Plateforme de Gouvernement Numérique de la République de Corée: un modèle pour la France?
16/01/2023
Dans quelques jours, le Président de la République de Corée, Yoon Suk Yeol, présentera à la conférence Davos 2023 la Plateforme de Gouvernement Numérique de son pays, DPG en anglais: Digital Platform Government.
La coïncidence des dates est intéressante:
- Le 19 janvier 2023, le Président de la République de Corée présente une vision à long terme de changements très ambitieux pour l’ensemble du gouvernement de son pays.
- Le 19 janvier 2023, beaucoup de Français vont manifester, un petit nombre va mettre le pays à l’arrêt, pour protester contre une réformette qui est tout sauf ambitieuse.
Cette situation aura au moins un avantage: vous serez nombreux, bloqués chez vous, à pouvoir suivre la conférence du Président Yoon Suk Yeol, entre 11h30 et 12h.
De nombreuses sessions sont consacrées au numérique pendant ce forum de Davos, qui se déroule du lundi 16 au vendredi 20 janvier 2023. Beaucoup de sessions sont accessibles gratuitement en visioconférence.
DPG, Digital Platform Government de Corée du Sud
Je vous encourage à lire ce document dans son intégralité.
J’en ai extrait les points qui m’ont paru les plus importants.
L’objectif de la DPG est clair:
“Les citoyens, les entreprises et le gouvernement travaillent de manière collaborative en s’appuyant sur une plateforme où toutes les données sont connectées”.
L’ordre dans lequel ces trois parties prenantes sont citées est tout sauf anodin:
- Les citoyens, en premier lieu.
- Les entreprises.
- Le gouvernement, en dernier.
Venant du chef de l’État, c’est un message fort: le gouvernement est au service de ses citoyens et entreprises, et pas l’inverse.
Élaboration de la DPG
On est très loin des études complexes, qui n’en finissent jamais.
La DPG a été élaborée par une petite équipe de 23 personnes, dont 19 experts n'appartenant pas au gouvernement. Accepter que les compétences et la connaissance des potentiels du numérique ne soient pas à l’intérieur du gouvernement, c’est une preuve de modestie que l’on aimerait bien retrouver dans d’autres pays, en particulier en Europe…
Tout est réalisé en 6 mois, entre septembre 2022 et mars 2023.
C’est la démarche commando que je recommande depuis longtemps.
Quatre mots clés: Cloud Public, Données, intelligence Artificielle, API
Ce schéma présente la cible à long terme de la DPG.
Il est très proche du modèle BISD que je pousse depuis 2019, et je ne vais pas m’en plaindre!
I : Infrastructures. Le gouvernement de Corée du Sud fait le choix de solutions Cloud Public, choix que je pousse depuis plus de dix ans! Nous sommes encore en France englués dans des combats d’arrière-garde sur le soi-disant manque de sécurité des Clouds Publics. Qui oserait dire que la Corée du Sud n’a pas de préoccupations de sécurité numérique au moins aussi importantes que la France, avec un voisin puissant et expansionniste, la Chine continentale? Je n’ai jamais entendu parler d’un “Cloud Souverain” en Corée du Sud!
D : Données. Les données sont au cœur de la démarche DPG. Je cite:
“To this end, the government will abolish regulations or systems that hinder and impede the opening and use of data, and facilitate high-quality data through data standardization…”
“Pour cet objectif, le gouvernement abolira les règlements et les systèmes qui entravent ou empêchent l’ouverture et l’usage des données et facilitera la création de données de grande qualité par la standardisation…”
IA: Intelligence Artificielle. La DPG emploie l’expression “Hyper-scale AI” pour insister sur le rôle essentiel que doit jouer l’IA dans cette plateforme.
Petit rappel: il est impossible de déployer des solutions d’IA performantes sans s’appuyer sur des infrastructures Cloud Public. Tant que ce blocage absurde, anti Cloud Public, ne sera pas levé en France et en Europe, le gouvernement ne pourra pas s’appuyer sur l’IA pour améliorer les services proposés aux citoyens et aux entreprises.
API. S’appuyer sur des API, Application Programming Interfaces, permet de créer les indépendances indispensables entre les différentes applications, les données et les infrastructures.
Tout ceci se fera sans oublier les dimensions sécurité et confiance numérique.
Je cite, une nouvelle fois:
“...the government plans to build a reliable information security environment so that all citizens can trust the Digital Platform Government..”
“Le gouvernement prévoit de créer un environnement numérique fiable et sécurisé permettant à tous les citoyens d’avoir confiance dans la DPG.”.
Oui, il est possible de construire des solutions numériques innovantes sur des infrastructures Cloud Public, avec des données accessibles au plus grand nombre, sans sacrifier la sécurité et la confidentialité des données. Encore faut-il avoir le courage d’entreprendre cette démarche…
Liens entre la DPG et l’économie numérique de la Corée du Sud
C’est un autre enseignement passionnant de ce document DPG.
