Quatre risques numériques majeurs pour notre planète : 2022 - 2030+ (Première partie)
Quatre risques numériques majeurs pour notre planète : 2022 - 2030+ (Troisième partie)

Quatre risques numériques majeurs pour notre planète : 2022 - 2030+ (Deuxième partie)

Dans la première partie de cette analyse, j’ai présenté le danger numérique le plus immédiat, les cyberattaques sur les infrastructures physiques de transport.

 

Horizon 2025 : guerre dans le détroit de Taiwan

Taiwan China missileMoins de 200 km séparent la Chine continentale de l'île de Taiwan.

Comme le montre cette carte publiée par la revue “The Economist”, Taiwan peut être atteint par tous les missiles chinois y compris ceux de courte portée et ceux envoyés depuis des navires de guerre.

Pour le peuple et le gouvernement chinois, et depuis toujours, Taiwan est partie intégrante de la Chine. Cette “réunification” est l’une des priorités du gouvernement actuel. Cela ne fait que 70 ans que Taiwan est politiquement séparé de la Chine continentale, une période très courte pour les Chinois qui ont une vision long terme du monde.

Dans un entretien récent avec CNN, fin octobre 2021, la Présidente de Taiwan confirme que les tensions sont au plus haut et que des troupes américaines sont sur place pour "entraîner" l’armée locale.

Taiwan Président on tensions with mainland China

Population China India US 2020Les différences de taille entre la Chine continentale et Taiwan sont énormes :

● Surface des pays : 9 600 000 km2 pour la Chine, 36 000 km2 pour Taiwan, un rapport de 1 à 267.

● Population : 1 400 M pour la Chine, 23 M pour Taiwan, un rapport de 1 à 61.

On retrouve ce même déséquilibre dans les forces militaires en présence, comme le montre ce tableau.

MIlitary imbalance Taiwan China

Ces chiffres sur la surface, la population et l’armement sont éloquents : l’issue d’un éventuel conflit militaire entre les deux pays ne ferait pas de doute.

La reprise en main de Hong Kong par le gouvernement central a montré que l’autonomie des territoires “déviants” se réduit très vite.

Une prise de contrôle de Taiwan par la Chine continentale se traduirait aussi par une perte quasi totale d’indépendance politique et économique pour Taiwan.

En quoi ce conflit représente-t-il un risque majeur pour l’industrie mondiale du numérique ?

TSMC Logo reliefJ’ai écrit l’année dernière un long billet sur mon blog pour parler de TSMC, Taiwan Semiconductor Manufacturing Company.

Je ne vais pas reprendre ici une analyse complète de l’industrie mondiale des microprocesseurs. Disons simplement que TSMC est l’une des entreprises les plus importantes de ce secteur.

Quelles seraient les conséquences d’une mainmise de la Chine continentale sur les activités de TSMC ? Il est essentiel pour toute l’industrie mondiale du numérique d’anticiper cette situation, et en particulier en Europe.

Semiconductors share by countries & companiesCe graphique donne la répartition des microprocesseurs par pays et fournisseurs en 2020.

TSMC est une entreprise basée à Taiwan, mais qui a déjà quelques unités de production en dehors de son pays d’origine, en particulier aux États-Unis et au Canada. En 2021, l’essentiel de la production reste concentré sur l'île de Taiwan.

La pénurie mondiale de microprocesseurs a déjà des impacts majeurs dans de nombreuses industries telles que l’automobile alors que TSMC fait tourner ses usines au maximum de leurs capacités. Cette pénurie devrait durer au moins jusqu’à la fin de l’année 2022, malgré les investissements massifs de TSMC, de plus de 100 milliards de dollars sur 3 ans.

Une fermeture éventuelle du robinet “microprocesseurs” TSMC par la Chine continentale aurait plus d’impacts sur l’économie mondiale que la crise pétrolière de 1973.

Les États-Unis ont signé en 2020 un accord important avec TSMC pour la construction d’une usine moderne, en 5 nm, dans l’Arizona. Cela représente un investissement de 12 milliards de dollars et il faudra attendre 2024 pour que cette unité de production soit opérationnelle.

Cette usine sera de taille “moyenne”, capable de produire 20 000 galettes (wafers) par mois quand les plus grandes unités sont capables d’en sortir 100 000 par mois.

Quatre chiffres résument ce projet américain de TSMC :

● Production en 5 nm. À partir de 2022, TSMC aura des usines en 3 nm à Taiwan.

