Numérique et technologie, meilleures armes contre le réchauffement climatique?
15/02/2022
Et si le numérique et la technologie étaient les meilleures armes pour lutter contre le réchauffement climatique ?
C'est par ce thème essentiel que je termine ma série de quatre billets sur le numérique, ses dangers et ses potentiels.
Dans la première partie de cette analyse, j’ai présenté le danger numérique le plus immédiat, les cyberattaques sur les infrastructures physiques de transport. Début février 2022, des attaques sur des ports européens ont, hélas, confirmé mon pronostic.
Dans la deuxième partie, j’ai analysé quels pourraient être les impacts d’une guerre dans le détroit de Taiwan sur l’industrie des microprocesseurs.
Dans la troisième partie, j’ai abordé le thème des risques liés à la croissance exponentielle des potentiels des technologies numériques.
Cette quatrième partie analyse le grand défi mondial de la maîtrise du réchauffement climatique et des rôles, positifs, que peuvent y jouer le numérique et la technologie.
Il est impossible de parler du réchauffement climatique en se focalisant uniquement sur le numérique et la technologie.
J’ai organisé ce billet en quatre parties :
● Quels défis à l’horizon 2030.
● Quels acteurs pour lutter contre le réchauffement climatique.
● Un acteur clef : les organismes financiers.
● Un acteur clef : numérique et technologies.
J'ai écrit un texte très long, avec beaucoup de références, de graphiques et de liens, pour vous donner la possibilité d'étudier en profondeur ce sujet majeur, qui nous concerne tous. J'espère que ce gros effort vous sera utile et vous aidera dans vos réflexions sur ce thème.
N'hésitez pas à partager largement autour de vous ce billet, si vous pensez qu'il peut aider d'autres personnes à avoir une vision complète et positive des actions a mener pour sauver la planète avant 2030.
1 - Horizon 2030+ : réchauffement climatique hors de contrôle
Dans la lutte contre le réchauffement climatique, le numérique n’est pas l’alpha et l'oméga des réponses, loin de là.
Commençons par les mauvaises nouvelles : le World Economic Forum a publié en janvier 2022 son rapport sur les risques globaux pour 2022.
À la question : quelle est votre position sur l’avenir du monde, 16% seulement des répondants ont une vision positive ou optimiste.
Je fais partie des personnes qui sont convaincues que le réchauffement climatique est un danger mortel pour la planète. Cette conviction s'est construite petit à petit, par l’étude de nombreux documents, une analyse scientifique et rationnelle des chiffres qui montrent les évolutions de ces dernières décennies.
Le club de ceux qui nient les impacts de l’homme sur le climat, des personnes qui croient que la terre est plate, des antivax, des chantres de la décroissance… je n’en fais pas partie.
J’ai écrit en 2021 deux billets sur les différents scénarios possibles pour affronter cette crise :
● Quel avenir pour la planète : “More from Less” ou “Less is More”.
● L’Europe, leader mondial dans les usages numériques au service de la planète.
Si une rupture forte dans les actions menées pour réduire le réchauffement climatique ne se produit pas rapidement, si les mesurettes actuelles sont maintenues, le monde sera dans une situation catastrophique en 2030.
Ce n’est pas pour cela qu’il faut céder au catastrophisme (Doomism en anglais), au contraire. Dans la suite de ce texte, j’analyse ce que différents “acteurs” peuvent faire pour rendre cette catastrophe évitable.
2 - Quels acteurs pour lutter contre le réchauffement climatique
J’ai identifié six familles d’acteurs qui peuvent avoir un rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique :
● Les organisations internationales : ONU, COP…
● Les pays.
● Les entreprises.
● Les particuliers.
● Les organismes financiers.
● Les innovations technologiques et numériques.
Chacune de ces familles d’acteurs peut agir sur les deux dimensions :
● Offre : réduire l’offre d’énergies carbonées et d’émissions de gaz à effet de serre.
● Demande : réduire la demande en énergie, carbonée ou non.
Dans ce premier tableau, je vous présente mon évaluation personnelle des impacts positifs potentiels que chacun de ces six acteurs pourrait avoir sur l’offre et la demande d’énergies carbonées. Cinq étoiles correspondent au plus haut impact possible, une étoile au plus faible.
Je vais aller vite sur les quatre premiers acteurs.
Je traiterai plus à fond le cinquième, les organismes financiers ; c’est un domaine où des décisions rapides peuvent avoir des impacts positifs immédiats.
L’essentiel de ce billet sera consacré au sixième, numérique et technologies, qui est celui sur lequel j’ai une raisonnable compétence.
