Quand un travailleur terrain donne des leçons de management aux dirigeants d'une entreprise du CAC 40
16/04/2023
Pendant cette fin de semaine, j’ai dévoré d’une seule traite un livre exceptionnel qui… ne parle pas de numérique!
Il s’agit de “L’ouvrier qui murmurait à l’oreille des cadres”, écrit par Jean-Michel Frixon
Je vous recommande chaudement de le lire. C’est un livre court, bien écrit et personne ne peut rester insensible aux messages humanistes qu’il véhicule.
C’est le deuxième livre écrit par Jean-Michel Frixon. Dans son premier ouvrage, “Michelin, Matricule F7246710”, il raconte ses 43 ans passés chez Michelin comme ouvrier.
Ce premier livre a eu des impacts surprenants, qu’il raconte dans le deuxième.
Je vais utiliser plusieurs citations tirées de ce livre pour illustrer les messages essentiels qu’il porte.
Ils sont rares, les livres écrits par un ouvrier et qui parlent d’une manière aussi brillante des graves erreurs de management trop souvent commises dans les entreprises.
J’y suis d’autant plus sensible que depuis plusieurs années, avec WizyVision, la solution SaaS/Cloud que nous avons développée, nous équipons en priorité les équipes terrain, les personnes dont parle Jean-Michel Frixon.
Nous rencontrons trop souvent des problèmes similaires à ceux évoqués dans ce livre.
Je n’ai pas souhaité faire un résumé de ce livre. J’ai fait le choix, personnel, de mettre en lumière les thèmes qui m’ont le plus marqués. Chacun d’entre vous, après l’avoir lu, pourra y trouver d’autres enseignements utiles.
Vous êtes dirigeant, cadre, confortablement installé dans votre bureau, ou en télétravail, à l’abri du bruit, de la chaleur ou du froid: lisez ce livre, tous!
Vous comprendrez la réalité de la vie de ces travailleurs terrain, que vous ne rencontrez jamais. Ce sont des hommes et des femmes de très grande valeur, pour qui la qualité du travail réalisé est essentielle, qui ne peuvent pas télétravailler et vous demandent simplement… d’aller à leur rencontre et de les respecter.
Le sujet du livre
Après le succès surprise de son premier livre, et une forte exposition médiatique, Jean-Michel Frixon a été contacté par les dirigeants de Michelin.
Je cite:
- P 79 - Demande faite par le Directeur industriel monde de Michelin, Jean-Christophe Guérin. Mr Frixon, accepteriez-vous de réaliser un tour de France des usines Michelin au début de l’année 2022, pour rencontrer les ouvriers dans les ateliers, mais aussi d’intervenir auprès des différents cadres, dans le but de témoigner votre vision du management…?
- P 64 - C’est un col bleu qui s’exprimera à des cols blancs!
- P 91 - Demande faite par Mr Florent Ménégaux, PDG de Michelin:… mais j’ai vraiment besoin de vous, de votre aide, et sincèrement je vous en remercie par avance…
Ce livre, c’est l’histoire extraordinaire de ce projet, des rencontres avec les dirigeants du COMEX de Michelin et de plusieurs de ses visites dans des usines du Groupe Michelin.
Managers, allez sur le terrain !
C’est un reproche unanime de l’auteur et des personnes qu’il a rencontrées: les cadres et les dirigeants ne vont jamais assez au contact du terrain.
Je cite:
- Page 75 - Je comprends aisément que vos emplois du temps ne vous laissent guère le loisir de vous rendre dans les ateliers. Cela dit, ne serait-ce que deux ou trois fois par an, il est nécessaire et indispensable d’aller sur le terrain. Ne déléguez surtout pas cette mission à un subalterne! Oui, il faut vous rendre physiquement dans les ateliers pour rencontrer les ouvriers… Une dernière chose, dans la mesure de vos possibilités, ne prévenez pas de votre venue!