Le gouvernement souhaite mettre la DPG au service de l’économie numérique du pays.
La DPG devient un moyen pour les startups du pays de croître en ayant comme client majeur le gouvernement.
“The Digital Platform Government will serve as a test-bed for many startups to plan and demonstrate new services. Creative ideas from the private sector will become a reality, and competent startups will flock together to create an ecosystem on the Digital Platform Government.”
Vous avez une vision moderne, pragmatique et ambitieuse de ce que peut devenir le numérique au service d’un pays, de ses citoyens, de ses entreprises et de son écosystème de startups.
Vous avez clairement séparé:
- La vision forte, à 20 ans, de cette DPG.
- La mise en œuvre opérationnelle de cette DPG, à court et moyen terme. Les premiers éléments en seront dévoilés en mars 2023.
J’ai hâte de vous entendre à Davos le 19 janvier 2023!
La DPG, un modèle pour la France?
J’ai fait un rêve: et si la France suivait l’exemple de la Corée du Sud?
Objectivement, rationnellement, rien n’interdit à la France de suivre la voie tracée par la République de Corée et de créer sa Plateforme de Gouvernement Numérique (PGN), selon les mêmes principes que la DPG.
Dans un billet récent, j’ai publié les “Vœux du Président de la République Française” pour que la France et l’Europe restent des acteurs raisonnables de l’industrie numérique mondiale en 2030.
Ces vœux peuvent devenir la vision 2030 du numérique en France.
Ce que je propose aujourd’hui, c’est que, avec la PGN, le Gouvernement Français:
- Prenne une position offensive dans le numérique.
- Devienne un acteur majeur de l’innovation, une force de proposition.
- Mette en œuvre des démarches innovantes dans tous les domaines, des infrastructures, des données et des usages.
- Se transforme en catalyseur de la Transformation Numérique dans tout le pays, pour ses entreprises et ses citoyens.
Les complémentarités entre la Vision 2030 et la PGN sont très fortes:
- La PGN suit les recommandations de la Vision 2030, et en démontre la pertinence et l’applicabilité.
- Le gouvernement montre la voie aux citoyens et aux entreprises en créant des solutions numériques innovantes à leur service.
- Les investissements induits par la PGN profitent aux startups françaises du numérique, en particulier en SaaS, en créant des cas d’usages dans le secteur public qu’elles pourront ensuite commercialiser dans d’autres gouvernements.
Est-ce que la France peut, elle aussi, lancer une PGN, Plateforme de Gouvernement Numérique, ambitieuse? La réponse est oui, si la volonté et surtout le courage politique sont au rendez-vous.
En suivant la méthode commando utilisée par la République de Corée, la PGN peut être construite avant la fin de l’année 2023.
Je suis volontaire pour participer comme expert à ce groupe de travail commando!
Je ne suis pas le seul: le Gouvernement Français n’aura aucun mal à recruter la petite vingtaine de professionnels du numérique qui seront prêts à mettre toutes leurs compétences au service d’un aussi beau projet.
Résumé
Le gouvernement de la République de Corée montre, avec sa DPG, que l’État peut devenir un acteur majeur et essentiel de l’innovation numérique dans un pays.
C’est un signal fort envoyé à tous les autres pays du monde.
Début 2023, la situation du numérique dans les organisations publiques françaises est loin d’être satisfaisante, et dans toutes les dimensions, techniques, humaines, financières et organisationnelles.
Définir avec la PGN un point d’arrivée enthousiasmant dans les 20 ans qui viennent, c’est probablement la meilleure, la seule manière de créer un choc positif dans tout l’écosystème numérique du secteur public français.
En 2023, la maturité numérique de la République de Corée est supérieure à celle de la France: cela fait plus de 20 ans qu’ils travaillent pour l’améliorer.
En 2030:
- La maturité numérique du gouvernement de la République de Corée fera un bond spectaculaire, grâce à sa DGP, Digital Platform Government.
- La maturité numérique du gouvernement de la France peut elle aussi faire des progrès importants, si la PGN est mise en œuvre.
- La maturité numérique du gouvernement de la France restera très faible, en retard sur ses principaux concurrents économiques mondiaux, s’il n’y a pas un courage politique suffisant pour lancer une PGN ambitieuse.
Cette décision politique ne m’appartient pas.
Je suis prêt à mettre toute mon énergie et mes compétences numériques au service de mon pays si la décision de lancer une PGN ambitieuse est prise.
Je resterai impuissant, et catastrophé, si aucune décision forte n'est prise rapidement pour que la maturité numérique du gouvernement français ne stagne pas.