Organismes internationaux et états
La dernière COP, 26e du nom, a pris fin à la mi-novembre 2021, après 15 jours de négociations à Glasgow.
Le rapport final dit, de manière “diplomatique”, que l’objectif de limiter à 1,5° le réchauffement climatique est toujours atteignable (Reach) mais il faudra pour cela en faire plus (further actions needed).
Traduit en langage “normal” : les décisions annoncées après la COP 26 ne permettent pas d’atteindre cet objectif.
Ces organismes internationaux pourraient avoir un impact majeur s’ils avaient le courage de prendre des décisions fortes et contraignantes. La réalité est, hélas, tout autre.
Peut-on faire confiance aux organismes internationaux et aux responsables politiques des grands pays du monde pour agir en profondeur, et très vite ?
La réponse actuelle est claire : non !
Sorti sur Netflix en décembre 2021, nominé aux Oscars, le film “Don’t look up” est une remarquable illustration de cette capacité des politiques à regarder “ailleurs”, à chercher en permanence des excuses pour ne pas agir.
Pris individuellement, les états sont encore plus désarmés que les organismes internationaux pour prendre des décisions qui auront des impacts globaux sur le climat. Les états ont heureusement des capacités pour agir localement, qu’il ne faut pas négliger.
J’en prendrai un seul exemple, celui de la Norvège. La Norvège a pris dès 2016 la décision d’interdire la vente de véhicules thermiques à partir de 2025. Les Norvégiens ont vite compris qu’acheter un véhicule thermique était un très mauvais investissement et qu’ils ne pourraient pas le revendre. Comme le démontre ce graphique, les impacts ont été immédiats : les ventes de véhicules thermiques seront proches de zéro… dès 2022 !
C’est un bon exemple de l’impact de décisions sur l’anticipation des acteurs économiques. L’objectif fixé à 2025 sera atteint avec trois ans d’avance, en 2022.
En France, le Shift Project vient de publier son “plan de transformation de l’économie française”. Je ne peux pas le commenter ; l’ouvrage était indisponible quand j’ai écrit ce texte. Je suis par contre inquiet quand je lis dans la préface, écrite par Jean-Marc Jancovici, les mots suivants : “Nous devons être capables de naviguer dans un monde sans nouveautés techniques décisives”. C’est une démarche inverse que je pousse dans ce texte.
Les entreprises
Il faut séparer les entreprises, acteurs de l’offre d’énergie carbonée et toutes les autres qui consomment de l’énergie, carbonée ou pas.
Entreprises, acteurs de l’offre d’énergie carbonée.
Peut-on leur faire confiance pour mettre fin à leurs activités sans pressions extérieures fortes ? La réponse est évidente : non.
Un livre remarquable, “The New Climate War”, écrit par Michael Mann, démonte les démarches machiavéliques utilisées par les entreprises pour se défausser de leurs responsabilités sur… les particuliers.
Ces démarches sont très anciennes et touchent beaucoup d’industries. Les producteurs de tabac, de pesticides, d’amiante, de peinture au plomb ont été des précurseurs dans ce domaine.
Un autre exemple, moins connu, est révélateur de ces démarches de l’offre qui culpabilise l’usage. Il est possible d’ajouter à une cigarette des produits qui font qu’elle s'éteint toute seule si on la pose sur une table. Ceci permettrait d’éviter les morts par incendie qui se produisent trop souvent, mais représenterait un coût additionnel pour les producteurs. La réponse des fabricants de tabac a été simple : il faut empêcher les draps de s’enflammer quand un mégot allumé tombe dessus. Des milliards ont été dépensés pour ajouter des produits toxiques aux tissus domestiques et les rendre ininflammables quand il aurait suffi de prendre le problème à la source.
Dans son livre, Michael Mann estime qu’une centaine de très grandes entreprises mondiales sont responsables de 70% des émissions de gaz à effet de serre.
Je reviendrai sur ce sujet majeur quand j’aborderai le rôle des organismes financiers.
Les entreprises, consommatrices d’énergie
Toutes les entreprises consomment de l’énergie pour fonctionner, certaines plus que d’autres. Dans son analyse des secteurs les plus consommateurs d’énergie, Bill Gates place en tête l’industrie et en particulier les secteurs de l’acier et du ciment. L’industrie produit 31% des 51 milliards de tonnes de CO2 émises en un an, 15,81 milliards de tonnes.
Numérique et technologies sont des forces puissantes pour améliorer tous ces processus de fabrication et leur permettre de réduire leur consommation d’énergie à production constante.