- Page 107 - Un ouvrier: Nos hiérarchiques…? Bah, il faudrait qu’ils viennent un peu plus nous voir sur le terrain, pour se rendre compte de la charge de travail.
- Page 115 - Commentaire d’un directeur d’usine: nous n’avons pas su détecter cette évidence pourtant simple, de l’utilité de notre présence plus fréquente auprès d’eux.
La déconnexion entre le monde du terrain des bureaux, des cadres et dirigeants est généralisée. Elle est très mal vécue par les personnes sur le terrain.
C’est une démarche que je pratique depuis des années: à chacune de mes missions de transformation numérique, je passe plus de 70% de mon temps sur le terrain, pour rencontrer les personnes qui “font”.
Mon constat est le même: rien ne se passe sur le terrain comme l’imaginent les cols blancs de la DSI. Eux aussi, ils ne vont jamais assez sur le terrain; j’y reviendrai à la fin de ce texte.
Et le respect ?
Ce qui choque le plus les collaborateurs terrain, les ouvriers de Michelin, c’est le manque de considération de leurs activités par les responsables, qu’ils soient les chefs directs ou les dirigeants de haut niveau.
Je cite encore Jean-Michel Frixon:
- P56 - Je ne porte plus les regards lourds et trop souvent condescendants de certains cols blancs.
- P 60 - Jean-Christophe Guérin, directeur industriel monde, membre du COMEX… Son état de sidération à la découverte de comportements avilissants de certains managers rencontrés au cours de ma carrière.
- P 61 - Ma rage et ma colère étaient seulement à l’encontre de mon chef de service injurieux, insolent et irrespectueux.
- P 105 - Un ouvrier: je n’en dirais pas autant avec mon hiérarchique! D’ailleurs, si j’ai un souci dans mon travail, ce n’est pas la peine que j’aille le voir, il n’y connaît rien!
- P 128 - Là où les erreurs de management engendrent le plus souvent des blessures profondes et indélébiles…
- P 166 - Ma plus grande adversité fut bien celle d’affronter à longueur de temps, le manque de légitimité et de reconnaissance de la part de nombreux hiérarchiques, habillés des seuls vêtements de l’arrogance, de la suffisance et de l’incompétence.
Et il y a des dizaines d’autres citations du même type que j’aurais pu reprendre.
Et on ne parle pas des usines du XIXe siècle. Il s’agit d’une grande entreprise française, à la fin du XXe et au début du XXIe siècle.
Méconnaissance de la noblesse des métiers manuels, mépris pour les personnes qui les exercent, ces comportements sont encore beaucoup trop fréquents chez les chefs directs de ces collaborateurs terrain et les dirigeants des entreprises en France, et dans le monde entier.
Et ne me dites pas que cela ne se passe pas dans votre entreprise! L’une des leçons les plus claires que j’ai tirée de cette lecture c’est, pour beaucoup de dirigeants, la découverte de comportements dont ils n’avaient pas conscience, étant trop loin du terrain.
Comme on le verra dans le paragraphe suivant, ce sentiment était sincère, et la réaction des dirigeants de Michelin a été exemplaire et remarquable.
Dirigeants de Michelin, une réaction exceptionnelle
Bravo, les dirigeants de Michelin! Je suis très admiratif de la manière dont ils ont réagi, et rapidement, à la publication du premier livre de Jean-Michel Frixon.
Ils auraient pu ignorer ce message fort, mettre la poussière sous le tapis, attendre que la vaguelette d’indignation s’arrête. Au contraire, ils sont allés vers l’auteur, avec beaucoup de respect et de bienveillance.