● Durée de construction : 4 années.

● Investissement : 12 milliards de dollars.

● Capacité : 20 000 wafers par mois.

Que peuvent faire l’Europe et la France pour anticiper la prise de contrôle de Taiwan par la Chine continentale ?

Dans le plan d’investissement de 30 milliards France 2030 annoncé par le Président Emmanuel Macron, il y a un paragraphe consacré aux composants électroniques dont j’ai extrait ces quelques lignes, et c’est déjà un point positif.

Macron France 2030 composants

Je suis convaincu qu’il est urgent de renforcer le plus vite possible les capacités de production de microprocesseurs sur le sol européen. Sur ce diagnostic, je n’aurai aucun mal à avoir un consensus de la grande majorité des décideurs économiques et politiques en Europe.

Par contre, sur les modalités pratiques que je vais proposer, j’anticipe beaucoup de réticences et d’opinions divergentes.

J’ai une réponse à cette question : l’Europe doit imiter la démarche de la Chine au début de son développement économique à la fin du siècle dernier :

● Je constate un très grand déficit de compétences.

● J’accepte cette réalité, désagréable, et je ne fais pas l’autruche pour nier ce retard.

● Je demande aux leaders étrangers de venir s’installer sur mon territoire.

● J’organise un transfert progressif de compétences.

● C’est au seul niveau de l’Europe que tout doit se faire. La France, l’Allemagne ou tout autre pays européen qui tenterait de mener seul ce combat a une probabilité d’échec facile à estimer : 100%.

Ce graphique, publié par la Banque Mondiale, montre l’évolution des investissements étrangers en Chine entre 1979 et 2020. L’accroissement est spectaculaire pendant les années 1990, jusqu’à atteindre 6% du PNB de la Chine.

Investissements étranger en Chine 1979 - 2020

 

Garantir la sécurité des approvisionnements en microprocesseurs en Europe, mode d’emploi.

On l’a vu plus haut, il y a deux leaders mondiaux dans la fabrication des microprocesseurs, TSMC à Taiwan et Samsung en Corée du Sud.

Le plan d’action et le calendrier que je propose prennent en compte l’urgence du problème et le fait que, même en allant le plus vite possible, l’Europe n’est pas certaine d’éviter une crise majeure dans les 5 années qui viennent.

1 Décision de collaborer avec TSMC et Samsung.

En janvier 2022, la décision est prise de collaborer immédiatement avec TSMC et Samsung.

Pourquoi les deux quand la Corée du Sud ne fait pas l’objet de menaces similaires à celles que fait peser sur Taiwan la Chine continentale ?

Il y a une double raison à cette proposition :

● La croissance de la demande de microprocesseurs va s’accélérer et le risque de surproduction est faible comparé à celui de la pénurie.

● Avoir deux acteurs puissants en Europe réduit, un peu, les risques de dépendance.

2 Définition claire des objectifs de cette collaboration

L’Europe demande officiellement à TSMC et Samsung d’installer chacun en Europe une unité de production de microprocesseurs avec les niveaux technologiques les plus élevés possibles.

TSMC factoryL’exemple de l’usine TSMC aux États-Unis peut servir de point de départ, mais l’Europe doit être encore plus ambitieuse.

Chacune des deux usines construites en Europe, l'une par TSMC, l’autre par Samsung aura les caractéristiques minimales suivantes :

● Production en 5 nm et 3 nm.

● Capacité minimale : 100 000 wafers par mois.

● Durée de construction : 5 années, avec une première tranche disponible en 3 années.

● Investissements : 50 milliards de dollars.

 

Probabilité de réussite de ce projet ambitieux et réaliste : inférieur à 5%

Je ne fais pas beaucoup d’illusions sur les chances de succès de ma proposition, mais comme le dit un proverbe espagnol : “El no, ya lo tengo” (la réponse non, je l’ai déjà).

Pourquoi mes propositions ont-elles aussi peu de probabilité de succès ?
● Décider vite, l’Europe a beaucoup de mal à le faire. Il suffit d’écouter Elon Musk se plaindre des lenteurs de l’administration allemande qui ont beaucoup ralenti la mise en route de sa “gigafactory” de batteries, proche de Berlin.

Tesla GigaFactory Berlin October 2021

● Où seront installées ces deux usines ? Prévoir au moins 3 ans de débats et de conflits entre tous les pays qui voudraient accueillir ces investissements de 100 milliards.