Les particuliers
Est-ce que nous pouvons, individuellement, réduire notre consommation d’énergie et nos impacts négatifs sur le climat ? La réponse est oui.
Il faut par contre être attentif aux pièges posés par les entreprises productrices d’énergie carbonée, qui essaient par tous les moyens de nous culpabiliser, comme je l’ai expliqué plus haut.
Les exemples sont innombrables :
● Il faut trier les déchets : et si l’industrie ne produisait pas de produits jetables?
● Il faut se déplacer moins : et si l’on produisait plus de voitures électriques?
● Nous sommes tous coupables, individuellement : merveilleuse méthode pour dédouaner les producteurs.
Vous êtes un mauvais citoyen pour la planète si vous n’êtes pas végan, si vous voyagez, si vous regardez Netflix… Faire reposer l’essentiel des efforts sur les actions individuelles est l’une des illusions les plus dangereuses de ce combat pour la planète.
3 - Acteur clef : les organismes financiers
Je partage l’opinion de Michael Mann sur ce sujet essentiel : agir sur la finance est probablement la méthode la plus rapide et la plus efficace pour réduire l’usage d’énergies carbonées.
Tarir les flux financiers qui financent les projets liés aux énergies carbonées, c’est les rendre impossibles.
La situation actuelle est catastrophique : comme le démontre cet article, les investissements dans les énergies fossiles par les banques restent très élevés. Depuis les accords de Paris en 2016, les 60 plus grandes banques mondiales ont financé 3,8 T$ de nouveaux projets dans les énergies fossiles. (1 Trillion US = mille milliards européens).
3 800 milliards de dollars ! Si ces sommes n’avaient pas été disponibles, il est évident que ces projets financés n’auraient pas été lancés.
Ce document très complet de 80 pages, ”Banking on Climate Chaos”, fait le point sur les financements bancaires, analysés par grandes familles de projets et par banque.
Dans ce classement de la honte, le “champion” français est dixième. Il s'agit de BNP Paribas; sur la période 2016-2020, les sommes investies, de 121 milliards de dollars, sont… en croissance !
Sur ce schéma, j’ai visualisé les principales pistes qui permettraient d’agir pour tarir ces financements des énergies fossiles.
● Organisations financières : il faut les convaincre qu’investir dans les énergies carbonées, c’est un placement à très haut risque et dont la rentabilité ne sera jamais au rendez-vous. Financer un pipeline pétrolier, l’exploitation d’un gisement de gaz fossile ou la construction d’une nouvelle raffinerie, ce sont des projets dont la durée de vie s’étale sur des dizaines d’années. C’est un message que tous les investisseurs comprennent très bien.
● Organisations internationales : elles ont réussi dans certains domaines à imposer des règles très fortes, comme dans le cas des gaz CFC qui détruisent la couche d’ozone. Faire peser la menace d’une interdiction des financements d’énergies fossiles à partir de 2025 ou 2030 suffirait à bloquer, immédiatement, tous ces financements. C’est ce qui c’est produit avec les véhicules thermiques en Norvège.
● Pays : il suffirait qu’un petit nombre de pays importants, en Europe par exemple, interdisent aux organismes financiers présents sur leur territoire tout nouveau financement de projets liés aux énergies carbonées. Tous les organismes financiers présents dans le pays seraient concernés, quelle que soit leur nationalité d’origine. Je pronostique un effet domino rapide. La peur que ces décisions soient contagieuses et se répandent dans d’autres pays aura un effet majeur sur les dirigeants financiers qui ont horreur des risques politiques.
● Particuliers : l’un des mouvements les plus efficaces est celui des étudiants américains qui ont réussi, difficilement, à obliger de grandes universités à ne plus investir dans les énergies fossiles. Ils obtiennent de plus en plus un engagement de désinvestir. Comme l’explique très bien cet article, l'industrie pétrolière américaine est paniquée par ces actions qui donnent des résultats dans les plus grandes universités comme Harvard ou Yale. Harvard gère un portefeuille d’investissements de 53 milliards de dollars ! Les lobbyistes de l’industrie pétrolière financent des projets de loi qui tentent de rendre illégales ces actions.
Ce document très complet, de 39 pages, fait le point sur les désinvestissements réalisés ou annoncés à la fin de l’année 2021.
J’en ai extrait ce graphique qui montre que les fonds qui ont pris la décision de désinvestir dans les énergies fossiles gèrent un total de 41 T$ !
Les quelques chiffres que j’ai présentés montrent à quel point la dimension financière est essentielle dans la lutte contre les énergies fossiles.