Il y a trois moments forts dans ce livre qui montrent à quel point les dirigeants de Michelin ont pris conscience de l’importance du message porté par Jean-Michel Frixon:
- Le chapitre “Le tête-à-tête”, qui commence page 91. Il raconte en détail la rencontre de l’auteur avec Florent Ménégaux, le PDG de Michelin. Je l’ai lu avec beaucoup d’émotion. C’est tout sauf un “coup de communication”, comme vont l’interpréter, je le crains, trop de personnes qui refusent de croire qu’un dirigeant et un ouvrier puissent avoir un dialogue ouvert et guidé par un respect mutuel.
- Les chapitres “Un parterre de hauts cadres”, page 69 et “La parole d’un ouvrier”, page 73 qui racontent l’intervention de Jean-Michel Frixon devant tous les dirigeants industriels mondiaux du groupe Michelin. Ces pages montrent à quel point, dans des entreprises courageuses comme Michelin, un dialogue ouvert et porteur d’avenir peut s’ouvrir entre les dirigeants et un ouvrier.
- Et bien évidemment, tous les chapitres qui racontent ses visites dans cinq usines du groupe Michelin, pendant lesquelles il rencontre à chaque fois des ouvriers et des dirigeants de ces usines. Ce sont des moments forts, qui ne peuvent pas laisser insensible un lecteur, s’il a un minimum de sensibilité aux relations humaines dans les entreprises industrielles.
Vous qui lisez ce billet de blog et travaillez dans une grande entreprise qui emploie des travailleurs terrain: êtes-vous prêts à suivre la même démarche que Michelin?
Vous n’avez pas un Jean-Michel Frixon dans votre entreprise? Et si vous l’invitiez à parler devant votre COMEX, dans les semaines qui viennent?
Similarités avec le numérique au service des équipes terrain
Dans le livre que j’ai co-écrit en 2018 avec Dominique Mockly, PDG de Teréga, “Dirigeants, acteurs de la Transformation Numérique”, il y a, page 136, un schéma qui préconise de redonner le pouvoir au terrain, de privilégier une démarche “Bottom Up” plutôt que la démarche actuelle qui est très “Top Down”.
J’ai retrouvé dans le livre de Jean-Michel Frixon le même message:
Ce qui font “savent”.
L’expression “Cols blancs, cols bleus” est peut-être moins utilisée aujourd’hui, mais elle est omniprésente dans le livre de Jean-Michel Frixon. Mettre les cols blancs au service des cols bleus, inverser la pyramide du pouvoir dans les entreprises, c’est une priorité absolue.
On doit la retrouver dans le domaine de l'informatique et du numérique!
Les grands projets “Top Down”, les ERP intégrés, sont dans plus de 90% des cas rejetés par les acteurs opérationnels du terrain, et avec raison. Demander à un travailleur terrain de remplir un formulaire ou un écran SAP ou Oracle, il faut n’avoir jamais été sur le terrain pour penser que c’est une bonne idée!
J’ai réalisé il y a quelques années une mission pour un grand constructeur automobile français: il s’agissait de proposer une solution informatique pour des usines de taille moyenne à installer dans des pays à faible culture industrielle.
J’ai demandé à visiter une “petite” usine du groupe pour mieux comprendre quelles pouvaient être les attentes des utilisateurs. Les équipes informatiques à qui j’ai fait la demande m’ont demandé: pourquoi?
J’ai insisté et des personnes de la DSI ont accepté de m'accompagner pendant la visite de cette petite usine à l’ouest de la France.
Les trois principaux résultats de cette visite:
- Les équipes informatiques qui travaillaient sur ce projet n'avaient jamais mis les pieds dans une usine de leur entreprise. C’est moi qui les ai obligés à faire cette visite!
- Le directeur de l’usine nous a très bien reçus et nous a dit: merci d’être venu me voir, cela fait 15 ans que personne de la DSI n’est venu visiter mon usine.
- A la fin de la journée, les informaticiens qui m’avaient accompagné m’ont dit: “On a appris beaucoup de choses”!
Toutes ces expériences m’ont amené à créer il y a 4 ans WizyVision, la première solution numérique universelle au service des équipes terrain.
