable : fournir un référentiel sérieux, scientifique, permettant de mesurer la Frugalité Numérique dans les sept dimensions que j’ai proposées.
Il faudra faire un tri sévère dans l’arsenal des informations disponibles et des méthodes de mesure existantes pour arriver à un consensus fort sur ce sujet. Comme je l’ai indiqué au début de ce billet, le nombre d’informations fausses qui circulent sur ce sujet est très élevé, et l’Europe a besoin d’un référentiel basé sur des données fiables.
En étant réaliste, j’estime qu’il faudra environ 18 mois pour publier une première version de ce document de référence. L’objectif est de le diffuser avant la fin de l’année 2022.
2 - Utiliser ce référentiel pour récompenser les meilleures entreprises
On pourra ensuite organiser à partir de 2023 un concours annuel récompensant les 100 meilleures organisations européennes en matière de Frugalité Numérique.
J’imagine plusieurs catégories : grandes entreprises, secteur public, PME…
On peut récompenser celles qui ont obtenu les meilleures performances, mais aussi celles qui ont réalisé les progrès les plus rapides.
Si cette double action est un succès, on peut envisager de rendre obligatoire, à partir de 2025, un bilan Frugalité Numérique pour toutes les grandes organisations européennes, publiques et privées.
Innovations numériques européennes au service de la planète
Dans son livre que j’ai cité, Mariana Mazzucato considère que l’un des dysfonctionnements actuels les plus graves de l’économie vient du fait que les États ne profitent pas des investissements qu’ils font dans les secteurs de pointe : “Les risques pour les États, les bénéfices pour les entreprises privées”. L’un des exemples emblématiques cité est celui de Tesla aux États-Unis : Le DoE, Département de l’Énergie a fourni un prêt garanti de 465 M$ mais ne gardait ses 3 millions d’actions que si le prêt n’était pas remboursé. Quand on sait que le cours de l’action de Tesla a depuis été multiplié par 10, on ne peut pas dire que l'État ait fait une excellente affaire ! Au cours actuel, ces 3 M d’actions valent plus de 2 milliards de dollars.
Je trouve donc très pertinente la proposition faite fin mars 2021 par 35 licornes européennes.
Elles demandent à la Commission Européenne la création d’un fonds d’investissement souverain européen doté de 100 milliards d’euros de capital pour éviter que les entreprises innovantes qui naissent en Europe ne soient rapidement rachetées par des acteurs venant des États-Unis ou de Chine. On parle bien d’investissements dans les entreprises innovantes, pas de prêt. La dimension “économie verte” est très présente dans cette proposition.
Dans quels secteurs du numérique investir en Europe
C’est la question essentielle : l’Europe a les talents numériques ; comment les utiliser au mieux.
Ma position sur ce thème est très claire, depuis plusieurs années. Il faut privilégier les usages numériques innovants. Oui, cela veut dire abandonner des secteurs clefs comme les infrastructures IaaS ou les outils de base de l’Intelligence Artificielle pour lesquels les retards pris sont tels qu’il n’est plus possible pour l’Europe de revenir dans la compétition mondiale.
C’est en conjuguant les talents européens et les infrastructures américaines que l’Europe pourra construire des usages numériques compétitifs au niveau mondial.
Ce schéma simple, simpliste diront certains, résume ma position.
Cette position, positive, pragmatique, tournée vers l’avenir est, sera fortement contestée par une grande partie de la classe politique et des professionnels du numérique en Europe et en France.
Un article, publié le 3 avril 2021 dans le journal “Le Parisien” illustre très bien cet obscurantisme numérique nationaliste. Une professeure d’université en sciences de gestion, Johanna Habib, s’en prend à Doctolib, éditeur d’une solution SaaS bien connue qui facilite la prise de rendez-vous médicaux. Elle a un double défaut, je cite :
● “C’est un outil qui a su devenir incontournable, pour les patients comme pour les professionnels de santé.” Quel scandale ! Une application numérique qui a réussi à s’imposer toute seule, grâce à ses qualités et son ergonomie.
● “Avec Doctolib, on a un vrai problème de souveraineté…”. Faux ! Comme le montre ce graphique, l’immense majorité des investisseurs dans Doctolib sont français.
● Autre scandale : L’application Doctolib est hébergée par AWS, Amazon Web Services, dans ses serveurs… européens. L’héberger chez OVH à Strasbourg, cela aurait été une bien meilleure idée...
Ce dont l’Europe a besoin, et très vite, c’est de dizaines et de dizaines d’éditeurs SaaS à succès comme Doctolib, pas de discours négatifs de personnes dont les compétences en numérique sont proches du zéro absolu.
Se pose alors une deuxième question : dans quels domaines d’usages numériques l’Europe doit-elle investir en priorité ?
Je propose de repartir du tableau que j’ai construit, qui croise les visions de la Commission Européenne et de Bill Gates, avec ces 25 cases.
Avec le fonds d’investissement souverain de 100 milliards d’euros, l’Europe peut investir dans 3 à 10 projets numériques innovants dans chaque case. On parle bien d’investissement, pas de financement.
Je suis persuadé que nous avons suffisamment de talents numériques et d’entrepreneurs pour qu’une centaine de projets numériques ambitieux correspondant à ces 25 cases soit proposée au fonds d’investissement souverain dans les 2 à 3 années qui viennent.
La démarche que je propose a de nombreux avantages :
● Elle mobilisera beaucoup de talents numériques européens prêts à s’investir pour la planète.
● Sur les 100 projets financés, une petite moitié pourrait donner naissance à des licornes européennes.
● Ces solutions numériques européennes au service de la planète pourront être déployées dans le monde entier.
● L’Europe devrait rentabiliser son investissement de 100 milliards d’euros. C’est tout sauf un crime que d’être capable de gagner de l’argent pour une bonne cause.
Résumé
L’Europe n’a pas perdu toutes les batailles du numérique. Il lui reste quelques cartes importantes à jouer, dans le domaine des usages.
Le temps est compté. Il faut agir vite, très vite en faisant preuve d’agilité, en prenant des décisions rapides et en assumant des risques d’échecs importants.
Mettre les talents européens au travail pour construire des solutions numériques qui aideront le monde entier à répondre aux défis du changement climatique qui nous menace, difficile d’imaginer un projet plus enthousiasmant pour motiver la majorité des citoyens européens.