Bloquer les financements d’énergies fossiles, c’est :
● Possible.
● Rapide.
● Très efficace.
● Obtenir des résultats immédiats.
4 - Un acteur clef : numérique et technologies
C’est le thème prioritaire de ce billet : quels peuvent être les impacts positifs du numérique et plus généralement de l’innovation technologique sur les émissions de gaz à effet de serre?
Il est de plus en plus difficile de dissocier numérique et innovation technologique : le numérique est le moteur principal de toute innovation technologique, quel qu’en soit le secteur.
Je prendrai un exemple récent dans le domaine de la santé, que j’ai déjà cité dans mon blog. Le vaccin contre la COVID-19 de Moderna a été mis au point en 42 jours en utilisant toute la puissance du Cloud AWS. Le CEO de Moderna estime qu’il lui aurait fallu 20 mois (novembre 2021) si les solutions Cloud Public n’avaient pas existé. Combien de millions de vies ont été sauvées par le Cloud Public ?
Ce schéma servira de base à la suite de ce billet.
Il met en évidence les différents impacts possibles du numérique sur les entreprises, les particuliers, l’offre d’énergie et la demande d’énergie. Je ferai référence aux numéros de ce schéma pour aborder ces sept interactions.
Je n’aborde pas les impacts potentiels du numérique sur les organisations internationales, les pays ou les organismes financiers ; pour moi, ils sont mineurs.
Frugalité Numérique : flux 1, 2, 3 et 4
La frugalité numérique, que d’autres préfèrent appeler sobriété numérique, a pour objectif de réduire au maximum les impacts des usages numériques sur le réchauffement climatique, et en priorité la consommation d’énergie.
En 2020, j’ai publié sur ce blog quatre textes sur la frugalité numérique :
Chacun de ses textes représente un gros travail de recherche de données fiables. Dans le domaine de la frugalité numérique, un grand nombre de données publiées sont fausses et peuvent amener les particuliers et les entreprises à prendre des décisions contre-productives.
Je fais le choix de présenter ici un tout petit nombre d’exemples concrets de solutions numériques qui peuvent améliorer notre sobriété numérique immédiatement. Il serait aussi possible de parler des usages qui sont nocifs pour la planète.
Ma position générale est très claire : utilisés avec un minimum d’intelligence et de pragmatisme, les outils numériques sont d’excellents moyens de réduire nos consommations d’énergie et nos impacts négatifs sur la planète.
Je suis un farouche opposant du “Numérique Bashing” et j’ai les données pour argumenter ma position.
Les quatre textes référencés contiennent des informations plus détaillées sur tous ces sujets. J’ai fait le choix de ne présenter que les impacts positifs du numérique et de la technologie.
Flux 1 et 4 : numérique et entreprises
● Les ordinateurs portables consomment beaucoup moins d’énergie que les anciens PC fixes à écrans cathodiques.
● Fermer ses centres de calculs privés et basculer sur des clouds publics réduit d’un ordre de grandeur sa consommation d'énergie électrique.
● Travailler en mode collaboratif pour créer à plusieurs un document ou une présentation réduit dans un rapport 20+ les échanges de données par rapport aux démarches archaïques qui consistaient à s’envoyer des documents par mail en pièces jointes, ce que résume remarquablement bien ce schéma. Il montre les échanges entre 4 personnes essayant de créer un document en commun, à gauche avec Word de Microsoft, à droite en mode collaboratif avec Google Workspace.
● Dématérialiser ses échanges numériques avec les clients, les partenaires et les fournisseurs transmet des bits qui consomment beaucoup moins d’énergie que des documents papier.
Flux 2 et 3 : numérique et particuliers
● Le smartphone est le meilleur ami de la planète. Un smartphone remplace des dizaines d’objets qui consommaient beaucoup d’énergie et de matières premières : caméscope, appareil photo, réveil, lecteur de CD/DVD, montre…
● Les usages d’un smartphone permettent de réduire fortement sa consommation de documents papier : encyclopédie, cartes, guides touristiques, dictionnaires, albums photos, documents de voyages…
● Visionner un film Netflix est beaucoup moins consommateur d’énergie que d’acheter un DVD que l’on ne regardera qu’un tout petit nombre de fois.
Flux 4 : Réduire la consommation d’énergie et les émissions des entreprises
Je m’intéresse ici aux activités “métiers” des entreprises industrielles qui produisent de l’acier, du béton, de l’aluminium ou des machines. Le texte de Bill Gates que j’ai cité plus haut montre que l’industrie est le plus grand émetteur de gaz à effet de serre. Toute action dans ces métiers est prioritaire et aura des impacts majeurs.