WizyVision a été construit pour répondre aux véritables attentes et contraintes des collaborateurs terrain.
Tout se fait depuis un smartphone, autour de la photo et de la voix, sans avoir besoin d’utiliser le clavier du smartphone.
A ma grande surprise, et j’en suis ravi, Jean-Michel Frixon a cité une situation dans laquelle WizyVision aurait été une excellente réponse.
Je cite:
P 106 - Dans un atelier logistique des transports.… se présente un routier de nationalité étrangère qui présente ses documents. Il ne parle pas la langue de Molière. L’ouvrier, lui, ne parle pas la langue de Shakespeare et demande l’aide de sa collègue.
Ce problème de la faible maîtrise de la langue est un sujet essentiel sur le terrain. WizyVision, en s’appuyant sur la photo et la voix, permet à toute personne illettrée ou qui ne maîtrise pas la lecture ou l’écriture d’utiliser des outils numériques.
Dans l’exemple cité, WizyVision qui embarque de l'Intelligence Artificielle aurait permis de lire tout le texte, quelle que soit la langue utilisée. Aussi dopées à l’IA, les fonctions voix vers texte et texte vers la voix auraient facilité des échanges entre ces deux personnes, sans risques d’erreur de compréhension.
Amis informaticiens, DSI et responsables du numérique, vous aussi, sortez de vos bureaux climatisés, allez dans les usines, sur les chantiers, dans les magasins, rencontrez des travailleurs terrain et accompagnez-les dans leurs activités quotidiennes.
Vous découvrirez, en quelques heures, quelques jours, quels sont les “irritants” quotidiens de leurs métiers, auxquels des solutions numériques simples comme WizyVision peuvent répondre en quelques heures sans avoir besoin de faire un schéma directeur à 5 ans ou de réfléchir pendant des mois à une “intégration” aux outils informatiques existants.
La bonne nouvelle pour vous rassurer: 100% des fonctionnalités de WizyVision sont ouvertes par API pour échanger, si et seulement si c’est nécessaire, avec les applications “Cols Blancs” existantes. Cela évitera de créer une “informatique fantôme” dont vous avez si peur.
Le CIGREF, Club Informatique des Grandes Entreprises Françaises, a pris il y a quelques semaines, l’excellente initiative de créer un groupe de travail sur le numérique au service des équipes terrain.
Je leur propose d’inviter Jean-Michel Frixon à plancher devant leur groupe de travail. Même si le numérique n’est pas son domaine de compétences dominant, je suis certain qu’il peut apporter beaucoup à ce groupe de travail.
Synthèse
Vous êtes dirigeant, responsable opérationnel dans une entreprise qui emploie des travailleurs terrain?
Faites un investissement “somptuaire”: achetez autant d’exemplaires du livre de Jean-Michel Frixon, à 15,50 €, que vous avez de membres du COMEX ou de responsables opérationnels, et demandez-leur à tous de le lire.
Vous ne le regretterez pas!
Je ne sais pas si Jean-Michel Frixon est prêt à refaire, en dehors de Michelin, le séminaire qu’il a animé pour le COMEX de cette entreprise.
Posez-lui la question. S’il répond oui, ce sera l’un des meilleurs investissements que vous pourrez faire pour améliorer le management de votre entreprise et favoriser des échanges plus fréquents entre le monde du bureau et celui des équipes terrain.
Sans collaborateurs terrain, votre entreprise n’existe pas.
Sans solutions numériques adaptées aux attentes de vos collaborateurs terrain, le système d’information de votre entreprise ne peut pas fonctionner efficacement.
Redonner le pouvoir, la priorité au terrain, doit devenir votre priorité en 2023.
Merci, merci, merci, Jean-Michel Frixon, pour cet ouvrage exceptionnel qui porte un message positif, d’espoir, dont on a vraiment besoin en France en ce moment.