● Levées de boucliers nationalistes : on va ouvrir l’Europe à nos grands concurrents et abandonner notre souveraineté dans le domaine des microprocesseurs. Comme si cette indépendance existait aujourd’hui !

● Des politiques vont pousser l’idée que l’Europe doit faire naître en son sein des sociétés concurrentes de TSMC et Samsung. Nous n’en avons ni les compétences, ni le temps, ni les ressources financières. Il ne faut pas recommencer dans le domaine des microprocesseurs les erreurs qui ont été commises dans celui des infrastructures Cloud Public.

AdS DPC downward spiral S 467051230Dans le domaine des microprocesseurs, l'Europe peut encore enclencher une spirale infernale de l’échec en mettant en avant des idées théoriques d’indépendance et en oubliant les réalités économiques de ce secteur essentiel. Est-ce qu’il est plus intelligent d’importer des puces électroniques fabriquées en Asie ou de demander à des entreprises asiatiques de les fabriquer en Europe ? C’est la seule question pratique qu’il faudrait avoir le courage de se poser.

Mes propositions seraient une excellente nouvelle pour les quelques entreprises européennes existantes qui ont encore des compétences dans le domaine des microprocesseurs.

Je pense en particulier à :

● ASML, la société des Pays-Bas, leader mondial dans la gravure des circuits électroniques.

● STMicroelectronics et SOITEC, en France. Ces deux entreprises de la région de Grenoble ont des positions fortes de niveau mondial sur des créneaux précis.

 

Quel calendrier pour cette perte d’indépendance de Taiwan

Je ne suis pas un devin et n’ai pas une boule de cristal qui me donne des réponses claires à cette question.

Connaissant la volonté de la Chine continentale de récupérer Taiwan, la seule question qui reste posée est : quand ?

China Xi JinpingLe Président de la Chine continentale, Xi Jinping, va recevoir les pleins pouvoirs jusqu’en 2027 et pourrait même rester plus longtemps, avec en ligne de mire le centenaire de la naissance de la révolution, en 2049. Ceci lui permettra de mener une véritable politique à long terme comme les aiment les dirigeants chinois.

Que se passera-t-il si un processus d’annexion de Taiwan est lancé ?

● L’Europe resterait un spectateur sans pouvoir réel face à un éventuel conflit dans cette zone.

● Est-ce que les États-Unis seraient prêts à déclencher une troisième guerre mondiale pour sauver Taiwan ?

US election 2024Quel pourrait être le bon moment pour la Chine si elle souhaite mener une guerre éclair contre Taiwan ? Les prochaines élections présidentielles américaines sont prévues le 5 novembre 2024. Une invasion de Taiwan en septembre ou octobre 2024 poserait des problèmes “délicats” de décision au Président Biden, à quelques semaines de cette élection. Le déséquilibre des forces militaires en présence pourrait amener à une prise de contrôle rapide, avant la fin de l’année 2024 ou avant le 20 janvier 2025, date de prise de ses fonctions par le nouveau Président des États-Unis.

Je ne souhaite pas que Taiwan soit annexée, et la majorité des Européens partagent cette position. Ce n’est pas pour cela qu’il faut ignorer cette menace forte sur nos approvisionnements en circuits électroniques.

Il reste peu de temps à l’Europe pour passer à l’action et mettre en œuvre le plan que je propose, qui ne donnera pas de résultats avant 2025, au plus tôt.

En résumé : si l’Europe n’a pas pris, avant la fin de l’année 2022, la décision de construire sur son territoire des usines TSMC et Samsung, comme je le propose… il sera trop tard et nous aurons perdu une guerre numérique de plus.

Dans la troisième partie, je parle des défis liés à la croissance exponentielle des performances des outils numériques.

Mise à jour du 26 novembre 2021

L'histoire s'accélère et met en évidence l'urgence de ce problème:

1 - Les Etats-Unis signent un accord avec Samsung pour l'installation au Texas d'une nouvelle unité de production de microprocesseurs, pour un investissement de 17 milliards de dollars.

2 - Le Japon décide de financer 50% des investissements qui seront réalisés sur son territoire dans le domaine des usines de microprocesseurs.

Deux des plus grandes puissances économiques mondiales prennent des décisions pragmatiques : nous avons besoin des compétences de Taiwan et de la Corée du Sud pour réduire les risques de pénuries de microprocesseurs, on les invite sur nos territoires.

L'Europe ne peut pas être absente de ce mouvement mondial, se serait suicidaire.

 

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