Cet article explique comment les fournisseurs d’acier s’attaquent au problème.
Le premier exemple cité : en août 2021, une aciérie de la société Hybrit en Suède a produit de l’acier sans utiliser du charbon, remplacé par de l’hydrogène. La production industrielle est prévue pour 2026.
Autre exemple récent en Europe : ArcelorMittal lance un grand programme de décarbonisation de ses activités avec un investissement de 1,7 milliard d’euros, soutenu par le gouvernement français. Objectif annoncé : réduire de 40% les émissions de CO2 sur le territoire français d’ici à 2030.
L’industrie du ciment produit 8% des émissions de CO2 dans le monde. C’est aussi l’une des industries les plus difficiles à décarboner.
Ce long article fait le point sur des dizaines de projets et réalisations en Europe pour s’attaquer au problème. Des réductions de 30% à 60% des émissions de CO2 sont envisagées.
Toutes ces industries travaillent aussi sur des démarches de capture des gaz émis, technologies regroupées sous le sigle CCUS : Carbon Capture Utilisation and Storage.
CCUS regroupe deux réponses différentes :
● Utilisation : transformer le CO2 capturé en d’autres produits utiles.
● Stockage : injecter le CO2 dans le sol.
Ce site de l’IEA, International Energy, fait le point sur les très nombreuses démarches CCUS proposées.
Le Global CCS Institute est une autre source intéressante sur ce sujet. Ce document présente sur des centaines de réalisations ou projets dans le monde.
Les exemples que j’ai cités pourraient produire de premiers résultats significatifs dans la deuxième moitié de cette décennie, à partir de 2025 ou 2026.
Beaucoup de ces projets, de ces innovations technologiques, des solutions numériques proposées seront des échecs industriels, oui. Mon hypothèse de travail est que d’autres seront des succès, capables de se déployer à grande échelle dans les entreprises industrielles émettrices de grandes quantités de gaz à effet de serre.
Si l’on ferme le robinet d’investissements dans les énergies fossiles pour les organismes financiers, ils seront obligés de trouver d’autres terrains d’investissements.
Ils auront l’embarras du choix avec toutes ces entreprises innovantes qui développent des solutions à impacts positifs sur la planète.
Verdox, spin-off du MIT, qui a mis au point un dispositif de capture du CO2 plus efficace, vient de lever 80 M$, dont une partie vient de Bill Gates, investisseur très actif dans ces combats pour la planète.
Flux 6 : Numérique et demande d’énergie
C’est à mon avis le domaine où le numérique aura le moins d’impacts directs.
Comme on l’a vu plus haut, la demande d’énergie est en priorité liée aux demandes des particuliers et des entreprises.
Une démarche pragmatique consiste à développer des indicateurs simples (KPI) pour aider les particuliers et les décideurs dans les entreprises à mesurer et suivre les impacts de leurs usages.
De premières normes, telles qu’ISO 50001 et ISO 14000, peuvent servir de base à ces mesures.
Pour les entreprises, de premières offres SaaS performantes, comme celle de la startup française SWEEP, permettent de piloter efficacement ses impacts carbone.
Ce sera plus difficile pour les particuliers : leurs consommations d’énergie sont réparties sur de nombreux lieux tels que domicile ou moyens de transport.
J’espère que des solutions simples permettront bientôt aux particuliers d’avoir un tableau de bord raisonnablement fiable et complet de toutes leurs consommations d’énergie.
Flux 5 et 7 : numérique et offre d’énergie
C’est dans ce domaine que je mets le plus d’espoir pour que des solutions de rupture permettent de disposer de suffisamment d’énergies non carbonées performantes avant 2030.
La croissance exponentielle des performances des solutions numériques, que j’ai présentée dans la troisième partie de cette série, s’appliquera aussi aux innovations dans le domaine de la production d’énergie.
J’ai choisi de ne parler que de trois domaines de progrès, parmi tous ceux qui sont possibles. Ce sont ceux qui ont, à mon avis, la meilleure probabilité d’apporter rapidement des réponses concrètes :
● Panneaux solaires.
● Stockage d’énergie électrique.
● Énergie nucléaire.
J’aurais pu aussi parler des éoliennes et de l’informatique quantique : cet article du JdN, “L’informatique quantique va-t-elle sauver la planète” présente les efforts de Microsoft dans ce domaine.
Panneaux solaires
L’énergie du soleil est la plus prévisible et la plus répandue sur la terre. Une étude du MIT donne les chiffres suivants :
● Énergie solaire arrivant sur terre en permanence : 173 000 térawatts.
● Ceci correspond à 10 000 fois l’énergie totale consommée sur terre.
● Avec des panneaux solaires ayant une efficacité de 20% et utilisés ⅓ du temps, cette énergie solaire couvre 300 fois les besoins de l’humanité.
Ce premier graphique montre le caractère exponentiel de la baisse du coût de l’énergie produite par des panneaux solaires : réduction dans un rapport 5 en 10 ans.
Ce deuxième graphique est encourageant : il montre que les experts ont sous-estimé la vitesse de cette réduction du coût. Ceux qui pensent que cette baisse va s’arrêter pourraient, à leur tour, être contredits par les faits.
Ce troisième graphique (source Wikipédia) compare les coûts de l’énergie des différentes sources, en utilisant une mesure le “Levelized cost of energy”, qui calcule le prix de revient complet de production, selon des règles précises.
En 2020, le solaire est devenu l’énergie la moins chère du monde, et personne ne va s’en plaindre.
Stockage d’énergie électrique
L’énergie électrique a beaucoup d’avantages, mais un grand problème, aujourd’hui; à l’inverse d’autres énergies comme le pétrole, le gaz ou le charbon elle est difficile à stocker.
Si l’on couple cette caractéristique avec le fait que les principales énergies renouvelables, solaires et éoliennes sont par nature intermittentes, on se trouve face au grand défi actuel de ces énergies renouvelables : comment stocker l’énergie électrique quand elle est abondante pour la restituer quand la production se réduit ?
Quel est le meilleur moteur de l’innovation ? Un problème difficile à résoudre !
Ceci explique pourquoi l’offre de solutions de stockage d’énergie est en forte croissance, avec des démarches très différentes, comme celles référencées dans cet article.
J’en ai sélectionné quatre, très différentes :
● L’énergie cinétique.
● La gravitation.
● L’hydrogène.
● Les batteries
L’énergie cinétique.
Cette technologie existe depuis très longtemps : les tours des potiers l’utilisaient dans l’antiquité. Elle consiste à transformer l’énergie électrique excédentaire en énergie cinétique stockée dans un volant d’inertie en mouvement.
Des startups ont repris l’idée en améliorant les performances et les rendements qui peuvent atteindre 90%. Principaux avantages : durée de vie très longue et performances constantes dans le temps.
Amberkinetics (image jointe) et Revterra sont deux sociétés qui proposent des solutions opérationnelles à coupler avec des énergies renouvelables intermittentes.
La gravitation ou pesanteur
Cette autre solution mécanique utilise l’énergie liée à la gravitation. EnergyVault, une des startup dans ce domaine, utilise des blocs de 35 tonnes qui sont soulevés par des grues automatiques quand l’énergie est disponible, énergie récupérée quand on les laisse redescendre vers le sol.
L’hydrogène
L’Europe et la France mettent beaucoup d’espoir sur cette technologie pour stocker dans de l’hydrogène à haute pression de l’énergie. C’est bien expliqué dans ce document de Teréga qui dispose dans le Sud Ouest de la France des plus grandes capacités de stockage de gaz en France dans des réservoirs naturels souterrains.
CB insights est une source d’information d’une exceptionnelle richesse et qualité sur de nombreux domaines. Ils ont publié en février 2022 ce rapport de 150 pages qui fait le point sur les investissements dans le secteur de l’énergie en 2021. J’en ai extrait ce graphique qui montre que l’Europe investit plus sur l’hydrogène que les États-Unis ou l’Asie. C’est le seul domaine dans lequel l’Europe est en tête !
Autre bonne nouvelle : le congrès annuel des ingénieurs de France, en mars 2022, sera consacré à l’hydrogène.
Les batteries
C’est la technologie qui vient immédiatement à l’esprit quand on pense stockage d’énergie, et c’est de loin la plus utilisée aujourd’hui. Je ne vais pas analyser le marché des véhicules électriques, mais me concentrer sur les usages industriels des batteries pour stocker l’énergie sur de longues périodes.
La baisse du coût du kilowatt des batteries les plus répandues, Lithium-Ion, est, elle aussi, exponentielle, comme le montre ce graphique.
Tesla est un acteur majeur de ce marché. L’une des plus grandes installations a été construite en Australie, avec une capacité de 1 274 MWh. Elle est opérationnelle depuis décembre 2021.
Des dizaines d’entreprises travaillent sur des alternatives à la filière Lithium-Ion, et il est difficile de les citer toutes. Sodium-ion, Zinc-ion et Dual Carbon sont trois des pistes les plus prometteuses.
J’ai construit ce tableau comparatif de ces trois solutions à partir d’un article très complet, publié en février 2022.
Une quatrième technologie, Metal-ion, attire aussi les investisseurs : Bill Gates et ArcelorMittal ont investi 360 M$ dans Form Energy, qui utilise l’acier, ce qui explique la présence d’ArcelorMittal au capital.
Cette très longue liste de solutions de stockage d’énergie montre à quel point l’innovation est forte dans ce domaine clef. Ce graphique, extrait du même document CB Insight, montre que les investissements dans les startups de l’énergie ont atteint 36 milliards de dollars en 2021, en croissance de 260% par rapport à 2020 !
Il faudrait vraiment être un irréductible pessimiste pour penser que toutes ces innovations seront des échecs.
Énergie nucléaire
Le nucléaire est une énergie qui déclenche des passions, pas toujours rationnelles.
Mon objectif, ici, est d’en parler de la manière la plus rationnelle possible. Les spécialistes du nucléaire me pardonneront les simplifications que je suis amené à faire.
● Le nucléaire est une énergie non carbonée.
● Le nucléaire est la source d’énergie la plus sûre au monde : charbon, gaz, pétrole ont tué beaucoup plus de personnes que le nucléaire.
Il y a deux grandes familles de solutions pour produire de l’énergie nucléaire :
● Fission = casser de gros noyaux pour en faire de moins gros.
● Fusion = assembler des petits noyaux pour en faire des plus gros.
Cet article l’explique en quelques lignes. Pour en savoir plus, je vous renvoie aux textes de Wikipedia sur la fission et la fusion.
Aujourd’hui, l’électricité est produite dans le monde par des réacteurs de fission nucléaire, et de grande taille.
D’ici à 2030, je vois venir des mutations majeures dans les solutions permettant de produire de l’énergie électrique nucléaire.
J’ai construit ce tableau pour présenter les quatre familles principales de solutions qui pourraient être opérationnelles en 2030.
D’ici à 2030, trois nouvelles familles de réacteurs nucléaires pourraient voir le jour:
● Fission : réacteurs de petite taille.
● Fusion : réacteurs de grande taille.
● Fusion : réacteurs de petite taille.
Petits réacteurs industriels de fission
À Belfort, dans son discours de février 2022 sur l’avenir du nucléaire en France, le Président Emmanuel Macron a parlé d’EPR, mais aussi annoncé le lancement de la fabrication de “SMR”, Small Modular Reactors.
Dans ce domaine des petits réacteurs, la France est en retard : Russes, Chinois et Américains ont lancé des projets et des réalisations depuis plusieurs années.
L’un des projets européens à haut potentiel est celui proposé par Rolls-Royce, qui s’appuie sur son expérience dans les sous-marins à propulsion nucléaire. Rolls-Royce propose de construire une usine qui fabriquera, de manière industrielle, ces petits réacteurs nucléaires. Ils seront ensuite transportés sur les sites où ils seront installés, dans le monde entier.
Cette approche me fait penser à la démarche industrielle d’Elon Musk avec SpaceX qui a révolutionné le monde des lanceurs.
Fusion : réacteurs de grande taille
Le projet emblématique de réacteur nucléaire de grande taille pour la fusion est le réacteur Tokamak ITER.
Les chiffres relatifs à ITER sont impressionnants, et confirment le gigantisme de ce projet :
● Lancé officiellement en 1985, quand Jacques Chirac était président de la République en France.
● Membres : Communauté Européenne, Russie, Chine, États-Unis, Inde, Japon, Corée…
● 20 ans après : accord sur lieu de construction, près d’Aix-en-Provence en France.
● Surface du site : 180 hectares, dont 42 pour le réacteur.
● Poids du réacteur : 23 000 tonnes.
● Production d’énergie prévue : 500 MW, 10 fois les 50 MW nécessaires pour le faire fonctionner.
● La première production de plasma était prévue fin 2025, 40 ans après le lancement du projet. Les dernières estimations, fin 2021, parlent maintenant de 2035.
● Le budget initial, de 6 milliards d’euros, est aujourd’hui de 18 à 22 milliards d’euros. Les opposants parlent d’un budget de 45 à 65 milliards d’euros.
● ITER, expérimental, ne sera jamais connecté au réseau. Il faudra attendre le successeur, DEMO, pour avoir une version industrielle en 2050.
● L’industrialisation éventuelle n’est pas prévue avant 2070.
Les critiques d’ITER se font de plus en plus nombreuses :
● En juillet 2021, l’ASN, Autorité de Sureté Nucléaire, a publié un rapport montrant que des composants importants n’avaient pas passé les tests nécessaires.
● La revue Energy Times tire le signal d’alarme en octobre 2021.
Vous l’avez compris : je ne suis pas convaincu qu’ITER sera l’un des sauveurs de la planète.
Fusion : réacteurs de petite taille
De toutes les options présentées, je pronostique que ce sont ces réacteurs de fusion de petite taille qui seront la réponse la plus performante aux besoins du monde en énergies non carbonées et non intermittentes.
Les progrès spectaculaires de ces dernières années dans la fusion nucléaire sont attribués au numérique, comme le confirme Chris Hansen, chercheur à l’Université de Washington dans cet article : “Our ability to model and move forward on some of these scientific and technological developments because of increased computing power has really been a difference maker.” (Notre capacité à modéliser et à faire avancer certains de ces développements scientifiques et technologiques grâce à une puissance de calcul accrue a vraiment fait la différence.)
Un rapport très complet, publié par la Fusion Industry Association au Royaume-Uni, fait le point sur l’extraordinaire dynamique de ce secteur. J’en ai extrait quelques graphiques.
23 startups privées ont été créées entre 1992 et 2020. La moitié sont nées entre 2016 et 2020. Ce rapport contient aussi des fiches détaillées sur chacune de ces 23 sociétés.
Cette carte montre que la majorité de ces startups de la fusion sont aux États-Unis, mais l’Europe avec six sociétés reste dans la course. La société française est Renaissance Fusion, basée à Grenoble.
Les financements sont au rendez-vous, mais à l’échelle des startups :
● Le total est proche de 2 milliards de dollars, à comparer aux 20 milliards déjà dépensés pour ITER.
● 95% de ces financements sont privés, les États n’apportant que 5%.
● Pour les startups financées, la moyenne des fonds levés est de 100 M$.
● TAE Technologies, en Californie, est la plus financée, avec 880 M$.
Ce qui m’a le plus frappé dans ce rapport, c’est la grande variété des technologies utilisées par ces startups, comme on le voit dans ce tableau. (Ne me demandez pas de vous expliquer les différences entre ces approches.)
La question à laquelle il est le plus difficile de répondre est : “quand ces petits réacteurs seront-ils opérationnels et connectés au réseau de distribution électrique ?
Ce graphique regroupe les prévisions de ces startups. La majorité des réponses indiquent les années 2030.
Pour terminer ce long chapitre sur l’énergie nucléaire, je vous livre mon pronostic sur la situation telle que je la vois en 2050. (Rappel, je ne suis pas un spécialiste du nucléaire).
Les grandes centrales de fission pourraient faire jeu égal avec les petites centrales de fusion, chacune fournissant environ 40% de l’énergie électrique venant du nucléaire.
Synthèse
Au début du premier de ce billet consacré aux défis climatiques, j’avais construit un tableau évaluant quels pourraient être les impacts potentiels des six familles d’acteurs identifiés.
Dans ce nouveau tableau, j’ai ajouté deux colonnes qui présentent la réalité de ces impacts, tels que je les pronostique.
Je fais le pari suivant : numérique et technologies seront les moyens les plus puissants, les plus efficaces pour lutter contre ce réchauffement climatique.
Les cinq autres familles d’acteurs auront aussi des rôles importants à jouer sur l’offre et la demande ; je les mets à égalité, avec trois étoiles chacune.
Pour vous aider à établir de manière plus précise votre propre évaluation des rôles potentiels de ces six acteurs, j’ai aussi construit ce nouveau tableau chiffré :
● Les deux premières colonnes proposent une fourchette large des rôles possibles, sur l’offre et la demande, des six acteurs.
● Les deux autres colonnes sont utilisées pour que chacun fasse son pronostic. Je l’ai rempli avec les miens pour que vous en ayez un exemple.
● Le total dans chaque colonne doit être égal à 100%.
Nous aurons probablement des visions différentes, et c’est normal.
L’important, c’est que chacun comprenne qu’il y a de nombreux moyens d’action pour attaquer ce défi majeur du réchauffement climatique.
Oui, je souhaite rester optimiste et anticiper un monde qui aura su, en 2030, maîtriser les quatre défis que j’ai identifiés.
Serons-nous capables, au niveau mondial, de nous mobiliser, immédiatement, sans laisser des personnes, des entreprises, des États et des organisations internationales bloquer les décisions urgentes qu’il convient de prendre ?
Je laisse à chaque lecteur le soin de répondre à cette question.